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La songe d'Eichmann - Michel Onfray

Publié le 29 septembre 2009 par Jefka

Eichmann kantien ? Le haut-fonctionnaire nazi l’affirme devant ses juges lors de son procès à Jérusalem. Il déclare que sa participation à la déportation des juifs durant la Seconde guerre mondiale n’est pas en contradiction avec les thèses développées par Kant dont il fût un lecteur attentif. Michel Onfray poursuit cette vision en mettant en scène Kant et Eichmann dans un songe où se confrontent les deux hommes, sous le regard d’un Nietzsche railleur vis-à-vis de l’auteur de la Critique de la raison pratique. Il s’agit ici d’une occasion pour Onfray de réaliser une énième réhabilitation du philosophe à la moustache si singulière face à ses détracteurs qui lui imputent les fondements de l’idéologie nazie. En fait, la volonté de puissance et le surhomme furent travestis par la sœur de Nietzsche, qui pilla la pensée de son frère pour légitimer les idées du parti national-socialiste. Point de doute donc sur l’absurdité d’une complicité intemporelle entre Nietzsche et Adolph Hitler. La doctrine de Kant est par contre beaucoup plus ambigüe, pas tant sur le contenu même si le philosophe allemand n’ait pas toujours fait l’économie de propos racistes, mais quant à son interprétation et à la reproduction qui peut en être faite. Kant n’est évidemment pas hitlérien. Mais les principes de la raison pure peuvent être repris par un tortionnaire nazi pour expliquer l’inexplicable, sans que les écrits du philosophe soient profondément déformés, ni vidés de leur signification. Pour Kant, le droit est plus fort que tout. Il faut obéir sans se révolter. En effet, l’homme est un animal, certes animé par la raison, qui intrinsèquement porte en lui les racines d’un mal radical et qui s’épuise dans une insociable sociabilité. Il lui faut donc un maître qui lui montre la voie à suivre et peu importe le contenu de la doctrine du souverain, l’essentiel résidant dans l’ordre que nourrit l’obéissance. La conscience peut s’offusquer d’une immoralité des lois en vigueur mais selon Kant, la critique ne saurait dépasser la sphère privée, tout au plus peut-elle s’exprimer dans un cercle restreint d’initiés, seuls aptes à condamner sans agir pour autant. La loi est le socle d’une civilisation et Kant lui confère toute moralité, tout pouvoir. Elle garantit avec le droit la sécurité pour tous ceux qui disposent d’une existence juridique reconnue. Kant distingue en effet la possibilité que des individus ou des situations données soient déclarés hors du champ d’application légale, comme par exemple les enfants nés d’une relation que les mœurs considèrent illégitime. Pour ce qui les concerne, ils ne bénéficient d’aucune protection légale car la loi ne les reconnaît pas. La soumission sans condition à un chef, la moralité couplée à la loi quelque soit le contenu de cette dernière et la reconnaissance que certains hommes peuvent être mis à l’index du droit compte tenu de leurs origines ou de leurs appartenances constituent autant d’arguments dont un haut-fonctionnaire serait user pour déclarer ses agissements conformes à la fonction qui lui a été assignée, et ce quelque soit l’ignominie de ses actes. C’est ce que fait Eichmann, en évoquant les concepts développés par un philosophe de la raison pour concéder sa responsabilité sans verser dans l’absurdité lorsqu’il se refuse à tout sentiment de culpabilité. Cette conclusion effroyable, qui s’appuie donc sur une logique conceptuelle afin de justifier le rôle des exécutants dans une extermination à grande échelle, démontre le danger qu’une philosophie soit récupérée par la barbarie dès lors qu’elle est par trop éloignée de la réalité du monde et de la nature humaine. Nietzsche en ce sens est moins dangereux que Kant lorsqu’il déconstruit toute idée de transcendance que des siècles et des siècles de pensée occidentale ont bâti. L’immanence s’oppose à l’idéalisme, lequel est un matériau malléable pour tout régime totalitaire en quête de domination. Pour en terminer sur la pensée promulguant l’obéissance aveugle, citons un texte d’Alain qui est un formidable contrepoids à tout consentement absolu : « Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance, il assure l’ordre ; par la résistance il assure la liberté. Et il est bien clair que l’ordre et la liberté ne sont point séparables, car le jeu des forces, c’est-à-dire la guerre privée à toute minute, n’enferme aucune liberté. Obéir en résistant, c’est tout le secret. Ce qui détruit l’obéissance est anarchie; ce qui détruit la résistance est tyrannie ».

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