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Comment devenir un expert en douze mois et dix minutes

Publié le 29 octobre 2009 par Amaury2point0

Si j’exposais dans une note précédente que le temps est une ressource qui s’échange conformément à la loi de l’offre et de la demande, il en va de même des compétences : plus vous disposez d’un savoir-faire rare, plus vous pouvez le convertir en quelque chose de valeur (un plus gros salaire, plus de temps, etc). Or c’est une chose que j’ai longtemps trouvé difficile que de les mettre en valeur. Et puis un jour j’ai changé de mission et j’ai eu le déclic : je suis passé en un an du statut de petit jeune qui a tout à apprendre à celui d’expert qui enseigne à collègues et clients l’art de la gestion de crise. Petit guide pratique pour devenir expert en douze mois et dix minutes de lecture de ce billet.

Ne visez pas trop haut.

On a tendance à voir l’expert comme une sommité ayant réponse à toute question relative à son domaine d’expertise. Pour caricaturer, ce sont les vieux types en blouse blanche, les gourous du management, les gens qui ont consacré vingt ans ou plus à leur sujet de prédilection. Il n’est pas nécessaire en vérité de placer la barre si haut. Raisonnablement si vous en savez plus que 90% de votre auditoire sur un sujet donné (niveau relativement vite atteint comme on le verra dans le paragraphe suivant), vous pouvez prétendre en être un expert. De fait on est toujours l’expert de quelqu’un d’autre : il suffit d’en savoir plus que lui. Ainsi mon avocat, s’il n’est pas une star du barreau, est-il mon expert en droit, et ma femme de ménage, mon experte en repassage. L’objectif étant désormais atteignable, voyons à présent comment l’atteindre.

Trouvez une niche et spécialisez-vous.

Gestion du temps oblige, il vous sera difficile d’être expert en tout. L’expertise suppose la spécialisation : à consacrer plus de temps que les autres à un sujet, vous en saurez vite plus long qu’eux sur celui-ci. Votre métier fait généralement de vous un expert de facto : du point de vue des autres services, vous avez l’expertise de votre activité. C’est aussi vrai en dehors de l’entreprise. Pour être le véritable expert de l’entreprise, spécialisez vous dans une ou deux tâches particulières assignées à votre service. J’ai pour ma part choisi la gestion des crises et l’analyse statistique. Ce que je fais dans l’équipe, les autres me l’ont laissé bien volontiers pour se consacrer à autre chose. Je suis ainsi très vite devenu celui qui maîtrisait le mieux ces deux activités, ce qui fait de moi le référent unique pour ces sujets.
Attention toutefois à bien choisir votre spécialité. Je doute en effet qu’il y ait beaucoup d’avenir à devenir l’expert en sudoku si vous envisagez un avenir dans l’aéronautique (et encore ! sait-on jamais ?). Tenter de développer une expertise que tout le monde brigue risque aussi d’être laborieux : tous mes collègues rêvent de devenir un jour chef de projet et leur concurrence mutuelle freine leurs ambitions tandis que j’avance tranquillement en surfant sur les crises que personne ne veut gérer. Comment donc trouver sa voie ? Eh bien cherchez quelque chose qui soit utile (pour que votre expertise soit valorisée), quelque chose qui vous plaise (car vous allez y consacrer beaucoup de temps) et quelque chose de différent des autres (pour limiter la concurrence). A la rigueur prenez deux ou trois cours de marketing et définissez votre niche (soyez gentil, n’empiétez pas trop sur les miennes :-) ).

Faites preuve d’assurance.

On fait appel aux experts pour deux choses : répondre à des questions auxquelles les autres n’ont pas la solution et se rassurer. Si vous avez bien lu le paragraphe précédent, le premier cas ne devrait plus être un souci d’ici quelques temps. Pour le second, il va vous falloir travailler la forme. J’ai ainsi un jeune collègue parfaitement compétent dans son travail mais qui commence presque toutes ses phrases par « Oui, [Machin] excuse moi mais je voudrais dire que… ». J’ai l’impression de passer ma journée à lui répéter de cesser de s’excuser de vouloir prendre la parole. Pourquoi ? Parce qu’il montre par là qu’il n’a pas confiance en lui, et dans ce cas pourquoi donc les autres lui feraient-ils confiance ? Etre expert, c’est avoir l’assurance de son jugement (dans son domaine d’expertise s’entend). Devenir expert, c’est donc développer sa confiance en soi.
Le risque ici, c’est de développer sa confiance plus vite que la maîtrise de son sujet : c’est faire preuve d’arrogance. Commencez donc à développer votre expertise et au bout d’un mois travaillez simultanément confiance et maîtrise. Ainsi la maîtrise aura-t-elle toujours un temps d’avance et tout ira bien.

