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Harry, I’m gonna let you in on a little secret

Publié le 24 novembre 2009 par Desheuresoisives

Voilà un beau passage de la série Twin Peaks diffusée aux Etats-Unis entre 1990 et 1991 :

Harry, I’m gonna let you in on a little secret

C’est en effet une belle idée que celle énoncée ici par l’agent Dale Cooper :

Harry, je vais vous confier un petit secret. Tous les jours, un fois par jour, faites-vous un cadeau. Ne planifiez rien, n’attendez rien, laissez les choses arriver d’elles-mêmes.

On trouve dans ces paroles, à mon sens, l’une des clés du cinéma de David Lynch. C’est en effet un cinéma qui s’attarde, qui prend le temps d’observer, de s’offrir cet instant de répit. La dynamique de Lynch fonctionne sur ce rapport entre cette terrible tension qui règne bien souvent et ces moments d’étrange accalmie. Je pense à Lost Highway, à ces longues déambulations sans but, mais aussi à Mulholland Drive. Un exemple précis me revient d’ailleurs à l’esprit dans ce dernier film : la scène du café.

Harry, I’m gonna let you in on a little secret

Il y a, dans cette scène, un mystère, quelque chose de terrible qui se trame et dont Lynch, intelligemment, nous donne l’indice (la photographie). Puis, soudain, la tension s’immobilise – sans retomber. Et l’on passe à ce rituel du café.

Le personnage du producteur (joué par Angelo Badalamenti) accomplit en effet tous les gestes d’un rituel. Il prend le temps de déposer sa serviette sur sa main gauche, attrape avec délicatesse la tasse de café. On est ici dans une sorte de “cérémonie du thé” inversée. Inversée par la boisson elle-même mais aussi parce que chez Lynch, ce n’est plus l’abandon à l’instant qui est mis en scène mais la recherche même de cet abandon.

Le personnage joué par Badalamenti, contrairement à Dale Cooper dans Twin Peaks, ne laisse les choses arriver d’elles-mêmes. Il planifie, il organise, il attend. Et cette scène, qui est la scène d’un échec, la scène d’un homme qui, tendant vers soi, ne parvient jamais à l’unification, ne peut se terminer que par un hurlement (“help me” crie ce personnage étrange qui est une sorte de “doppelganger”, de double – Lynch insistant ici sur l’impossibilité de revenir à soi).

Le cinéma de David Lynch (dont on sait qu’il est adepte de la “méditation transcendantale”) met en scène cet échec tout en prenant bien soin de jouer avec le temps, avec les tensions. Mulholland Drive, comme Blue Velvet et, dans une certaine mesure, Sailor et Lula, est un film qui prend le temps. Un film qui laisse les choses arriver d’elles-mêmes. Comme si le regard du cinéaste flottait, n’enregistrait que l’instant. C’est, justement, l’incapacité des personnages à évoluer dans cet instant (à toujours imaginer ce qui doit advenir ou à calculer les conséquences comme c’est le cas dans cette scène de Mulholland Drive ou comme c’était le cas du shériff dans Twin Peaks) qui crée la tension chez Lynch.

D’où cette sensation, comme je l’ai définie, d’”étrange accalmie” sur laquelle se clôt la plupart de ses films et que l’on retrouve, par exemple, dans Inland Empire. Prendre une décision, vouloir évaluer les choses, tenter de contrôler la situation : c’est à cela que sont confrontés les personnages de Lynch, à ce besoin de comprendre, de saisir. Voilà leur enfer.

Seuls ceux qui savent s’abandonner à eux-mêmes, à leur inconscient, à leur appartenance au monde et à son irrationnel, seuls ceux-là en sortiront saufs.


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