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Maria Stuarda

Publié le 03 novembre 2009 par Porky

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Leyla Gencer (Marie)

La « Trilogie des Reines » ou la « Trilogie des Tudor », tel est le nom qu'on donne en général aux trois ouvrages de Donizetti consacrés à cette dynastie anglaise : Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834), Roberto Devereux (1837). Le présent billet sera consacré au volet central de cette trilogie. Anna Bolena a déjà fait l'objet d'un article ; il ne restera donc plus, après, qu'à s'attaquer (si on peut dire...) à Roberto Devereux.

Le surnom « Trilogie des Tudor » laisse cependant de côté un fait important : cette famille royale dont Henry VIII et Elizabeth 1ère sont les représentants les plus importants n'est pas la seule concernée par les trois ouvrages : Les Stuart sont également bien présents, surtout, évidemment, dans celui qui porte le nom de la plus célèbre reine d'Ecosse, Marie Stuart.

Un bref aperçu des réseaux historiques confirme le lien qui existe entre les trois opéras :

- Anna Bolena met en scène Henry VIII et deux reines d'Angleterre : Anne Boleyn et Jeanne Seymour. On évoque également à travers la « fille d'Anna » déjà Elisabeth 1ère, ainsi que la première femme de Henry VIII, Catherine d'Aragon, lorsque, au détour d'une réplique, on parle de « l'Aragonaise » ;

- Maria Stuarda réunit bien sûr Marie Stuart et Elisabeth 1ère, mais on évoque aussi Anne Boleyn (dans l'entrevue des deux reines, lorsque Marie traite Elisabeth de « figlia impura di Bolena ») et Henri Stuart (« Arrigo ») ;

- Quant à Roberto Devereux, il permet de retrouver Elisabeth 1ère face cette fois au second comte d'Essex, Robert Devereux. Là encore, les Stuart sont évoqués avec le roi Jacques VI d'Ecosse, qui deviendra Jacques 1er d'Angleterre (« Giacomo ») et l'ombre d'Henry VIII apparaîtra de nouveau (« Enrico »).

La vie, le destin et la personnalité de Marie Stuart ne pouvaient qu'en faire une héroïne « tragique » : née en 1542, morte en 1587, elle fut reine d'Ecosse de 1542 à 1567, Dauphine de France sous François 1er puis Reine de France de 1559 à 1560 par son mariage avec François II. Son second mari, Henri Stuart, père du futur Jacques VI d'Ecosse fut assassiné par l'amant de Marie, Bothwell, qu'elle épousa en troisièmes noces. En 1567, un soulèvement l'obligea à abdiquer et elle se réfugia en Angleterre. S'étant opposée à Elisabeth, puis compromise dans un complot visant à assassiner la reine, elle fut décapitée en 1587 sur ordre d'Elisabeth. Tel est donc le personnage historique dont Schiller s'est inspiré pour écrire un de ses chefs-d'œuvre et que Donizetti transformera en héroïne de drame lyrique.

1834 : Gaetano Donizetti a déjà composé 42 œuvres lyriques, il est un des compositeurs les plus en vue de l'Italie, ses œuvres triomphent dans toute la péninsule, que ce soit à Rome, Venise, Milan ou Naples. Et c'est à Naples que, justement, va lui être donnée l'occasion d'écrire son 43ème opéra. Ayant signé le 12 avril 1834 un contrat avec le Teatro San Carlo de Naples, il cherche un sujet et va composer, pendant l'été, Maria Stuarda.

Ayant un penchant certain pour les œuvres littéraires romantiques ou préromantiques, Donizetti ne pouvait qu'être attiré par la pièce de Friedrich Von Schiller, Marie Stuart, consacrée aux derniers jours d'emprisonnement de la reine d'Ecosse dans le château de Fortheringay. (Œuvre, qui d'ailleurs, maltraite fortement la réalité historique.)

Il confie le soin de l'adaptation de cette pièce au librettiste Felice Romani, mais celui-ci refuse, pour des motifs plus ou moins obscurs. Donizetti se tourne donc vers Giuseppe Bardari, jeune étudiant en droit, dont Maria Stuarda sera le premier et seul livret d'opéra. (Et quand on lit les paroles, on se dit que finalement, c'est aussi bien...) Bardari commence par réduire les cinq actes de la pièce originale à deux actes. Le premier acte de la pièce de Schiller est carrément supprimé, les 2ème et 3ème actes sont réunis pour former l'acte I de l'opéra. Les 4ème et 5ème actes de Schiller deviennent l'acte II. En 1865, cependant, la scène du parc qui met en présence les deux reines est séparée de l'acte I pour former un deuxième acte à part, le troisième est alors consacré aux derniers instants de Marie. Que l'on opte pour l'une ou pour l'autre des répartitions, on constate malgré tout qu'elles ont chacune un sens : la structure bipartite met en valeur la confrontation entre les deux reines comme axe central de l'opéra, la structure tripartite impose une progression dramatique en crescendo qui n'est pas à négliger. Enfin, les 21 personnages de la pièce de Schiller sont réduits à 6 dans l'opéra, ce qui permet d'enrichir la psychologie des personnages et, sur le plan matériel, de satisfaire aux exigences de l'effectif d'une troupe d'opéra.

