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Entre activité utilitaire et exercice libéral

Publié le 30 novembre 2009 par Jefka

Entre activité utilitaire et exercice libéral

Quelle est la différence entre une activité utilitaire et un exercice libéral ? Le premier élément de réponse concerne la notion d’utile qui correspond à un moyen employé pour atteindre une fin. L’utilité prévaut principalement dans le travail qui est réalisé pour satisfaire un besoin. Le travail, dans sons sens le plus originaire, est une contrainte vitale. Les Anciens considèrent d’ailleurs le travail comme une source d’asservissement. Je travaille parce que je n’ai pas le choix. Et ce qui me contraint restreint ma liberté. Cette contrainte se résume dans les besoins physiologiques auxquels l’homme est soumis. Il ne s’agit pas d’une fin en soi car l’homme n’est pas un animal. Le travail lui vole tout ou partie de son temps qui pourrait être entièrement consacré à des activités contribuant à l’expression de son humanité. Les Grecs, en liant l’idée de travail avec la servitude, justifient de leur point de vue l’esclavage. Ils considèrent en effet que les êtres privés de liberté sont les seuls aptes à travailler. Un homme ne peut être libre qu’à la condition qu’il s’exonère de toute activité utilitaire. Ce postulat est une souillure du monde grec car penser que la liberté ne s’applique pas à tous, que certains sont destinés à l’esclavage et d’autres non, constituent une preuve d’indignité. Les Anciens par contre font preuve de lucidité lorsqu’ils mettent en évidence la causalité entre le travail et la subordination. Les Modernes d’ailleurs s’appuient sur cette idée en conseillant à chacun de se libérer des besognes utilitaires pour se consacrer à des activités libérales, à savoir tout exercice qui lorsqu’il est réalisé permet à l’homme de s’accomplir dans son humanité. Ainsi en est-il de l’activité intellectuelle, à considérer comme un but et non comme un moyen. L’homme aspire en effet à la connaissance, toujours soucieux de comprendre. Aristote d’ailleurs argumente sur cet impératif : « Ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire ». La science n’est pas au service de l’utilité mais s’accorde aux intérêts spirituels et moraux, à condition que le prétendant au savoir soit disposé à s’y adonner totalement, autrement dit une fois l’ensemble des besoins physiologiques satisfaits. Aristote poursuit sur ce sujet : « Presque toutes les nécessités de la vie, et toutes les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre ». La politique est un autre exemple d’une fonction libérale. L’homme, en faisant de la politique, accomplit sa nature d’homme, ce qui lui permet entre autres d’exprimer l’idée de justice.

La dichotomie entre activité libérale et un utilitarisme forcené ou contraint est un débat anachronique de nos jours. Le monde de l’utile prédomine aujourd’hui sur tout le reste. La satisfaction des besoins matériels est le leitmotiv qui conduit l’existence. La science est devenue utilitaire. La recherche d’un savoir s’est estompée au profit d’une quête vers le pouvoir. L’homme politique n’agit pas autrement, en préservant avant tout ses intérêts et non en faisant son métier d’homme. Le temps non occupé au travail est considéré dorénavant comme perdu, inactif, qu’il convient de combler par quelques artifices que propose la consommation de masse. Tout est mis en œuvre pour que l’homme se complaise dans des activités utilitaires. L’école d’ailleurs souffre de cette pensée dominante. Elle est réduite au service de la société et non des individus qui la fréquentent. La libéralisation des esprits n’est plus la préoccupation majeure d’un environnement technicien. Les activités libérales sont abandonnées alors qu’elles portent en elles les vertus d’une excellence humaine, soit le caractère désintéressé de toute action et la liberté de toute pensée qui n’est pas construite par automatisme. Les extraits suivants d’un article écrit par Alain Finkielkraut dans le journal Le Monde en 1998 prolongent ce constat :

- « Pour Aristote…, libre est l’homme qui, échappant à l’empire de la nécessité et au carcan de l’utile, peut s’épanouir dans le loisir, c'est-à-dire dans la contemplation, l’étude, la conversation en vue de la vérité. Nous avons, nous autres modernes, réhabilité l’activité laborieuse. »

- « Nous avons continue de croire avec les Anciens, que l’accès à l’excellence humaine passait par l’expérience des belles choses et par la fréquentation des grands esprits. Par l’instruction publique, nous nous sommes mis en tête de faire de la démocratie une aristocratie universelle, c'est-à-dire un monde où nul ne serait exclu du loisir de penser. Ce rêve est tombé dans l’oubli. »

- « L’ancestrale éminence de l’étude ayant été abolie par les pédagogues eux-mêmes, nous n’avons plus à notre disposition qu’une seule version de l’homme : l’animal laborans…de la naissance à la retraite, nous sommes des employés et, une fois achevé le voyage au bout de l’indifférenciation, le respect qu’on nous doit consiste à nous permettre, quelque soit notre âge ou le poste que nous occupons, de travailler toujours moins pour nous distraire et pour consommer toujours d’avantage. »


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