Magazine Beaux Arts

Salle 5 - vitrine 1 : les ostraca figurés avec simiens

Publié le 27 octobre 2009 par Rl1948
SALLE 5 - VITRINE 1 : LES OSTRACA FIGURÉS AVEC SIMIENS


   Dans l'optique de l'évocation des différents objets thématisant l'élevage présentés dans la vitrine 1 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, j'avais attiré votre attention, souvenez-vous ami lecteur, le mardi 13 octobre sur ce qu'était un ostracon et, mardi dernier, sur les ostraca mettant en scène des bovidés.    Nous nous étions quittés en envisageant d'aujourd'hui nous pencher sur deux autres de ces fragments de calcaire, à la gauche de l'ensemble des bovins, dont le singe constitue l'élement figuré principal.

   Nonobstant le fait que leur présence est parfaitement avérée sur le territoire égyptien dès la fin de la Préhistoire, - les archéologues ont en effet mis au jour des petites statuettes en pierre les représentant -, ces animaux proviennent incontestablement de Nubie, du Soudan et de l'Abyssinie où ils vivaient en toute liberté, le désert égyptien ne constituant pas vraiment leur biotope de prédilection.

     A l'Ancien Empire, les Textes des Pyramides mentionnent un dieu singe appelé "Le Grand Blanc", ou le "Grand de la Chapelle blanche", ce qui laisse sous-entendre qu'à cette époque, déjà, il était divinisé.

   Et dans les chapelles funéraires des mastabas de Saqqarah, comme ceux de Ti, de Neferirtenef,  de Mererouka, de Kagemni ..., apparaissent des scènes peintes, ou des bas-reliefs qui y font référence : on les voit se mouvoir en compagnie de leur dresseur, un nain, nu le plus souvent, et de lévriers, autre animal familier.

   Les détails sont si précis qu'il nous est possible de déterminer l'existence de deux catégories de simiens différentes : les cynocéphales, babouins lourds de silhouette (
Papio Hamadryas), connus dans la langue égyptienne sous l'appellation de kiki (ou parfois kaka) et les cercopithèques, gef en égyptien, animal de plus petite taille, mais à longue queue traînante.

   Ces peintures, nombreuses, à l'Ancien Empire, font allusion à diverses situations dans lesquelles les singes semblent être partie prenante.
Parce que rares, donc précieux,  ils furent toujours prisés : on les voit en effet participer à des scènes de danse et de musique, grimper aux arbres, virevolter avec agilité de cordages en cordages ou se pavaner sur les hautes vergues des bateaux, jouer sous le siège de leur maître (en réalité, et selon les conventions du dessin égyptien, il nous faut comprendre : à côté de ce siège).

   Mais au Moyen Empire, ce type de représentation s'amenuisant, seules les tombes des nomarques de Béni Hassan à la XIIème dynastie et celles, fouillées par l'égyptologue belge Jean Capart, de hauts fonctionnaires à el-Kab en proposent l'une ou l'autre. Cela s'explique aisément par le fait que cette période, j'ai déjà abondamment eu l'occasion de l'évoquer avec vous les 5, 16 et 23 mai derniers
, a souffert des dissensions qui ont provoqué la chute de l'Ancien Empire et entraîné un net appauvrissement de la population. Or le singe, animal de luxe et de distraction pour les riches de l'époque qui avait précédé ces luttes internes, avait perdu de son attrait dans une société plus démocratique et bouleversée par une remise en question de ses racines.

     A quelques exceptions près donc, plus de singes gambadant, grimpant, dansant ou divertissant un maître et ses enfants dans les tombeaux du Moyen Empire et de la Deuxième Période intermédiaire. Seuls les chiens semblent encore bénéficier d'une certaine faveur.

     En revanche, avec le Nouvel Empire, avec  la stabilité politique et la prospérité retrouvées grâce, notamment,
à Âhmosis, le souverain fondateur de la XVIIIème dynastie, qui pratiqua une politique coloniale d'envergure tant au Proche-Orient qu'en Nubie et au Soudan, pays "exportateurs", les singes réapparaissent en nombre dans la décoration des hypogées thébains.

