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Paris-brest

Par Lorraine De Chezlo
PARIS-BRESTde Tanguy Viel
Roman - 190 pagesEditions de Minuit - janvier 2009
Le narrateur, dans le train de retour pour Brest fait un voyage qui, contrairement à ce qu'il y paraît, est loin d'être banal. Dans sa valise, il porte quelquechose de bien lourd, de très précieux aussi, un roman familial qui ressemblerait à l'histoire de sa famille. Il y a des années, sa grand-mère a hérité de la fortune du vieil homme qu'elle venait presque d'épouser. Puis son père, pour des histoires sombres d'abus financiers de club de foot, a dû fuir avec sa mère la région de Brest pour s'exiler dans le Languedoc, laissant leur fils. Lui même, un jour sur un coup de tête dramatique, est parti vivre à Paris. Fuir quoi ? Fuir qui ? Aujourd'hui il est de retour pour un Noël sur Brest, avec la famille réunie. Difficile de penser que la fête sera détendue. Difficile aussi d'imaginer qu'il n'apercevra pas l'ombre du fils Kermeur, ce garçon, cet homme, cet élément essentiel dans la vie de sa famille, comme une pierre d'angle qui peut tout déstabiliser...
Paris-Brest m'a littéralement impressionnée, il est écrit de manière très habile, très fine, et là où d'autres écrivains abordent les flash-backs, les constructions narratives avec des libertés chronologiques parfois bancales, Tanguy Viel a bâti son roman de façon complexe mais pour autant limpide. On le lit avec un bonheur constant. Son écriture est belle, simple, avec un soin accordé aux descriptions du temps, des paysages, des réactions. Lancinant comme les vagues s'écrasent sur le sable, il aime à tisser des petits fils conducteurs d'un paragraphe à un autre, à reprendre un mot, une expression pour avancer dans son récit, ou faire des digressions qui ont un sens.

Extrait :
"C'est même en tant qu'ami qu'il a évoqué le Languedoc-Roussillon comme la région idéale pour l'exil et comme l'une des plus belles régions de France. Mais quelqu'un qui vous dit que le Languedoc-Roussillon est une des régions les plus belles de France, moi je n'appelle pas ça un ami.
Ma mère non plus ne l'appelle plus depuis longtemps son ami, comme longtemps elle le fit, comme longtemps elle employa l'expression "monsieur le procureur de la République", dès que l'occasion se présentait, dès qu'elle provoquait l'occasion pour le dire."

C'est magistral, c'est vraiment un roman remarquable. L'air de ne rien y toucher, l'air de ne pas trop en dire, en faisant des détours que l'on pense inutiles, il dévoile peu à peu une intrigue saisissante, des caractères percutants, et une tragédie familiale sur un arrière-plan de roman à suspense.
Extrait :"Or ce n'était pas du tout brumeux sur la côte ce matin-là quand la mer s'est présentée à nous, quand la route avait semblé un instant se jeter dans l'eau bleue, parce que la brume entre-temps s'était levée comme souvent si vite dans cette région.La brume à cet instant, ce n'était plus que les Gitanes sans filtre que mon père allumait l'une sur l'autre au milieu de quelques phrases absentes, très absentes même, puisque je crois qu'on ne s'est pas parlé du trajet, comme rendus plus silencieux encore par la mer endormie (...)."
On y parle d'argent beaucoup, mais aussi de blessures d'enfance, d'amitiés qui nous font plonger dans des drames regrettables, la jalousie, l'influence, la reconnaissance, et bien sûr le silence que l'on choisit pour sauver les apparences. Et Brest comme point de chute, Brest comme scène tragique.
"Roman magistral sur le décalage entre rêves et réalité", l'avis de Christine M. - Médiapart"Une plume à découvrir", l'avis de Yohan - Livres et Cinéma

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