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Pierre Michon, Les Onze

Par Alain Bagnoud
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Pierre Michon est le plus grand écrivain français vivant.
A ma connaissance. Car il y en a bien sûr qu'on n'a pas lus, et ils sont nombreux. D'autres qui ne sont peut-être pas publiés, pas encore, qui surgiront plus tard..
Puis il y a tous ces auteurs que je connais et qui vont se vexer. Michon le plus grand? Et moi? Décidément, je prends bien des risques. Il s'agit de corriger le tir:
Pierre Michon est l'un des plus grands écrivains français vivants. Comme ça, je suis tranquille.
Bon, Les Onze, donc, Grand Prix du Roman de l'Académie française. Il n'est que temps, quand on pense qu'Amélie Nothomb l'a eu.
Les Onze parle d'un tableau parfaitement fictif, qui représenterait les onze membres du Grand Comité du Salut public, et qui aurait été exécuté par un peintre lui aussi parfaitement fictif, Corentin. Ce tableau deviendrait, serait devenu le plus célèbre du monde, et les visiteurs du Louvre passent sans la voir (dans le livre) devant la Joconde pour atteindre la salle où il trône. Ça s'explique: la peinture d'histoire est en effet plus haute dans la hiérarchie des arts que le portrait.
Aucune référence ne manque à Michon pour inscrire le tableau inventé dans l'histoire des arts et l'Histoire tout court. Des portraits de Corentin dans des tableaux de Tiepolo et de David (un page, un spectateur témoin du Serment du jeu de paume). Douze pages de Michelet dans le chapitre III du seizième livre de L'Histoire de la Révolution française (qui n'existent évidemment pas. Si vous voulez vérifier...)
Et ça fonctionne. On se laisse prendre au jeu avec délices. Finalement, on voit le tableau comme s'il avait existé, après avoir été renseigné sur la généalogie de Corentin, et avoir assisté à la commande de l'œuvre en nivôse, vers le 5 janvier 1794, dans l'église Saint-Nicolas-des-Champs qui abrite la section des Gravilliers.
Porté par une érudition sans faille, Michon, interroge l'art et l'Histoire, dans ce moment charnière où le monde bascule. On connaît son envie de viser au sublime. Le sublime, c'est le tableau
Les Onze. Ça pourrait être le livre Les Onze.
Tout s'y emboîte admirablement, dans une langue superbe. Tout est parfait en tout cas pour tout ce qui concerne la culture et les références.
Car en ce qui concerne le vraisemblable, il y a, m'a-t-il semblé, quelque chose d'un peu artificiel dans la construction du personnage de Corentin. La première partie du livre, donc. Grand-père ingénieur sous Colbert, père écrivain des Lumières, lui-même incarnant le passage entre les deux ères, entre la tradition rococo typique du XVIIIème qu'il a apprise chez Tiepolo et le néo-classicisme de David qu'il adopte à la fin de sa vie, entre la royauté et la révolution... C'est presque un peu trop, comment dire... typé.

Pierre Michon, Les Onze, Verdier
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