Mais ce nouvel ouvrage de Donizetti va connaître bien des avanies avant de trouver sa forme définitive. Dès les premières répétitions de Maria Stuarda au San Carlo,  le contrôle de la censure se fait sentir et de fortes tensions règnent entre les artistes. Les censeurs ont exigé quelques menues modifications et les deux interprètes principales féminines ne peuvent pas se voir en peinture ; cela aboutit à un formidable pugilat en scène pendant la générale, lors de la confrontation des deux reines. ([Elisabetta] se précipite sur son ennemie, la saisit par les cheveux, la gifle, la mord, lui frappe le visage à coups de poing et lui brise presque les jambes à force de coups de pieds. Maria Stuarda, tout d'abord étourdie, reprend courage et tient tête à la reine d'Angleterre. ») (1)

Le lendemain même, suspension des répétitions et interdiction de la première. Est-ce à cause de la bagarre entre les deux prime donne ? Nullement. Mais, en fouillant bien, la censure a finalement trouvé dans l'ouvrage de quoi se régaler ; citons, entre autres raisons invoquées : La mise à mort d'une reine prête à caution ; les insultes grossières échangées par les deux reines lors de leur entrevue ne sont pas acceptables chez deux souveraines chrétiennes ; la représentation des sacrements est interdite sur scène : or, Marie doit se confesser et s'agenouiller en public ; etc...

Et voilà Donizetti obligé de refaire son ouvrage. La réadaptation du livret est confiée à Pietro Salatino et elle est faite en 5 jours ! Changement de personnages, de cadre, et de titre : l'opéra s'appelle Buondelmonte, son action est transposée en 1215 à Florence et concerne l'opposition de deux familles. Autant dire qu'il ne reste pratiquement rien de l'œuvre originale, notamment sur le plan politique et émotionnel.

Mais Donizetti est têtu ; et il n'a pas envie de voir Maria Stuarda plonger dans les oubliettes de l'oubli. Puisque les censeurs de Naples ne veulent pas de son opéra, il le propose à la Scala de Milan, laquelle accepte d'en faire la création. Cette dernière a lieu le 30 décembre 1835 : la Malibran tient le rôle de Maria et Giacinta Puzzi-Toso celui d'Elisabeth. C'est un échec. L'œuvre est mal reçue parce que la Malibran, souffrante ce soir-là, n'a pas été à la hauteur de sa réputation. Et qui plus est, dès le quatrième soir, on ne joue plus que l'acte I parce que les autres « ont trop peu de succès ». Et pour couronner le tout, en janvier 1836, l'opéra est de nouveau interdit parce que la Malibran refuse de faire les modifications demandées par la censure (ne plus s'agenouiller entre autres) et persiste à respecter la version originale.

Ce parcours chaotique de l'opéra continuera pendant de nombreuses années, dans sa version milanaise d'abord, puis dans d'autres versions, modifiées, encore censurées, etc... Ce n'est qu'en 1991 qu'on redécouvrira l'œuvre dans son authenticité.

Avant d'aborder l'argument de l'opéra, il faut s'arrêter un instant sur les deux héroïnes de l'ouvrage. Dans les années 1830, continuait à perdurer dans l'art lyrique un usage fort à la mode auparavant : le « couplage » de deux voix féminines. Par exemple, dans Anna Bolena, on trouvait le couple Anna / Giovanna Seymour, dans Norma Norma / Adalgisa... Bien sûr, le rôle de l'héroïne était toujours le plus important. Dans Maria Stuarda, les deux reines ont la même importance, tant sur le plan musical que sur le plan dramatique. La structure tripartite, au niveau dramatique, est très révélatrice : le premier acte est pour Elisabeth, le second est aux deux reines, le troisième est pour Marie. Le nombre d'airs dévolus à chacune est à peu près identique et les qualités vocales requises sont également identiques. Mais la comparaison entre les deux rôles ne se limite pas à une simple opposition : il serait facile de faire d'Elisabeth un bourreau sanguinaire et de Marie une pauvre victime de la haine de sa rivale. Ce serait réduire l'une et l'autre.

Elisabeth est certes « la reine vierge », altière, mais c'est aussi une amoureuse qui s'exprime avec la gracieuseté d'une jeune fille et à qui sont imposées de redoutables vocalises. De même, Marie peu à peu perd de sa féminité vocalique pour devenir une sorte de martyre toute intériorisée, abandonnant la combativité pour la spiritualité élégiaque. Toutes deux évoluent au cours de l'œuvre, l'une passant de la fierté méprisante à l'amertume, la peur, l'hésitation, l'autre de l'agressivité, la violence, la grossièreté (dans la confrontation) à l'apaisement final. Face à elles, les rôles masculins, même s'ils sont traités avec une certaine finesse, restent malgré tout en deçà et exigent de leurs interprètes d'indéniables qualités vocales et dramatiques pour les rendre consistants.

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Parmi les grandes interprètes modernes de Marie, citons Leyla Gencer, Montserrat Caballé, Joan Sutherland, Janet Baker, Beverly Sills, Edita Gruberova...

Pour Elisabeth : Largement en tête, et de loin, Shirley Verrett, suivie de Eileen Farrell, Viorica Cortez, Agnès Baltsa...

(1) Extrait de la revue Teatri, Arti et letteratura du 23 octobre 1834, cité par Chantal Cazaux dans la revue l'Avant-scène Opéra n°225. 

ARGUMENT : Acte I - Palais de Westminster. Des courtisans attendent l'arrivée de la reine Elisabeth qui doit unir les trônes de France et d'Angleterre par son mariage. En réalité, la reine aime un autre homme. La cour et Talbot la pressent d'être clémente envers sa cousine Marie Stuart, mais Cecil, l'âme damnée d'Elisabeth, lui rappelle qu'on ne peut pas faire confiance à l'ex reine d'Ecosse. Elle nomme Leicester ambassadeur en France et l'on comprend que c'est de lui qu'elle est amoureuse.

Talbot avoue à Leicester qu'il est allé au château de Fortheringay (prison de Marie) et que cette dernière a demandé l'aide de Leicester. On montre au jeune homme le portait de Marie ; frappé par sa beauté et touché par sa détresse, Leicester ne songe qu'à l'aider. La reine revient et demande à voir la lettre qu'il tient à la main. Elle réalise alors que Marie a non seulement des vues sur le trône d'Angleterre mais sur l'homme qu'elle aime. Leicester réussit à la persuader d'aller voir sa cousine à Fortheringay. (Rencontre imaginée par Schiller et qui n'a, dans la réalité, jamais eu lieu !)

Le parc de Fortheringay : Marie évoque avec sa suivante Anna les jours heureux vécus en France. Arrive l'équipage de la reine. Leicester conseille à Marie de se soumettre à Elisabeth et jure de la venger si la reine demeurait insensible à ses prières. Puis, il demande sa main à Marie.

 

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Entrée d'Elisabeth : c'est la célèbre scène de la confrontation des deux reines : chaque personnage présent sur scène exprime d'abord ses sentiments dans un sextuor très donizettien. La première à parler est Elisabeth, qui constate que sa cousine n'a rien perdu de sa fierté et de son orgueil. Marie se force à s'agenouiller devant elle et à implorer son pardon. Mais, accusée d'avoir trahi et d'avoir assassiné son époux, elle se révolte et insulte la reine, la traitant de « figlia impura di Bolena » et de « bastarda ». Elisabeth, folle de rage, la condamne à mort. Photo : Bianca Berini (Elisabeth) Montserrat Caballé (Marie)

ACTE II - Palais de Westminster.  Elisabeth n'a pas encore signé l'ordre d'exécution de Marie. Elle hésite, tergiverse, se demandant si elle a choisi la bonne solution et si cette décision ne va pas se retourner contre elle. La vue de Leicester, qu'elle soupçonne d'aimer Marie et les pressions de Cecil viennent à bout de ses hésitations. Elle ordonne à Leicester d'assister à l'exécution. 

Château de Fortheringay. Cecil informe Maria de la sentence. Elle refuse les services d'un prêtre anglican et se confesse au loyal Talbot. Marie croit voir le fantôme de son second mari et nie avoir été complice dans l'assassinat de Rizzio, le favori et secrétaire de son mari, que ce dernier avait fait assassiner avant de l'être à son tour. Elle rejette la responsabilité sur la jalousie d'Elisabeth.

Les partisans de Marie s'indignent mais Anna leur reproche de troubler les derniers moments de leur maîtresse. Celle-ci adresse une prière pathétique à Dieu. Le premier des trois coups de canon annonçant l'exécution se fait entendre. Cecil vient dire à Marie qu'Elisabeth lui accorde une dernière volonté. Marie demande qu'Anna l'accompagne aux marches de l'échafaud. Le second coup de canon retentit et Leicester paraît. Le troisième coup retentit et Marie marche tête haute vers la mort.

VIDEO 1 : La confrontation des deux reines : Shirley Verrett (Elisabeth) - Leyla Gencer (Maria), Florence 1967.

Pour l'entendre et la voir avec Montserrat Caballé (Maria) et Bianca Berini (Elisabeth), cliquez ici.

VIDEO II - Scène finale de l'acte II : Montserrat Caballé (Marie), Barcelonne 1979.


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