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La vie après la prostitution

Publié le 07 décembre 2009 par Raymond Viger

Dossier Prostitution

Anita entre comme un coup de vent au Café Graffiti. Impossible de ne pas la remarquer. Elle parle fort et interrompt tout le monde. Elle s’impose aux gens, leur laissant peu de place, comme si elle seule existait. La présence d’Anita est pesante. Elle traîne avec elle plus d’un traumatisme qui tardent à guérir.

Dominic Desmarais

Anita vient de passer cinq ans dans un monde de violence. Forcée par son petit ami à vendre de la drogue dans des bars miteux de Québec, elle a ensuite prit le chemin de la prostitution. Elle était quotidiennement battue et menacée de mort par son proxénète, jusqu’au jour où il a tenté de l’assassiner au couteau. Pour sauver sa vie, la jeune femme a dû sauter d’un deuxième étage.

Dans ses pensées, le temps semble s’être figé à cette période de sa vie. Anita pense beaucoup à cet homme qui l’a tant fait souffrir. Pour s’aider, elle s’ouvre par l’écriture, une façon pour elle d’exorciser ses démons. «J’ai réussi à affronter ma peur de me faire tuer. Je vivais avec ça, incapable d’en parler. Mais en m’ouvrant, le mal est sorti», raconte-t-elle fièrement en prenant soin d’ajouter qu’elle peut maintenant marcher sans se retourner.

La peur de mourir à tout instant s’est dissipée mais Anita n’est pas encore guérie. Elle a de la difficulté à écouter les autres. Sa tête est trop pleine de ses pensées qui la maintiennent en état d’alerte. Ça lui donne beaucoup de difficultés à gérer les épreuves que la vie lui envoie. Le stress la gagne rapidement, provoquant un état de panique qu’ amplifie son traumatisme antérieur. Chaque choc l’isole dans ses pensées et l’éloigne de la guérison.

Il y a un an, alors qu’elle prenait du mieux, la découverte d’un cancer la ramène à la case départ. Anita retombe alors dans ses vieilles habitudes de consommation de drogue. Elle ne voit rien d’autre pour se calmer. Du coup, elle s’apitoie sur son sort. Ses pensées la ramènent à ses mauvais souvenirs qui recommencent à la hanter.

D’un traumatisme à l’autre

Avant d’entrer dans le monde de la drogue et de la prostitution, Anita venait de vivre un épisode traumatisant majeur. Un accident de voiture survenue en Gaspésie l’a sérieusement blessée et a coûté la vie à deux de ses amis. C’est pour digérer son traumatisme qu’elle s’était réfugiée à Québec.

À cette époque, elle se promenait tel un zombie. En déambulant dans les rues de Québec, elle revivait sans cesse l’accident. Affectée psychologiquement, elle a mis le pied là où il ne fallait pas: dans le monde de la rue et de la drogue. Le choc subi suite à son accident s’est peu à peu transformé en stress. Celui que lui faisait vivre son petit ami maquereau, par la violence, en la forçant à se prostituer, empêchait sa guérison.

S’ouvrir libère une douleur encore plus profonde. Alors qu’elle se met à pleurer, Anita parle d’un autre épisode éprouvant. Un autre traumatisme, plus ancien encore que les autres, refait surface. Sa fille, aujourd’hui âgée de 15 ans, est placée en famille d’accueil depuis 12 ans déjà. Elle lui manque cruellement. Aveugle et atteinte de paralysie cérébrale à la naissance, sa petite est branchée sur une machine pour vivre. Anita a dû la laisser car, en la mettant au monde, elle faisait des arythmies cardiaques à répétition. Au cours de la dernière période des fêtes, Anita s’est effondrée. Pour calmer sa souffrance, elle s’est remise à consommer. Elle a d’ailleurs dû retourner en centre de désintoxication. Elle n’arrive pas à comprendre ce qui lui arrive.

Anita tombe pour mieux se relever. Ses traumatismes, qui l’affectent depuis tant d’années, ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Elle a besoin d’aide professionnelle pour relâcher la pression. La compréhension et l’écoute de ses proches sont primordiales. Et elle doit s’aider. Ce qu’elle fait par l’écriture. «Aussitôt que j’ai de quoi à l’intérieur, j’écris, j’écris, j’écris. Je passe mon temps à me vider le cœur. J’écris sur la violence que j’ai subie, sur la musique que j’ai composée, mes spectacles dont je me souviens, sur ma consommation de drogue, sur ma prostitution.»

Reflet de Société, Vol 18, No. 1, Septembre/Octobre 2009, p. 9


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