     De sorte que tombeaux et temples funéraires reprennent à l'envi les thèmes des mastabas de l'Ancien Empire, mais en en modifiant certains détails : c'est ainsi que l'on ne relève plus que deux ou trois scènes avec des singes jouant dans les voiles des bateaux ; ou que ce ne sont plus des serviteurs nains (qui disparaissent d'ailleurs quasiment complètement de l'iconographie), mais bien
de jeunes esclaves nubiens, qui sont préposés à la garde de ces animaux apportés, en même temps que girafes, léopards et autres guépards, par les  tributaires étrangers, émissaires des monarques des Pays de Kouch, territoire au sud de l'Egypte, jusqu'à la quatrième cataracte, et de Pount, contrée quasiment mythique située au niveau de l'Erythrée et de la Somalie actuelles.    La littérature fait également allusion à ces transports de simiens dans le célèbre Conte du Naufragé qui, par parenthèses, ne nous est connu que par un seul papyrus de 3, 80 mètres de long conservé au Musée de l'Ermitage à Léningrad (Ms 1115), et énumère, parmi les produits précieux de qualité tels que oliban, huile de térébinthe et autres parfums, défenses d'ivoire et chiens de chasse que les Egyptiens se procuraient précisément dans ces régions - et dont d'ailleurs font largement écho des scènes du temple d'Hatchepsout, à Deir el-Bahari -, "des cercopithèques et des babouins" que le héros chargera sur son navire.           Les riches de cette époque faste ne se privèrent pas de posséder plusieurs singes et, parallèlement, plusieurs jeunes esclaves nubiens pour les dresser et les garder.

   Partant de la constatation qu'ils ne sont jamais figurés avec une épaisse couche de poils dont sont affublés les mâles dans la réalité, alors que chez les femelles ce poil est nettement plus court, nous pouvons sans crainte d'erreur aucune affirmer que seules ces dernières avaient été domestiquées, l'indomptabilité de leurs partenaires empêchant leur dressage.


     Comme je l'ai souligné au tout début de notre entretien, avant cette petite introduction historique, la vitrine 1 devant nous propose deux ostraca de calcaire sur lesquels apparaît un de ces animaux.

   Le premier (E 14339), à l'arrière-plan, d'une hauteur de 9, 5 cm pour 6, 5 cm de long, d'une épaisseur de 1, 8 cm représente un jeune babouin, au cou et à la taille enserrés d'un ruban ocre, qui se déplace à quatre pattes en se retournant probablement vers le dresseur qui le maintient en laisse, avec une expression relativement menaçante, voire colérique, et pour le moins manifestement peu résignée.

  SALLE 5 - VITRINE 1 : LES OSTRACA FIGURÉS AVEC SIMIENS  

   Si l'on se réfère aux scènes habituellement dessinées sur les ostraca, il  semblerait qu'apprendre à se mouvoir tenu en laisse constituerait effectivement la première des étapes de la future domestication ; la "leçon de danse", programmée pour divertir leurs riches propriétaires, la deuxième et, bien évidemment, la cueillette des fruits des palmiers, si souvent représentée par les artistes, la troisième.

   Le second, (E 27666) immédiatement en dessous, figure précisément semblable scène. D'une hauteur de 7, 8 cm et d'une longueur de 11 cm,  ce fragment de calcaire provient, par parenthèses, tout comme celui de mardi dernier portant le numéro d'inventaire E 27668, de la collection de l'égyptologue français Alexandre Varille (1909-1951) et fut acheté par le Louvre en 1994.  
SALLE 5 - VITRINE 1 : LES OSTRACA FIGURÉS AVEC SIMIENS

