Magazine Politique

La Chine et le Japon : les fondements invisibles de deux puissances

Publié le 27 octobre 2009 par Infoguerre

A l’heure du positionnement de la Chine comme dauphin de l’économie mondiale, il est primordial de réfléchir à son approche de l’économie de la connaissance. Le Japon, derrière les Etats-Unis depuis 1968, est aujourd’hui largement concurrencé sur son périmètre d’influence historique par cette nouvelle puissance, non plus émergente mais affirmée. Le Japon et la Chine sont cependant à des stades différents de leur développement. Si le Japon a toujours joué un rôle majeur dans l’économie de la connaissance, la Chine a pris le virage pour en faire un de ses chevaux de bataille. Cette question est d’autant plus intéressante qu’elle incite à s’intéresser aux fondements invisibles de deux puissances, l’une qui est dans une logique de conservation, l’autre dans une logique de domination.

« La connaissance est la clé du pouvoir, de la sagesse », Confucius, Les Entretiens (5ème siècle avant JC)

Dans l’analyse des puissances, plusieurs angles sont possibles. La puissance militaire ou démographique, la dépendance énergétique sont des approches fréquemment rencontrées. L’intelligence cognitive l’est moins. Appelée aussi « économie de la connaissance » (Maitre, Vicente) ou  « société de la connaissance » par différents auteurs (Rieu) elle «consiste à se doter des moyens opérationnels nécessaires pour comprendre et dominer par le savoir le fonctionnement de la mondialisation».

L’économie de la connaissance correspond à l’observation faite en Occident que les connaissances deviennent incontournables dans les entreprises, elle vise donc à proposer un nouveau modèle économique, une autre organisation et vision du développement d’entreprise. Pour encourager cette économie immatérielle, la Chine et le Japon ont mis les moyens nécessaires

Comme le précise le President Hu Jintao en Janvier 2006 : « By the end of 2020… China will achieve more science and technological breakthroughs of great world influence, qualifying it to join the ranks of the world’s most innovative countries, la Chine affiche des objectifs ambitieux pour développer une économie de la connaissance compétitive. Plusieurs aspects dévoilent cette facette de la puissance chinoise. Les investissements en recherche & développement de la Chine ont augmenté de 20% chaque année depuis 1999, elle est ainsi devenue en 2006, selon l’OCDE, le 2ème investisseur mondial en R&D. Le nombre de chercheurs a beaucoup cru. Des nuances s’imposent, si l’on rapporte ces chiffres à la population de la Chine, comparativement à l’Occident, l’effort est moins soutenu, mais il reste significatif de la volonté chinoise de compter dans ce domaine. Le dépôt de brevets reste lui encore inférieur à celui du Japon, leader technologique régional et mondial. Pour dépasser son stade actuel, la Chine doit passer d’un « technology market taker » à un « technology market maker » Reine de la reproduction, la Chine produit plus d’ingénieurs que l’Europe réunie, mais elle investit peu en recherche fondamentale, non sans raison. Sa politique de transfert de technologie a une fin reconnue, elle ne vise pas à accroître le stock de connaissances mondiales, mais d’abord et avant tout à assurer sa propre souveraineté. Cette approche est issue historiquement de la culture confucianiste de la Chine, elle vise à mettre la recherche au service du peuple et de la grande harmonie. La Chine est ainsi vue comme une « puissance technologique émergente ». Coupler ce constat à la montée du soft power chinois avec ses instituts Confucius, dopés par un large financement du Bureau du Conseil International pour la Promotion de la Langue Chinoise qui ferait rougir nos Alliances Françaises laissées pour compte, nous faisons alors face à la puissance invisible de la Chine. Cette dernière, si on s’intéresse aux éléments constitutifs d’une puissance, lui permettra, avec sa force économique croissante, à prendre le leadership mondial d’ici 2020. 

Le Japon, leader économique historique de l’Asie

Le Japon est doté de l’arsenal le plus compétitif en matière d’économie de la connaissance. En 2008, il est toujours vu comme la deuxième puissance mondiale, cette posture historique va bientôt changer. Sans même parler de la crise mondiale de 2008, le Japon a connu une grave crise, financière et économique, dans les années 1990 qui eut pour cause de ralentir sa croissance alors que celle de la Chine croissait au même moment. Yoshikawa Hiroyouki, président de l’Université de Tokyo, identifie des causes structurelles à cette crise dans la politique d’innovation : les relations entre l’Etat et les entreprises n’étaient plus adaptées à la mondialisation et à l’accélération des échanges, par exemple, dans les années 1980, les japonais ont accentué les recherches fondamentales qui incluent des investissements lourds et risqués. Suite à cette crise il n’a pas bénéficié des retombées positives de ses propres recherches. Couplé à une recherche publique faible, celle-ci n’a pas suivi les grandes évolutions scientifiques et techniques.

Ainsi le Japon ne dispose pas des recherches amont dans les technologies émergentes (nanotechnologies, nanosciences, biotechnologies, énergie, etc.) Il risquait donc d’être très dépendant vis-à-vis des pays leaders de ces technologies s’il n’entreprenait pas des réformes majeures. Le Japon a construit un plan pour redonner sa force au Japon et rebâtir des liens avec les nouvelles attentes de l’économie. Par exemple toutes les universités ont obtenu un statut privé et les anciens fonctionnaires fonctionnent désormais via des contrats ; l’Etat a aussi débloqué un budget pour embaucher 10 000 post-doctorants, d’où qu’ils viennent pour doper leur recherche. L’appareil politique dédié à la recherche a été restructuré avec la création du CSTP (Council for Science and Technology Policy), il détermine la politique scientifique, les priorités de recherche et le budget, il est directement placé auprès du premier ministre, ce qui sous-tend que l’économie de la connaissance est un axe stratégique pour le Japon.

L’Occident contre l’Orient dans la course à l’innovation

Face à  la Chine, puissance technologique émergente, et au Japon qui a entrepris des réformes de fond pour doper sa recherche, l’Occident est en retard. Nous assistons à un déplacement du centre de gravité technologique vers l’Orient. Ce constat en implique un autre, si cet avenir se vérifie et il y a de fortes chances que ce soit le cas, nous assisterons à  une dépendance croissante de l’Occident vis-à-vis de l’Orient, et, voyons large, celle-ci aura des conséquences désastreuses dans l’avenir, car c’est maintenant que se décide la recherche, l’innovation et les nouveaux produits de demain. Tout comme le Japon qui a su se réformer pour rester compétitif dans l’économie mondiale mais surtout vis-à-vis de la Chine, son concurrent et partenaire principal, la France, a besoin d’un appareil d’Etat donnant l’impulsion à une recherche placée auprès des secteurs stratégiques pour une collaboration pertinente. 

Hélène MAROT

A lire également :

  • Les relations contradictoires entre la Chine et le Japon
  • L’affrontement Chine-Japon sur le marché asiatique de l’automobile : Gentlemen Agreement ou jeu de Go ?
  • La Chine sera-t-elle notre pire cauchemar ?

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Infoguerre 2399 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines