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Quatre cartes de visite (1)

Publié le 07 novembre 2009 par Didier54 @Partages
Quatre cartes de visite (1)Quatre. Il y en avait quatre. Un, deux, trois, quatre. Il les tint longuement entre ses doigts, comme un magicien ferait pour capter les regards avant de faire son tour. Il les regardait sans les regarder. Il me les montrait. Puis me les donna.
Tiens, cadeau !
Quatre quartes visites. Passées des siens aux miens, de doigts.
L'instant n'avait rien de solennel. Tout coulait de source. Tout jaillissait, plutôt. Je réussis toutefois à être surpris : elles semblaient peser des tonnes, ces cartes. J'étais intimidé. Quatre vartes de visites qui pèsent des tonnes, des vies plutôt. Des logos, des dessins. Quatre page blanches, quasiment, déjà écrites pourtant, ou en train de l'être. Un, deux, trois, quatre. Quatre noms que je n'osais découvrir. De peur de tout comprendre trop vite, peut-être. De crainte d'en reconnaître un ?
Ludo me les avait rapportées d'un de ses périples. Le dernier en date. Il était revenu il y a quinze jours. M'avait appelé hier, en me disant, tu fais quoi demain ?
Elle est con, ta question, je fais rien, évidemment
, je lui avais répondu.
On s'était retrouvés chez moi. Un café partout. Et sans plus de cérémonie que ça, les quatre cartes de visites, suivies de cette étrange suggestion : j'ai enlevé les adresses. Tu n'auras qu'à les retrouver.
Ludo ne ramenait jamais rien de ses voyages qu'il était seul à décider, souvent au dernier moment. Il partait, c'est tout. J'apprenais quelques temps plus tard qu'il était allé ici, ou là, tout simplement. Qu'il avait arpenté des villes ou des déserts, des ruelles ou des cimetières, des bords de mer ou des librairies. Suivant l'intuition du moment.
En me donnant les cartes comme on passerait un mouchoir en papier à quelqu'un, il avait son sourire engageant, celui des bonnes trouvailles, celui qu'il affichait quand, sûr de son fait, il avait pris une décision. Concerna-t-elle autre que lui.
Je ne cernais pas si c'était du l'art ou du cochon. Par réflexe, j'optai pour l'art. Venant d'un autre, j'aurais choisi le cochon.
Je te laisse le choix de la méthode, avait-il précisé. De toutes façons, maintenant, tu peux me dire que tu manques de tout, je sais que tu as plein de temps. Du Ludo tout craché. Tout était dit en quelques mots. On aurait pu penser à de l'économie ; c'était de l'efficacité. Certains parlaient toujours en creux. Lui donnait le sentiment que chaque mot était riche de mille sens.
A l'époque du licenciement, il n'avait pas bronché. Mes larmes sèches devaient juste l'agacer. Mais je n'en étais même pas sûr. Je ne l'aurais pas connu depuis si longtemps que j'aurais pris son attitude pour de l'indifférence. Un coeur dur comme le marbre froid. Mais je le connaissais depuis longtemps. Je savais que plus sa façade restait lisse plus c'était signe qu'il était avec moi, touché, cherchant des solutions. Il savait mon indécision. Je savais sa sensibilité.
Et puis on est s'est un peu perdus de vue. Quelques temps. Ne donna pas de nouvelles. N'en prit pas. Rien de neuf. Ce n'était pas bien grave. Notre histoire se jouait du temps. Chaque fois, on s'était quitté la veille.
Il était en fait parti dix minutes après m'avoir salué. Je n'avais pas fait le lien. C'est Mathilde qui y pensa. Elle lisait mieux que moi. Je continuais à me demander si ils avaient eu une aventure. J'aurais juré que non, craché que oui.
Et le voilà, avec ses cartes de visites. Avec une énigme. Avec un projet. Je sais qu'il a beaucoup pensé à moi. Quatre cartes, quatre noms, quatre vies, ce n'est pas rien. Je ne m'attendais à rien venant de lui, la plupart du temps, et je ne pouvais qu'être surpris. Pour le coup, je l'étais.
Je tentai d'objecter quelque chose. Comme d'habitude. N'y croyant pas moi-même. J'évoquai je ne sais plus quoi. Il s'empressa de m'intimer le silence. Posant sa main sur la mienne. Réponse prête, donc inutile à dire, j'avais de toutes façons entendu. Compris.
Il ajouta : J'ai prévenu Mathilde. C'est ok.
Le marbre se mit à sourire. Ce n'était pas malice. Je lui faisais confiance.
Je continuais de tenir les cartes entre mes doigts, pensant à ma femme, aux enfants, doutant d'eux puisque je doutais de moi.
J'avais l'étrange sensation que mes ongles se transformaient en points d'interrogation, alors que lui, quelques secondes plutôt, dans la même posture, avec les mêmes cartes, avaient les doigts en forme de point d'exclamation.
Il déposa sur la table un ordinateur portable. Sorti de sa poche un dictionnaire. De son sac une carte de France. Il regarda les cartes de visite. Me regarda. Je le suivais des yeux, avec cette curieuse sensation qu'ils me précédaient. Une enveloppe suivit. Mathilde est allée retirer l'argent. Ca te sera utile. [à suivre /...]

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