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Quand Ségolène Royal brûle ses navires

Publié le 04 octobre 2009 par Variae

Jamais en retard d'une innovation, Ségolène Royal a-t-elle décidé d'importer dans le monde politique la pratique du clash entre rappeurs ? Mis en ligne jeudi et relayé ce week-end sur les listes de diffusion de Désirs d'Avenir, un communiqué signé par " L'équipe de Ségolène Royal " attaque violemment Jean-Noël Guérini, patron de la légendaire fédération socialiste des Bouches du Rhône :

En réponse à Jean Noêl Guérini qui affirme de façon péremptoire et méprisante que "avec Ségolène Royal, c'est la fin d'une histoire", il convient d'observer que la véritable fin de l'histoire, c'est celle des notables cumulards qui ont érigé leurs pouvoirs en contrôlant les fédérations où règne l'opacité, pour ne pas dire plus. Jean Noël Guérini, non content de cumuler présidence de conseil général et un siège de sénateur, s'est lancé dans une campagne municipale à Marseille dans laquelle il a été battu. Cette boulimie de pouvoir a empêché l'élection d'un autre socialiste, car il est évident que Patrick Menucci, maire d'arrondissement à Marseille, aurait pu être élu. L'équipe de Ségolène Royal demande à Jean Noël Guérini un peu plus de réserve et de pudeur. Quand Ségolène Royal brûle ses navires

Que vaut donc à " Jean-Noël " une si virulente philippique ? Une prise de distance avec l'ex-candidate, assumée le samedi précédent, mais en des termes incontestablement moins violents, et ne semblant pas violer la " réserve " ni la " pudeur " :

Je respecte profondément Ségolène Royal, sa personnalité, ce qu'elle a fait pour le PS, elle a rassemblé 17 millions de personnes mais on arrive à la fin d'une histoire [...] Avec Ségolène Royal, on a eu une histoire formidable, j'ai été l'un des premiers à être à ses côtés pour que, dans le débat interne, elle puisse être désignée candidate, maintenant, nous avons pris d'autres options, je vais vers d'autres horizons.

Pourquoi donc une réaction si disproportionnée, et surtout si tardive ? La date du communiqué, publié dans la partie du site de Ségolène intitulée " Rétablir la vérité ", fournit une piste : c'est le jour de la consultation militante sur la rénovation, qui, notamment, est censée mettre un terme au cumul de mandats et aux libertés prises, dans certaines fédérations socialistes, avec les règles d'organisation des votes internes. Consultation qui est aussi la manœuvre imaginée par Martine Aubry pour gagner un peu de temps et d'air, et combler d'un coup son déficit de modernité, d'autorité et de popularité auprès des militants.

Cette configuration pourrait sembler périlleuse pour Ségolène Royal. Mais il me semble surtout qu'elle s'est livrée à ce que d'aucuns auraient naguère appelé " l'analyse concrète de la situation concrète ", et qu'elle en a tiré toutes les conséquences. Cela a été assez dit, les liens avec ce qui devrait être son courant politique au sein de la machine socialiste sont complexes et sans doute distendus. Elle a d'ailleurs elle-même pris le risque d'une perte de contrôle en refusant de siéger au Bureau national, instance reine du parti, en snobant les grandes conventions nationales ( y compris le rassemblement estival de sa sensibilité), et en formalisant d'ailleurs encore récemment son refus d'entrer plus avant dans le jeu partidaire. Isolement, lâchage dans l'appareil, banalisation sur le terrain de la rénovation - fin de partie ? Ce serait oublier un des paramètres du vote du 1 er octobre : la validation par les militants du principe de primaires ouvertes. Tout un chacun pourra, moyennant une somme modique et sans militantisme préalable, venir prendre part à la désignation du candidat des socialistes pour l'élection présidentielle. Dans cette perspective, qu'est-ce qui est le plus important : " tenir " des réseaux puissants dans le parti, et se ménager les bonnes grâces des barons et des grosses fédérations, ou bénéficier d'une couverture médiatique permanente et d'une notoriété supérieure à la moyenne auprès de l'ensemble des Français ?

Plus encore, refuser les règles du jeu interne socialiste offre de considérables marges de manœuvre. Ségolène Royal peut dont risquer de subir l'ire des satrapes locaux, en invectivant directement J.N. Guérini par exemple, là où Martine Aubry est obligée de fermer les yeux sur le fait que la fédération du Pas-de-Calais (un de ses principaux soutiens) n'a pas vu son fichier épuré. Elle peut s'ériger en modèle de non-cumul, elle qui a pris le risque d'abandonner les bancs de l'Assemblée pour conserver son seul mandat de présidente de région. En somme, elle peut pousser plus loin que quiconque dans le sens du " nouveau parti socialiste " dessiné par le vote des militants, renversant ses faiblesses en forces, et bénéficiant d'une flexibilité totale par rapport à ses concurrents, encore obligés de composer avec les us de la vieille maison. Flexibilité qui lui donne à son tour toute latitude pour multiplier les " buzz " et coups médiatiques, et continuer à nager au-dessus de la ligne de flottaison de l'opinion.

En attaquant frontalement le " vieux parti ", qui l'avait pourtant bien aidée à plusieurs reprises (et notamment lors du dernier congrès), Ségolène Royal se met d'une certaine manière dans la position d'un conquérant qui, à peine débarqué sur une nouvelle terre, brûle ses navires pour couper court à toute idée de marche arrière. La voie qu'elle emprunte risque fort d'être une voie sans retour, sur le chemin de laquelle ses forces militantes pourraient bien se rabougrir, comme une éponge desséchée ... tout en gardant la possibilité de se regonfler brutalement au moment des primaires, toujours comme une éponge, bénéficiant de l'afflux aussi soudain que massif de supporters pour le moment invisibles. Tactique risquée, et ressemblant finalement assez, ironie du sort, à celle de François Bayrou, qui lui aussi a abandonné son capital de centre droit - et nombre de ses élus - pour sa longue marche vers la gauche. Tactique risquée, mais incontestablement plus claire et directe que celle consistant à louvoyer dans les eaux de plus en plus saumâtres de Solférino ...

Romain Pigenel


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