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L'affaire de la lettre de Guy Môquet expliquée à nos cousins d'Amérique

Publié le 25 octobre 2007 par Roman Bernard

En avant-première sur Criticus, voici la chronique qui paraîtra lundi prochain dans La Rotonde, le journal francophone de l'Université d'Ottawa.

Laissons Guy Môquet reposer en paix

Je n'imaginais pas que la controverse suscitée par la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées de France allait trouver un écho au Canada. La demande, de la part de La Rotonde, journal étudiant auquel j'ai beaucoup contribué durant mon année en échange à l'Université d'Ottawa, de rédiger une chronique expliquant, de mon point de vue, cette controverse aux Canadiens francophones m'a agréablement surpris. Voici, donc, mes quelques réflexions que j'estime de nature à faire connaître outre-Atlantique le problème dont il est question. Rappelons d'abord les faits.

Guy Môquet a été fusillé par les nazis le 22 octobre 1941 près de Châteaubriant, en représaille à l'exécution à Nantes, deux jours plus tôt, de Karl Hotz, commandant des troupes allemandes d'occupation de la Loire-Inférieure. Il était emprisonné depuis 1940 en raison de ses activités de propagande communiste.

Celle-ci avait été interdite en France dès 1939, lorsque la signature du pacte de non-agression entre l'Allemagne nazie et l'Union soviétique avait conduit la direction du Parti communiste français à refuser de soutenir la France dans son effort de guerre contre Hitler. Cette alliance de fait entre le nazisme et le communisme n'a toutefois pas rendu les collaborationnistes de Vichy, une fois parvenus au pouvoir sur les décombres d'une France meurtrie par la défaite, plus cléments à l'égard des communistes. La "Révolution nationale" initiée par le maréchal Pétain se définissait avant tout par un anticommunisme farouche.

En 1941, le ministre de l'Intérieur de l'État français, Pierre Pucheu, a ainsi vu dans les communistes détenus à Chateaubriant une bonne monnaie d'échange pour les nazis. D'un côté, ceux-ci pouvaient exécuter sommairement un grand nombre de Français "pour l'exemple", et du côté vichyssois, cela permettait de frapper durement les communistes français, qui étaient entrés en résistance à la faveur de l'agression de l'URSS par Hitler, quelques mois plus tôt.

Parmi les 27 fusillés se trouvait donc un gamin de 17 ans, qui, à la veille de sa mort, a écrit cette lettre que Nicolas Sarkozy a tenu à faire lire dans tous les lycées de France. Pourquoi cette commémoration, en 2007 ? Lors de sa prise de fonction, Sarkozy a déclaré : " Un jeune homme de dix-sept ans qui donne sa vie à la France, c'est un exemple non pas du passé mais pour l'avenir [...] ".

Détournement de sens

Petit problème : Guy Môquet ne s'est pas battu pour sa patrie mais pour son parti. Et à la veille de sa mort, c'est tout naturellement à sa famille que ses derniers mots ont été adressés, et non à une quelconque allégorie de la France. On peut donc légitimement se demander pourquoi Nicolas Sarkozy a détourné le sens de cette tragédie : s'agit-il de donner un nouvel élan à une nation démoralisée par trente-cinq ans d'une crise profonde ?

Mais alors, ne convient-il pas de rappeler au passage que Guy Môquet a été condamné avec la complicité des autorités françaises de Vichy ? Quelle réconciliation nationale peut aboutir de cette enième évocation de ce qu'a été la responsabilité de l'État français durant la guerre ?

J'avoue également ne pas bien comprendre en quoi le battage qui est fait autour de cette lettre va sensibiliser les lycéens au devoir de mémoire, eux qui ne connaissent que très mal l'histoire de la Seconde guerre mondiale, pour ne pas dire l'histoire tout court.

Il serait peut-être plus judicieux d'exposer les faits dans leur globalité, plutôt que de les résumer à une figure, certes emblématique, de ce qu'a été la violence de l'occupation allemande de la France.

La lecture généralisée de cette lettre, au surplus, me paraît assez perverse en ce qu'elle tente de communiquer par l'émotion un événement historique, qui par nature doit être étudié avec la froideur et le détachement de l'historien.

Le ridicule a de toute façon été atteint depuis longtemps lors du match d'ouverture de la Coupe du monde de rugby, perdu par la France contre l'Argentine : Bernard Laporte avait en effet infligé à ses joueurs ce que son président d'ami a choisi d'asséner aux lycéens. On a vu la chance que cette cérémonie a portée au XV de France. Pour éviter que cette mauvaise fortune ne se propage aux lycéens, je serais donc d'avis d'arrêter tout de suite les frais et de ne pas renouveler l'expérience du 22 octobre. De grâce, laissons Guy Môquet reposer en paix.

Roman Bernard

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