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Arts (1952-1966) - Le temps de la critique à l'état furieux

Par Timotheegerardin
Arts (1952-1966) - Le temps de la critique à l'état furieuxJacques Laurent, le patron de la revue Arts de 1954 à 1958 - journal qui a connu cette année une résurrection sous forme d'anthologie, aux éditions Tallandier - a eu un jour ce commentaire inspiré: "Il y a deux sortes de critiques de cinéma. D'abord une critique dont l'enseigne pourrait être la cuisine bourgeoise. Et puis il y a une intelligentsia qui pratique la critique à l'état furieux. Truffaut est l'un des représentants les plus doués de cette dernière sorte." C'est donc logiquement que Arts est devenu, jusqu'en 1958, le défouloir du futur cinéaste, dans la ligne (droite) de son premier article aux Cahiers du Cinéma: "Une certaine tendance du cinéma français". Une entreprise en démolition dirigée contre le cinéma de salon, le "cinéma de qualité" à la française - ne sont épargnés ni les scénaristes, ni Cannes, ni surtout Claude Autant-Lara.

Pauvre Claude Autant-Lara... Bouc-émissaire de Truffaut parce qu'il représente le cinéma empoudré qu'il déteste, il est qualifié successivement, au fil des articles, de "bourgeois", de "faux martyr", de "lâche", de "censeur", de "père courage" et d'"opportuniste". Ce feu d'artifice a, comme il se doit, un bouquet final. C'est en 1957: "Lorsque j'ai écrit sur Autant-Lara, que ce soit avant ou après La Traversée de Paris, les mêmes mots sont venus sous mon clavier: grossièreté, hargne, méchanceté, mesquinerie, muflerie, menue bassesse, délire, exagération. Ce sont les mots clés." Le futur auteur des 400 coups avait en effet poussé le raffinement sadique jusqu'à écrire une critique positive sur La Traversée de Paris, en se gardant bien de faire rejaillir le moindre mérite sur le metteur en scène - un peu comme le millionnaire balance trois centimes au clochard du coin.
Il faut dire cependant que la passion de Truffaut pour la polémique est à la mesure de sa passion pour le cinéma. Et derrière la querelle, on perçoit bien la divergence esthétique, avec ses débats éthiques et politiques - par exemple sur la censure qui, nous dit-il, existe surtout pour ceux qui n'essaient pas de la contourner. Être cinéaste, pour Truffaut, c'est se donner les moyens de pouvoir répondre de son film au moment où il est projeté. On le voit bien dans ce recueil d'articles: Arts était aussi un endroit où se prolongeait le combat de la politique des auteurs. Un journal où on ironisait, certes, où on tournait en dérision le festival de Cannes et le manque d'ambition du cinéma français, mais pour donner plus de relief aux grands maîtres que sont Renoir, Rosselini ou Bresson. Et même le jeune François Truffaut, en qui bouillonne le cinéaste, tempère sa propre fougue dans un article contre le jeunisme intitulé "Il est trop tôt pour secouer le cocotier. Les dix plus grands cinéastes du monde ont plus de 50 ans". C'est un peu comme Jean-Paul Belmondo qui râle, dans A bout de souffle: "j'aime pas les jeunes..."
Truffaut n'est pas le seul de sa clique à écrire à Arts. On y trouve aussi Godard - qui signe notamment un entretien avec Rossellini et un autre avec Renoir -, l'indispensable Rohmer et, pour la seule critique qu'il n'ait jamais écrite, Louis Malle. Ce dernier se livre à une exégèse subtile du Pickpocket de Robert Bresson, dans un article de 1959. C'est ce qui apparaît, d'ailleurs, dans cette anthologie rassemblée par Henri Blondet: Arts a été, pendant une grosse dizaine d'années, le creuset de beaucoup de talents, dépassant largement par le prisme des styles la seule troupe dite des hussards (Jacques Laurent, Roger Nimier, Michel Déon, Antoine Blondin). Au contraire, la variété des signatures (par exemple Bernard Frank, Jean-René Huguenin ou Boris Vian), en même temps que celle des sujets traités, a vite fait déborder le journal de sa mission uniquement critique. Que ce soit Giono parlant de l'affaire Dominici ou Marcel Aymé racontant une exécution capitale, c'étaient des visions d'écrivains qui s'amalgamaient, à l'époque bénie de Arts, aux événements de l'actualité.

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