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Alain Monnier, Je vous raconterai, Flammarion

Par Irigoyen
Alain Monnier, Je vous raconterai, Flammarion

Alain Monnier, Je vous raconterai, Flammarion

« Écoutez donc mon histoire, écoutez-là, elle ne vous sera sans doute d'aucune utilité, mais elle pourrait vous donner un peu d'humilité qui vous manque. »

Ainsi parle le narrateur du dernier roman d’Alain Monnier, ancien ouvrier du livre toujours dans la force de l’âge mais qui ne peut empêcher sa propre dégringolade. Il tombe et finit par atterrir au dernier étage d’une France qui n’est même plus celle d’en bas mais plutôt celle du sous-sol.

Son parcours ressemble à celui de tant d’autres salariés, victimes de patrons obnubilés par les chiffres, par la culture du résultat. Ils ne sont plus des Hommes mais des forces de travail. Et quand ils sont en bout de course ils ne sont plus bons qu'à jeter à la poubelle, ce sont les fameux salariés Kleenex. On croirait lire ci-dessous des propos de salariés licenciés par des patrons-voyous :

« Des jean-foutre qui ne supportaient pas de voir le chiffre d'affaires augmenter et leur marge bénéficiaire stagner. Ils exigèrent une restructuration. (...) On ne voit pas s'affaisser le monde quand on glisse avec lui, dans le même mouvement, à la même allure. Vous verrez quand votre tour viendra. »

Pris dans cet engrenage, le narrateur anonyme, perd donc tout : travail, femme, fille. Les relations sont coupées avec cette dernière, Coralie, pour « ne pas qu'elle me voie dans cet état ». Parce que la dignité d’un homme est peut-être à ce prix, qui sommes-nous en effet pour juger ?

Après la descente, il y a toujours la descente, nous dit Alain Monnier. Et les passages dans des zones toujours plus violentes révèlent une jungle moderne sans toit ni loi. Sans foi ni loi :

« Je ne vous raconterai pas les premiers jours. On a des stratégies, on croit que c'est facile, qu'on peut se planquer dans un coin, juste attendre. Mais non ! La violence est partout. La descente ne s'arrête jamais, il y a des hiérarchies nouvelles, des plus forts pour exploiter ou rançonner les plus faibles, et moins il y a de lois et de règles, plus la férocité est grande. »

Surgit alors Igor dans un bar où s’est très provisoirement réfugié notre narrateur. Dans son beau costume il dit pouvoir aider le narrateur. Et pourquoi pas quand on n’a plus rien ? Mais ce pacte-là est faustien. Notre ancien ouvrier du livre se retrouve encagoulé, fourré dans une limousine noire. Direction : un château.

Le deal, le voici : 1000€ en échange d'une participation à la roulette russe, « spectacle » morbide pour parvenus en quête de sensation forte.

« Je calai l'arme ainsi, contre ma tempe, fermement, pour éviter que le recul ne me fasse riper et risque de me laisser avec une blessure qui ne serait pas immédiatement mortelle. »

Cette activité devient de plus en plus rémunératrice à mesure que la chance accompagne le narrateur , lui qui en a si souvent été privé. Car au départ, il y a cette blessure qui remonte à l'enfance. Qui ne se raconte pas facilement. Le narrateur tourne autour alors que, jusque-là, il n'a pas pris de gant pour nous parler les yeux dans les yeux. Une douleur qu'a bien essayé d'apaiser Paul Maris, père de substitution du personnage central et qui croupit dans un mouroir pour vieux :

« Seul aux Myosotis à la Barre-Gonesse, une maison de basse catégorie qui pue la lessive et où les aides-soignants sont tous syndiqués. Contre la direction aussi bien que contre les vieillards à leur merci ! Des gens qui croient que lâcher un sourire ou risquer un peu de douceur serait se compromettre. Les syndicalistes d'antan respectaient leur travail. Fallait voir à l'imprimerie, comment on regardait le journal qui sortait ! C'était notre fierté. On ne dénigrait jamais notre ouvrage. Aujourd'hui les patrons se moquent de la qualité du travail, ils veulent juste que ça avance. (...) Paul détesterait m'entendre parler ainsi? Il est toujours prêt à trouver des excuses aux camarades qui le maltraitent. »

La vie du narrateur change-t-elle à mesure que sa participation à cette « fête » privée se poursuit ? Vous le découvrirez vous-même. Disons simplement qu'il faut se méfier du miroir aux alouettes. Il y a dans « Je vous raconterai » un appel à la vigilance de tous les instants. Vigilance par rapport à l'éphémère dont la télévision s'est s'y bien emparée – le passage sur le Cervothon est un « délice » -. Vigilance, d'une manière générale par rapport au clinquant, au facile. Il faut se méfier aussi de la formule : « Heureux au jeu, malheureux en amour ». Car dans ce livre d'Alain Monnier tout peut basculer, à tout instant. L'auteur a un vrai talent pour nous décrire ce fil du rasoir.

J'ai été complètement absorbé, vous l'aurez compris, par cette histoire. Je n'y ai trouvé aucun temps mort. Non pas parce que l'auteur céderait à quelques facilités de langage – ici, l'écriture est belle et puissante parce qu'elle a de la chair -, mais parce que ce roman a la force d'un récit. A vrai dire, je ne sais pas si Alain Monnier s'est déjà retrouvé en situation de choc à la fois professionnel ou personnel mais le lecteur est amené à le penser. Un romancier peut-il réussir plus bel exploit ?


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