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Europe: "des batailles homériques en vue", par YVES CLARISSE

Publié le 19 octobre 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Sélection Relatio sur Reuters

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 L'accord sur le traité européen met fin à une interminable période d'introspection institutionnelle, mais la persistance des égoïsmes nationaux laisse présager des batailles homériques pour le pouvoir. Les dirigeants de l'UE ont achevé aujourd'hui  une négociation entamée il y a dix ans déjà pour doter l'Europe élargie d'institutions efficaces et marquée par la crise engendrée par les "non" français et néerlandais à la Constitution. En soi, ce résultat constitue une étape importante et le "père" du défunt document, l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing, n'a pas manqué de le noter.

"Le texte reprend l'ensemble des avancées institutionnelles contenues dans le projet constitutionnel", a-t-il fait remarquer, tout en regrettant que les capitales européennes aient systématiquement gommé les références - hymne, drapeau ou devise - qui auraient selon lui permis aux citoyens de s'identifier à une construction européenne désincarnée.

Le vote à la double majorité - des Etats et de la population - remplacera l'usine à gaz actuelle, l'UE disposera d'un véritable ministre des Affaires étrangères, même s'il n'en aura pas le titre, et le Conseil européen aura un président permanent, mettant fin à l'aspect le plus ubuesque de la rotation semestrielle des présidences."C'est l'essentiel : les outils proposés sont intacts. L'Union européenne pourra mieux fonctionner", a estimé "VGE".

Il reste cependant à transformer l'essai - seule l'Irlande ayant annoncé un référendum, un accident de ratification n'est pas exclu, même s'il est improbable - et l'entrée en vigueur du nouveau texte en 2009 ne sera que partielle.

DIX ANS DE PLUS AVEC DE VIEILLES RÈGLES

De facto, le vote à la double majorité n'entrera en vigueur qu'en 2017 et l'Union devra donc vivre dix an de plus avec des mécanismes de décision qui datent d'il y a 50 ans, lorsqu'elle ne comptait que six Etats membres.

Le Conseil européen de Lisbonne a également démontré que les égoïsmes nationaux restaient très vivaces et les nouvelles institutions risquent d'être paralysées par les différends.

Le Royaume-Uni a obtenu un statut d'exception qui permettrait même à la Suisse d'adhérer à l'Union européenne. Il ne sera pas dans l'euro, choisira à la carte les coopérations policières et judiciaires auxquelles il souhaite adhérer et ses citoyens ne bénéficieront pas de la Charte des droits fondamentaux: c'est un "self-service", a regretté le député européen Andrew Duff, un libéral-démocrate britannique. Malgré ces victoires, le Premier ministre britannique Gordon Brown se fait incendier vendredi dans la presse populaire de son pays.

Judas qui brade la souveraineté britannique sur l'autel des "Etats-Unis d'Europe" pour The Sun, "traître" pour The Daily Express, Gordon Brown aura beaucoup de mal à mieux intégrer son pays dans l'Union européenne, si tant est qu'il le veuille. Jeudi, lors de sa première conférence de presse européenne, il a cité à 19 reprises "l'intérêt national britannique" avec des accents que n'aurait pas reniés Margaret Thatcher.

Si les jumeaux au pouvoir en Pologne ont fini par accepter un texte qu'ils ont tant combattu, c'est parce que les frères Kaczynski ont obtenu satisfaction: même après 2017, ils pourront prolonger les négociations si Varsovie est mis en minorité.

ÂPRES CONFRONTATIONS

Enfin, et c'est peut-être un signe des temps: l'Italie, pays fondateur de l'UE dirigé par Romano Prodi, un ex-président de la Commission européenne, a menacé de faire capoter la négociation pour obtenir ... un député de plus au Parlement européen. Ce concours de muscles n'augure rien de bon pour l'avenir.

Le premier test interviendra assez vite, lorsqu'il s'agira de désigner les hommes qui assumeront les plus hautes charges. Il faudra se mettre d'accord avant 2009 sur les noms des présidents de la Commission et du Conseil européen, ainsi que sur ceux du "ministre" des Affaires étrangères et du prochain président de l'Eurogroupe, fonction assumée pour l'instant par le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Le marchandage ne manquera pas de provoquer d'âpres confrontations Nord-Sud et Est-Ouest, sans compter les traditionnelles batailles entre "petits" et "grands" pays. Nicolas Sarkozy a déjà son idée: il verrait bien José Manuel Barroso rempiler à la Commission et estime qu'il serait "intelligent" que Tony Blair préside le Conseil européen.

Lorsque cette épreuve sera surmontée, les détenteurs des nouveaux postes devront se créer un espace pour exister, comme le montre la lutte incessante de Juncker pour parler au nom de l'euro dans les enceintes internationales comme le G7.

Le responsable des Affaires étrangères de l'UE, qui sera enfin doté d'un service diplomatique et d'un budget à sa mesure, devra jouer des coudes face à des ministres et à leurs administrations jalouses de leurs prérogatives.Le Royaume-Uni a mené une bataille de tranchées pour limiter son pouvoir et il faudra une véritable révolution culturelle pour que la diplomatie française cesse de faire cavalier seul. Le président du Conseil européen devra quant à lui se battre face à 27 chefs d'Etat et de gouvernement qui n'entendent pas, Nicolas Sarkozy en tête, lui céder les premiers rôles.

Enfin, la durée de vie du traité n'est pas définie et certains arrangements, comme le nombre de sièges au Parlement européen de commissaires, devront à court ou moyen terme être révisés, ce qui laisse présager d'autres querelles.

Yves Clarisse (Reuters)

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