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Rétribuer les élèves pour combattre l’absentéisme scolaire

Publié le 05 octobre 2009 par Guy Deridet

De mieux en mieux ! Pour lutter contre l’absentéisme, il est question, comme le poisson autour de l’hameçon, d’appâter les élèves avec de l’argent dans trois lycées professionnels de l’académie de Créteil, Lino-Ventura à Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), Gabriel-Péri à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et Alfred-Costes à Bobigny. Il ne s’agit pour l’heure que d’une expérimentation préconisée par le Haut-Commissariat à la jeunesse. (1)

Rétribuer les élèves pour combattre l’absentéisme scolaire

 
Certaines classes se verraient attribuer pour commencer, à partir d’aujourd’hui 5 octobre 2009, une subvention de 2.000 euros pouvant monter jusqu’à 10.000 euros sous réserve que collectivement les élèves respectent leur engagement d’assiduité et de comportement correct. Cet argent ne serait pas versé aux élèves, mais servirait à financer un "projet de classe", comme un voyage.
Une obligation scolaire imposée autrefois aux parents
On reste sans voix ! Jusqu’où dans la démagogie les cervelles fertiles qui dirigent l’Éducation nationale ne sont-elles pas prêtes à aller ? Jusqu’à quel degré d’indignité ne sont-elles pas résolues à descendre ? Car pour apprécier pareille idée saugrenue, il convient de se remettre en mémoire les années 1880 qui ont vu la création de l’École laïque, gratuite et obligatoire. À l’époque, c’étaient les parents et non les enfants qu’il s’agissait sinon de convaincre, du moins de contraindre.
Dans la France rurale de l’époque, les enfants de paysans étaient une main d’œuvre gratuite dont leurs parents n’entendaient pas se passer pour les menus travaux de la ferme, comme par exemple nourrir les animaux ou garder les vaches ; et dans la France en voie d’industrialisation, les enfants étaient corvéables à merci dès que possible : bouches à nourrir, ils apportaient le complément de salaire qui manquait à leur parents. Aller à l’école pour les enfants revenait à en être partiellement dispensés et à jouir d’un peu de repos pour apprendre ce que leurs parents ignoraient. La gratuité et l’obligation scolaires ont fini par avoir raison des résistances parentales.
Un leurre obscène
Or, voici qu’aujourd’hui, les rôles sont inversés : ce sont les enfants qu’il s’agit de contraindre à venir à l’École, perçue cette fois comme le lieu du travail à fuir, tandis que l’extérieur citadin où il vivent, est devenu celui de la détente et du repos. Et, cette fois, l’obligation scolaire ne semble avoir prise ni sur les enfants ni sur les parents. Mais n’est-ce pas d’abord parce qu’on a renoncé à l’appliquer et au besoin par le recours à des sanctions ? Car, aujourd’hui, l’instruction de ses membres n’est pas seulement la voie d’une possible émancipation personnelle, mais une condition de survie de la société. L’incroyable invention de ce leurre financier n’est-elle pas la preuve de cette démission ?
Quelles que soient, en effet, les modalités de l’attribution de cette somme d’argent, qu’on le veuille ou non, il s’agit bien de tenter d’attirer les élèves absentéistes par la promesse de cette rémunération, fût-elle ensuite collectivement dépensée dans un prétendu « projet pédagogique ». Voici réintroduit dans le sanctuaire de l’École l’argent facile qui corrompt, celui de ces footballeurs et stars incultes, comme celui des banquiers gangsters et de leurs tradeurs, ou encore des mafieux en tout genre !
Drôle de pédagogie et singulière éducation que celles qui occultent dans les esprits des élèves l’éminente dignité de leur indispensable instruction à laquelle une société consacre une fortune, en les appâtant minablement par la promesse de gagner du fric ! N’est-ce pas pourtant cette possibilité d’accéder quasiment gratuitement pendant une dizaine d’années et plus si possible à une formation qui est, à soi seule, une chance et une récompense inouïes ?
Pour s’en convaincre, qu’on relise le poème de Victor Hugo, « Où vont tous ces enfants… » écrit en 1838, avant le cri d’alarme poussé par le Dr Villermé dans son « Tableau physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie », paru en 1840, qui a inspiré la loi sur le travail des enfants de mars 1841 fixant l’âge minimum d’embauche à 8 ans et à 13 ans s’il s’agit d’un travail de nuit, la durée du temps de travail à 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans et à 12 heures pour ceux entre 12 et 16 ans ! Combien de ces enfants à qui selon le mot d’Hugo, « une servitude infâme » était imposée, auraient refusé de venir à l’École si alors on leur en avait offert la possibilité ? C’est au regard de cette détresse qui n’est pas si ancienne, que l’on mesure toute l’obscénité de cette idée de payer les élèves pour les attirer à l’école.
Il est certain qu’il est plus facile de faire miroiter ce leurre à fric que de décider d’appliquer dans tous les établissements les règles élémentaires de vie commune pour commencer par rendre l’acte d’enseigner possible. Qu’on se souvienne des deux films qui ont récemment montré le désastre où ont sombré par démagogie certains établissements, « Entre les murs » et « La journée de la jupe » !(3). Le respect intransigeant de ces règles – tant par les élèves et les professeurs que par l’administration qui est la première à les violer - donnerait un tout autre visage à l’École qui forcerait le respect, au lieu de celui de cette mendiante qu’elle est devenue, en train de courir, sous la risée de tous, après des "élèves dits en difficulté", selon la trompeuse formule sacramentelle en usage, qui la profanent ou la fuient avec la complicité, consciente ou non, de son administration et de nombre de ses professeurs.
Paul Villach sur www.agoravox.fr
(1) Le Parisien, 2 octobre 2009 – Le Monde.fr 2 octobre 2009
(2) Victor Hugo, « Les Contemplations, Livre III, « Les luttes et les Rêves », II, avril 1856
« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit,
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit,
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
O servitude infâme imposée à l’enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu’a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c’est là son fruit le plus certain ! -
D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l’homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit,
Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème !
O Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux ! »
(3) Paul Villach,
- « « Entre les murs » : une opération politique réfléchie pour un exorcisme national ? », AGORAVOX, 29 septembre 2008.
- « Le film « Entre les murs » croule sous les honneurs officiels. Pourquoi ? », AGORAVOX, 30 janvier 2009.
« « L’année de la jupe » avec Isabelle Adjani, ou la tentation vénéneuse de répondre par la violence au désordre de l’École », AGORAVOX, 17 mars 2009. (Erratum : lire « La journée de la jupe ».)
(4) Paul Villach, « Les infortunes du Savoir sous la cravache du Pouvoir », Éditions Lacour, Nîmes, 2003.
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