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La poesia cromatica de Michelangelo Rossi : troublantes audaces harmoniques

Publié le 03 octobre 2009 par Philippe Delaide

Le dernier disque de l'Huelgas Ensemble, dirigé par Paul Van Nevel, est consacré à treize madrigaux tardifs composés par Michelangelo Rossi. Il est important de préciser qu'il s'agit de l'enregistrement d'un concert donné le 13 juillet 2008 dans le cadre du Festival de Saintes. Cette précision permettra de juger du niveau de perfection atteint par cet ensemble vocal sur le répertoire polyphonique.

Dans le cas précis, il s'agit en outre de pièces particulièrement complexes, traduisant une audace harmonique redoutable. Michelangelo Rossi, musicien surdoué (violoniste, organiste et compositeur) dépasse encore les voies déjà tracées par Gesualdo et Sigismondo d'India (son maître) dans l'exploration des dissonances, frottements harmoniques, ruptures rythmiques. Ces madrigaux, que l'on pourrait volontiers qualifier de maniéristes, figurent parmi les derniers vestiges du genre, avant l'éclosion de l'art lyrique. Ils constituent alors un aboutissement particulièrement saisissant. Dès les premières mesures, par exemple, du tout premier madrigal du disque (Per non mi dir ch'io moia), ce que l'on pourrait qualifier comme une forme d'avant-gardisme se révèle de façon envoutante et troublante. Certains chromatismes marqués, une forme de minimalisme également, annoncent indéniablement la musique contemporaine.

A ce titre, ces madrigaux, tous splendides, prennent un caractère intemporel, révèlent une magnificence qui retient systématiquement l'attention. Certaines associations audacieuses d'accords, la volonté de ne pas se laisser emprisonner par une seule tonalité lors du déroulement d'un madrigal, des changements parfois brusques de rythme, l'art savant de l'articulation des motifs musicaux par rapport au texte, tout cela fait partie de l'univers maniériste de Michelangelo Rossi. Cette "exubérance mélodique" (pour reprendre les termes mêmes de Paul Van Nevel dans le livret accompagnant le disque) s'exprime alors avec une élégance rare, une capacité unique à subjuguer l'auditeur.

On retiendra les magnifiques "O miseria d'amante" aux connotations mystiques, "Or che la notte", dont les accords descendants des premières mesures nous font plonger dans les ténèbres, "Ah dolente partita", modèle d'équilibre parfait. J'ai pour ma part été bien plus envouté par les pièces polyphoniques a cappella que par celles accompagnées par des instruments.

Paul Van Nevel, avec son ensemble vocal, confirme le niveau d'excellence à mon avis inégalé sur ce répertoire. Il n'y a guère que le Collegium Vocal de Gand pour parfois se hisser à la hauteur de l'ensemble Huelgas. Ce dernier, d'une homogénéité saisissante, révèle des couleurs sublimes, restitue les nuances et intonations les plus infimes avec une précision saisissante, tout en conservant la ligne directrice. Du très grand art.

Ce disque, par l'excellence de son interprétation et le caractère singulier et passionnant de son contenu, représente certainement l'une des plus belles réussites de l'année.

Très court extrait (Per non mi dir ch'io moia) :

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Michelangelo Rossi - La poesia cromatica - Ensemble Huelgas - direction Paul Van Nevel - label Deutsche Harmonia Mundi.

Coup de cœur du Poison Rêveur.


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