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Honecker au 21ème siècle

Par Sijetaisdeboutsurmatete
Honecker au 21ème siècleHonecker est un Berlinois moyen, homme ordinaire, qui vit dans le cruel 21ème siècle, cela suffit au titre du nouveau roman de Jean-Yves Cendrey : Honecker 21. Pour le reste, une vingtaine de chapitres sera nécessaire pour nous faire sourire des malheurs d'un contemporain qui nous ressemble tant : un jeune Berlinois se sent de plus en plus traqué par la société de consommation, par sa femme plus cultivée que lui et qui va bientôt lui imposer un enfant. Il a soudain envie de reprendre sa vie en main, ce qui ne fera que mener à sa perte, même pas tragique.

La société de consommation, une société totalitaire
Le roman fait largement le portrait d’une société de consommation à la fois oppressante et en dehors de laquelle on ne peut pas vivre, la société dans laquelle vit Honecker est tout simplement totalitaire. Certes, ce qui est oppressant, c’est le confort dans lequel on est installé, ce que l’on nous oblige à faire c’est consommer en fréquentant un centre de remise en forme, en achetant de magnifiques machines à expresso, en conduisant des voitures blindées d’électronique… Pas de quoi se révolter ! C’est la démocratie (au 21ème siècle élargie à la consommation), la douce tyrannie qui prive progressivement des libertés décrite par Tocqueville au 19ème siècle !
La culture, ne faisant pas exception, entre en plein dans cette société de consommation. Turid est celle qui représente la terreur de la culture, celle qui dicte à son mari ce qu’il doit avoir vu et lu, ce à quoi il doit s’intéresser. Certes, le théâtre ou la littérature ont toujours été des marqueurs sociaux mais ils sont d'autant plus stigmatisants au 21ème siècle que la démocratie a rendu la culture accessible à tous. Tout le monde peut aller voir une pièce de théâtre, lire les classiques de la littérature allemande… Alors, si Honecker s’ennuie fermement, cela signifie qu’il est définitivement inintéressant.
Assurément les générations précédentes ont fait le lit d’une telle société en négligeant le lien familial. C’est le cas de Honecker : ses parents l’ont délaissé trop occupés à profiter de cette nouvelle société qui donnait accès à tout, qui permettait tout, y compris à une mère de ne pas éprouver l’amour filial. En manque de ce fondamental qui enracine tout être dans un milieu, Honecker a le vertige, cette société lui offre tout mais il ne sait quoi choisir. Cette société totalitaire lui annihile jusqu’à ses propres désirs, lui imposant ceux qui correspondent à ce qu’il doit être : avoir une machine à expresso hors de prix, habiter dans un immense appartement, voir telle pièce, lire tel livre.
Enfin, l’action du roman se situe à Berlin, capitale européenne, autrefois déchirée entre communisme et libéralisme. Mais force est de constater que cela aurait pu tout aussi bien se passer à Paris (Honecker 21 est définitivement un roman français !). C’est mesurer à quel point cette société de consommation est dictatoriale, car en plus d’être totalitaire socialement, elle l’est à un niveau géographique, la société de consommation est mondiale, en tout cas occidental.
Une vie vide de sens
Honecker travaille dans la téléphonie mobile, sa femme dans les médias. Ils sont un condensé de ce 21ème siècle où il faut pouvoir communiquer tout le temps, et même s’il n’y a pas grand-chose à dire comme le souligne, de manière agaçante il est vrai, un vieil acteur ami du couple. Ce personnage représente à la fois la critique de la société (un rôle depuis toujours tenu par l’art) et le fait qu’elle a été ingérée et digérée par notre société. C’est comme si l’art, la chose même qui réfléchissait sur la société et sur le sens de la vie, qui éventuellement donnait du sens, avait abdiqué en acceptant de faire partie de la « société du spectacle ». Dès lors, la seule posture tenable est le cynisme si bien manié par le vieil acteur.