         On y voit un dresseur nubien entièrement nu, reconnaissable à son crâne rasé, occupé à apprendre à un babouin qu'il tient en laisse la manière de grimper vers le sommet d'un palmier-dôm (Hyphaene Thebaica) caractérisé par un tronc droit se subdivisant en deux branches à partir d'une certaine hauteur et de larges feuilles en forme d'éventail.     L'artiste, pour signifier l'ensemble, n'a dessiné qu'un seul fruit à l'aspect d'une grosse et lourde grappe de noix à l'écorce brune et lisse. Vous remarquerez qu'ici les conventions de couleurs de l'art égyptien ont été parfaitement respectées pour ce qui concerne le jeune esclave nubien ; l'ocre rouge de sa peau a toutefois aussi été choisie - autre convention analogue - pour le tronc de l'arbre, légèrement rayé par ailleurs de petites zones noires figurant les traces des anciennes branches tombées au fur et à mesure de sa croissance, mais aussi pour la noix-dôm.   
  SALLE 5 - VITRINE 1 : LES OSTRACA FIGURÉS AVEC SIMIENS  
   Arguant du fait que le singe était l'animal sacré du dieu Thot, patron des scribes, qui pouvait  ainsi être représenté sous forme de babouin, comme ici, au Musée du Louvre, dans la vitrine 10 de la salle 24, à l'étage, ce groupe (E 11153) du scribe royal  et prêtre lecteur en chef, Nebmeroutef, mais aussi que le palmier était également dédié à ce même dieu, comme le prouve, entre autres, le Papyrus Sallier qui nous a conservé une prière qui lui était adressée : "Grand palmier de soixante coudées, ô toi dans lequel sont les noix ; les noyaux sont dans ces fruits et de l'eau dans les noyaux ...", certains égyptologues, tout en admettant que cette intention ne perdura pas dans l'esprit des artistes, pensent qu'il y eut peut-être une connotation religieuse qui sous-tendit la représentation d'un singe grimpant à l'assaut d'un palmier.

     Quoiqu'il en soit de cette hypothèse, force est d'admettre que, dans la réalité quotidienne des palmeraies ou des jardins privés des nobles de la vallée du Nil, il ne devait nullement être rare de les voir s'élever jusqu'au faîte de ces arbres, soit qu'ils avaient été dressés aux fins d'en cueillir les fruits, soit parce que, plus prosaïquement, ils en raffolaient eux-mêmes.

     Je voulais aujourd'hui, ami lecteur, tenter de vous démontrer qu'à pratiquement toutes les époques de  leur histoire, les Egyptiens de la classe le plus souvent dominante, élevant dans leurs demeures quelques animaux préalablement apprivoisés, choisirent le singe pour en faire leur "jouet" favori. Certes, il y eut un côté pratique à leur présence - cueillette des fruits du palmier, divertissement -, mais je pense également que le comportement même de ce petit animal, sa drôlerie, son don d'imitation, ses facéties aussi parfois, son intelligence assurément, ne sont pas à négliger dans ce choix.

     Et pour notre part, c'est grâce aux  innombrables représentations que, sur tous supports, en firent les artistes égyptiens qu'il nous est loisible de comprendre cet engouement si sympathique qui exista pour ce petit animal.            
   Conscient, toutefois, que les deux seuls ostraca ici exposés ne sont pas suffisamment représentatifs de tous les sujets traités par ces scènes en rapport avec les singes, je ne puis, une fois encore, que vous  inciter à vous rendre à l'étage supérieur, salle 28, et à vous pencher, devant la deuxième fenêtre de droite, au-dessus du pupitre vitrine auquel je faisais déjà allusion la semaine dernière : là vous pourrez peut-être mieux "visualiser" mes propos de ce matin ... avant que, pour poursuivre notre investigation des fragments de calcaire de cette vitrine 1, nous nous retrouvions, après le petit détour par Prague prévu ce samedi 31, le mardi 10 novembre, au sortir de la semaine du congé de Toussaint ; congé que je vous souhaite d'ores et déjà très agréable.



(Andreu : 2002, 184; Lefebvre : 1988, 29-40; Vandier d'Abbadie : 1946, 6-21; 1964, 147-77; 1965, 177-88 et 1966, 143-201)

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Rl1948 2931 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte