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Le coffre magique (suite)

Publié le 24 octobre 2009 par Feuilly

Nous continuions donc notre progression en rangs serrés. Arrivés à l’extrémité Sud du grenier, nous nous retrouvions devant une petite porte basse, à côté de laquelle se dressait un miroir poussiéreux qui nous renvoyait une étrange image de nous-mêmes, comme si nous avions surgi d’un passé éloigné ou comme si nous avions été notre propre fantôme. Nous avions alors l’impression d’avoir déjà vécu ailleurs, en d’autres lieux, à une époque indéterminée. Cette rencontre avec le reflet de notre propre mort n’avait rien de réjouissant et c’est bien vite que nous ouvrions la petite porte pour pénétrer dans le deuxième grenier, tout différent du premier. On se trouvait ici directement au-dessus de la boulangerie et une fenêtre à croisillons donnait sur la cour intérieure de la maison. Cette pièce ressemblait donc plus à une chambre désaffectée qu’à un véritable grenier. A terre, sur de vieux journaux, s’étalaient des pommes de toutes les couleurs, entreposées là pour l’hiver. Leur odeur acide emplissait les lieux d’un parfum étrange, quelque peu troublant, qui nous enivrait et nous faisait rêver aux mystères de la terre, à la jeune sève qui montait dans les branches, aux abeilles fécondantes et aux fruits qui bientôt allaient mûrir sous les soleils d’un été infini.

Un rapide coup d’œil en contre-bas, dans la cour intérieure, nous rassurait : l’alerte n’avait pas été donnée, signe que notre disparition n’avait pas encore été remarquée. Nous pouvions donc continuer notre progression, aussi fiers de notre tactique militaire que des guerriers iroquois sur le sentier de la guerre.

Une autre porte s’ouvrait dans un des murs blancs, peints à la chaux. Il suffisait de descendre trois petites marches et nous nous retrouvions enfin dans le saint des saints, le grenier secret où jamais personne ne venait, à part nous bien entendu. Nous refermions donc la porte avec précaution et tirions le verrou que nous avions installé lors des grandes vacances précédentes. Isolés du monde, aussi introuvables que des fourmis dans un tas de feuilles mortes, nous pouvions alors jouir de ce lieu qui n’était qu’à nous. En fait, à part quelques vieux tapis qui nous permettaient de nous asseoir, il n’y avait rien ici, rien qu’un très vieux coffre en chêne qui occupait le centre de la pièce. Si des adultes étaient parvenus à pénétrer en ce lieu (chose absolument impossible donc), ils n’auraient certainement rien compris à notre enthousiasme. C’est que le secret de l’énigme se trouvait dans le coffre-même et c’est bien pour son merveilleux contenu que nous avions fait tout ce chemin et pris tous ces risques.

Certains prétendaient qu’on l’avait retrouvé sur une plage, un jour de tempête d’équinoxe, et qu’il avait dû appartenir au capitaine d’une bande de corsaires. D’autres étaient d’accord avec cette histoire de corsaires, mais ils pensaient plutôt que le coffre était arrivé jusqu’à nous par le biais d’un héritage, ce qui conférait à notre famille une origine certes douteuse mais ô combien glorieuse et merveilleuse. Cette version était fort séduisante, mais d’autres encore, plus réalistes et un peu rabat-joie, affirmaient prosaïquement que le coffre avait tout bonnement été acheté dans une brocante par le grand-père dont on pouvait encore admirer la photographie dans le salon. C’est probablement cette version qui était la bonne, mais c’est aussi celle qui rencontrait le moins d’adhésion. Comme on le pense bien, cette idée d’avoir pour ancêtres de véritables pirates plaisait à beaucoup d’ente nous. Nous imaginions des courses sur l’écume au cœur des Caraïbes, des abordages sanguinaires, des combats au couteau et finalement la mise à sac de quelque cargaison d’or et d’épices. Les marchands, à genoux, imploraient grâce devant ces marins sans foi ni loi, au regard fier et au cœur ténébreux. D’un geste débonnaire et un peu méprisant, ils accordaient la vie à ces sous-hommes qui avaient misé sur le négoce pour faire fortune et qui, sans prendre de risques exagérés, revendaient bien cher à de pauvres gens les denrées qu’ils avaient achetées à vil prix auprès de plus pauvres encore. Pour l’exemple, avant de quitter le navire, les pirates en trucidaient tout de même un ou deux, histoire de montrer que la vie est remplie d’imprévus et que ce n’est pas avec de l’or qu’il convient de l’affronter, mais avec du courage et de la fierté. Alors, devant les yeux médusés et remplis de frayeur des survivants, ils regagnaient leur bateau et hissaient la grande voile, qui se mettait à flotter avec des claquements secs. Bientôt, emportés par les alizés, ils n’étaient plus qu’un songe qui s’efface sur la mer et seule une chanson de marins ivres parvenait encore par intermittence, signe improbable de leur présence dans le monde.

Voilà ce que nous nous racontions, assis en cercle sur nos tapis usés jusqu’à la corde, et il nous semblait parfois entendre comme le souffle d’un vent tropical quand ce n’était pas carrément les craquements de la boiserie de notre navire sous la poussée de la houle. Mais non, ce n’était qu’un courant d’air qui s’infiltrait par la lucarne ou une poutrelle qui gémissait sous le poids de la toiture centenaire. En attendant, tous ces chevrons qui s’entrecroisaient sous nos yeux et qui se rassemblaient près de la poutre faîtière nous donnaient l’impression de vivre dans la cale d’une fière caravelle en partance pour la lointaine Amérique et il ne manquait plus que le roulis pour que l’impression fût complète.

Mais non, notre plancher était bien stable et la maison immobile. A travers les tuiles, nous parvenaient les aboiements d’un chien, quelque part dans le village et nous reprenions alors conscience du lieu où nous nous trouvions et de ce que nous étions venus y faire. Le capitaine du jour se levait soudain et un grand silence se faisait. Il s’approchait du coffre et posait une main dessus, comme pour bien sentir sa présence et s’imprégner de son mystère. Il caressait un peu les grosses moulures de fer qui ornaient ses pourtours, parcourait les veines du bois, s’arrêtait sur un nœud, puis s’acheminait vers le trou qui avait contenu la serrure. Enfin, d’un geste lent et sacré, il soulevait le couvercle dans le silence général.

(à suivre)

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