Confortant chacun dans une certaine qualité de vie, privant chacun de la critique, la société de consommation creuse le vide intérieur. Chez Honecker, les crises de panique sont caractéristiques de ce sentiment de profond vide, une panique dans laquelle il s’engouffre finalement car elle le remplit justement : « ça faisait peur, et que plus il avait peur plus il se sentait revivre, et mieux il réagissait » (p.101). Le roman se déroule à un moment clé où Honecker décide de prendre sa vie en main. Ainsi il doit répondre aux questions qu’il esquive habituellement : « Le propre d’Honecker est d’éviter les questions qu’il multiplie devant lui comme des piquets de slalom propres à faire sinuer ce qu’il croit sa réflexion – mais qui s’assimile trop souvent à une acrobatique glissade sur la neige fondue. » (p.89). C’est ainsi qu’il se trouve dans un état d’indécision chronique, regrettant ce qu’il vient de faire, projetant ce qu’il aimerait faire. Ses sentiments sont aussi en proie à une cyclothymie qui, finalement, viendra à bout d’Honecker : il passe de la certitude de n’avoir que goûté à « l’illusion de la félicité amoureuse » (p.92) à celle d’aimer vraiment Turid et ne douter pas qu’il aimera son enfant. Finalement, il mesure combien il a mal vécu, n’ayant fait qu’imiter des façons de vivre.
Comment donner un sens propre à sa vie ?
Honecker ne semble pas avoir de désir propre, ses désirs sont dictés par la société de consommation, il s’apitoie d’être commun, même dans ses fantasmes sexuels. Il est frustré dans tous ses désirs. Il est ainsi la proie de pulsions qu’il a du mal à comprendre et qu’il fait aussitôt regretter. Il voudrait donner un sens à sa vie, ne plus se sentir le jouet de la société de consommation ou celui de Turid. Mais à quel genre de désir véritable la société de consommation fait-elle une place ?
Dans un premier temps, Honecker pense qu’en assouvissant ses désirs sexuels, en trompant Turid alors qu’il ne l’a jamais fait, il fera quelque chose par lui-même mais il déchante vite, comprenant que ses désirs sont de l’ordre de la pulsion et qu’ils n’ont rien d’original. Ce qui enlève du sens à ses désirs relève aussi du fait qu’il se rend compte qu’ils ne sont pas originaux, au sens où Honecker n’est pas unique : il a les mêmes biens de consommation, mais pire, il a les mêmes désirs. La société le considére comme un parmi tant d’autres, Honecker est à la recherche d’une reconnaissance et il ne la trouve qu’en volant une fleur en plastique dans un cimetière : « une distinction honorifique, celle de le faire exister, homme ignoré, homme dédaigné qu’il était, méprisé par son boss et tous les patapoufs de la terre, sans doute aussi par sa compagne sans doute hypocrite, et qui assurément le serait un jour par son propre enfant. » (p.90). Comme un prélude au désir de mort qui fleurit en lui.
Voulant devenir quelqu’un aux yeux de la société et aux yeux de Turid, et puisque réclamant de l’attention, il échoue à inspirer de l’admiration, il se dit qu’il pourrait bien tuer quelqu’un : « Inspirer de l’admiration ou de la répulsion, c’est du pareil au même. On est devenu quelqu’un, l’essentiel est là » (p.91). Mais là encore, n’est-ce pas la société de médias qui dicte un tel désir ? Celui de faire la une des journaux, une manière de devenir quelqu’un, peu importe qu’on nous admire ou que l’on fasse horreur ? Mais, et cela désespère encore plus Honecker, il pense manquer de courage, ne pas avoir les mains assez fortes pour tuer. Aussi, ne supportant plus de continuer à vivre dans un tel mépris de lui-même, ce désir de mort se reporte sur sa propre personne : « C’est douloureux de résister à une aussi folle envie de s’affoler » (p.11), une injonction répétée plus tard, une manière de voir que ce désir de perte s’est progressivement imposé tout au long du roman : « C’était douloureux de résister à une aussi folle envie de s’affoler, de s’écorcer, de tomber en poussière » (p.88).
Tout comme Grimmelshausen décrivait l’absurdité des Aventures de Simplicius Simplicissimus au 17ème siècle, Jean-Yves Cendrey relate celles non moins absurde, souvent drôles, mais aussi désespérantes de Honecker au 21ème siècle.
"Honecker 21" Jean-Yves Cendrey, Ates Sud, 18.50€

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