Changez de look.

Toujours afin d’inspirer la confiance, prenez un congé d’une journée et faites une séance de shopping. L’objectif est de vous relooker en expert. J’ai pour ma part troqué le pantalon-chemisette de l’informaticien contre le costume-cravate des consultants de haut vol (400€/tenue) qui naviguent dans le sillage du patron. Pour ne pas être un simple clone, j’y ai ajouté une petite touche personnelle pour marquer ma différence en arborant fièrement le pin’s du lycée par lequel je suis passé (5€). D’accord c’est un investissement, mais voyons les résultats : les consultants haut-de-gamme m’ont admis parmi eux et je profite ainsi de leur savoir (jusqu’à ce qu’ils s’en aillent vers un client plus juteux et me laissent seul dépositaire de cette connaissance), l’accès à certaines réunions (du genre « t’as des baskets, tu rentres pas) m’a été ouvert, et j’ai pu y présenter toutes les compétences ce que j’avais assimilées à la machine à café auprès d’autres types en cravate partis bien loin depuis. Facile !

Soyez pédagogue.

Maintenant que vous maîtrisez votre sujet et que tout le monde vous fait confiance, il ne vous reste plus qu’un pas à faire pour devenir un expert : faites ce qu’un expert est sensé faire. J’entends par là que vous devez apprendre à transmettre vos connaissances. A quoi bon être un expert si c’est pour faire exactement la même chose qu’avant ? Votre rôle est désormais de répondre simplement aux questions compliquées et de rassurer ceux qui ont la réponse mais qui doutent.
Avant d’entrer dans le cercle,  je m’amusais de ce qu’on reconnaissait une réponse d’expert à ce qu’elle commence toujours par deux mots : « ça dépend ».  Par pitié, si vous prétendez à l’expertise, bannissez cette expression de votre vocabulaire. Je vous propose un exercice. Prenez un deuxième congé, d’une semaine cette fois, posez vous dans un endroit calme et prenez du recul sur votre sujet de prédilection et réfléchissez au mots à employer pour faire de moi (qui n’y connait rien) un novice prometteur dans le domaine en une heure. Vous verrez, cela suppose de beaucoup simplifier. Un expert, quel qu’il soit, devrait aussi être un expert en pédagogie.

Conclusion

Bravo ! Vous maîtrisez désormais un savoir-faire particulier que la plupart des autres n’ont pas, ils viennent vous trouver pour bénéficier de vos compétences et vous savez leur répondre intelligiblement. Vous voici devenu un expert. Reste maintenant à valoriser ce nouveau statut. Si on a vraiment besoin de votre expertise, ce devrait être assez facile. Fort de ma nouvelle légitimité d’expert, j’additionne en fin de moi les primes pour avoir su gérer telle situation délicate, fait progresser tel collègue junior, proposé telle autre innovation. On m’a même proposé récemment de prendre la tête d’une sorte de commando spécialisé dans la gestion des crises. C’est, je le reconnais bien volontiers, une situation très confortable mais, ne le cachons pas, bien méritée car l’investissement est énorme. Et pour que ça continue, je dois moi aussi continuer à progresser. Et là j’ai le choix : progresser verticalement en étant un expert encore plus compétent ou bien progresser horizontalement en étant un expert aux yeux de plus de monde. A vrai dire je fais les deux en affinant mes compétences et les diffusant le plus largement possible, par le biais de conférences et un peu de ce blog (oui ça va venir dès que j’aurai le temps de rédiger quelques billets).
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon courage et à attendre de vos nouvelles dans douze mois pour un débriefing.


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