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Sainte vie privée

Publié le 07 octobre 2009 par Malesherbes

Considérons un homme de grande culture, arraché par esprit d’ouverture aux servitudes de la Villa Médicis, pour devenir Ministre de la République. D’une république qui réprouve la prostitution et réprime le tourisme sexuel. Supposons que, dans un livre écrit à la première personne quelques années plus tôt, cet homme de talent ait décrit l’ivresse éprouvée en Thaïlande dans des étreintes avec des garçons rétribués pour ces services. Eh bien, selon la jurisprudence que tente d’établir un autre Ministre de cette même République, lequel curieusement est aussi le secrétaire général du parti qui gouverne notre pays, évoquer ce livre, c’est attenter à la vie privée.

Nul doute qu’il considère de même que, condamner la conduite du metteur en scène Roman Polanski, abusant sexuellement d’une mineure, est une immixtion dans la vie privée du cinéaste. Et il ne faut peut-être pas le pousser bien loin, habitué qu’il est à veiller sur la vie privée des uns et des autres, et surtout des puissants, pour qu’il se retrouve à avancer ce même argument pour protéger l’homme qui, pour satisfaire ses pulsions sexuelles, est suspecté d’avoir privé de sa vie Marie-Christine Hodeau à Milly-la-Forêt. Il y a évidemment une différence de degré entre ces différents faits, mais pas de nature : dans les trois cas, l’auteur méprise sa victime qu’il ravale au rang d’objet.

J’ai entendu un bel esprit déclarer que l’on ne pouvait, avant de faire d’un citoyen un ministre, fouiller dans son histoire pour en débusquer d’éventuels faits ou dits répréhensibles. Et pourquoi pas ? Pour un certain nombre d’emplois, on n’hésite pas à exiger des candidats qu’ils fournissent un extrait de casier judiciaire. Pourquoi en irait-il différemment pour celui de ministre ? D’autres avancent la présomption d’innocence, affirmant qu’aucun fait n’a à ce jour été établi et que l’on ne sait si le texte incriminé relate des expériences vécues ou des fantasmes. Certes, mais venant d’un camp qui a tôt fait de déclarer coupables des prévenus, l’argument prête à sourire. Et faire l’apologie de crimes n’est guère moins coupable que les commettre.

Autre argument : critiquer la conduite ainsi décrite, c’est servir le Front national. Depuis quand faudrait-il s’abstenir d’apprécier la conduite d’un ministre au prétexte que le Front national l’a déjà condamné ? Dans quel pays vivons-nous, où un ministre de l’Intérieur a déjà pu impunément outrager les Auvergnats ?

Quand on s’abrite derrière la sainteté de la vie privée, c’est le plus souvent que cette vie privée a cessé d’être sainte, si tant est qu’elle l’ait jamais été.


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