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Obama, comme ses prédécesseurs !

Publié le 07 décembre 2009 par Jean-Philippe Immarigeon

John R. MacArthur, directeur de Harper's Magazine,
éditorial du 7 décembre 2009,
Le Devoir de Montréal

Maintenant que Barack Obama s'est décidé à intensifier sa folie en Afghanistan, ce serait peut-être le bon moment de réfléchir aux origines d'une stratégie à première vue carrément débile. Je ne parle pas là des objectifs tactiques à court terme poursuivis par les conseillers politiques du président. Pour eux, les archiréalistes, il est évident qu'une augmentation des troupes dans le pays des Pachtounes n'a rien à voir avec la possibilité de gagner quoi que ce soit d'un point de vue antiterroriste ou militaire.

D'une part, tous ceux qui connaissent ce pays, sauf les théocrates doctrinaires de la contre-insurrection, savent que la guerre en Afghanistan est déjà perdue. Entité impossible à quantifier, Al-Qaïda existe un peu partout dans le monde musulman (y compris chez nos chers alliés en Arabie saoudite), donc les bombardements de drones contre la population civile à Kandahar ne mènent à rien, sauf à un recrutement accru de partisans pour les talibans. Se défendre contre Al-Qaïda est un travail de police, de contre-espionnage et de diplomatie (rappelons-nous qu'Oussama Ben Laden a rompu avec la famille royale à Riyad lorsqu'elle a permis à l'armée américaine de lancer l'invasion du Koweït et de l'Irak depuis la terre sainte de La Mecque).

D'autre part, si l'on persiste dans la fantaisie selon laquelle le but de l'Amérique et de l'OTAN est de stabiliser l'Afghanistan, l'intervention de 30 000 soldats supplémentaires qui ne parlent ni pachto ni dari garantit le contraire : plus de violence dirigée vers l'envahisseur occidental et sa marionnette siégeant à Kaboul, et plus de réfugiés afghans pour déstabiliser le Pakistan. Même si le « gouvernement » d'Hamid Karzaï n'était pas complètement corrompu par le trafic d'opium et les vols d'argent du contribuable américain, les traditions indépendantes, sauvages et parfois primitives des tribus afghanes ne conduiront pas à la démocratie telle qu'elle est pratiquée à Des Moines ou à Detroit.

Non, la voie guerrière choisie par Rahm Emanuel et les autres proches d'Obama est une quête pour la victoire électorale, et non pas militaire. Comme l'a récemment expliqué le grand politologue américain Gary Wills dans le New York Review of Books, la pensée orthodoxe chez les politiques (une pensée que Wills partage) est qu'une retraite de l'Irak et de l'Afghanistan rendrait presque certaine la défaite d'Obama en 2012 : « Les accusations seraient mortelles, soit qu'il s'est montré faible, antipatriotique, niant les sacrifices déjà faits, trahissant nos morts, abandonnant tous les investissements précédents en vies et en argent. »

Toutefois, les tactiques électorales simples et crues n'expliquent pas totalement la politique cynique et autodestructrice américaine. Pour mieux comprendre le discours du président donné à West Point la semaine dernière, il faudrait consulter des non-Américains et peut-être même... un Français ! Effectivement, je n'ai pas trouvé d'analyse plus pertinente que celle de Jean-Philippe Immarigeon dans son livre (troisième d'une trilogie) L'imposture américaine.

Hapiness

Immarigeon cherche à expliquer comment le joli et gentil « rêve américain » incarné dans l'ascension d'Obama en novembre 2008 n'est ni tellement joli ni vraiment gentil dans ses origines. Un peu dans le courant de Sigmund Freud (« L'Amérique est une erreur, une gigantesque erreur il est vrai, mais une erreur tout de même »), Immarigeon met en cause la supposée vertu des principes fondateurs de la république anglo-saxonne. S'attendre, soit en Amérique soit en France, à un retour à un éden mythique sur les épaules « du messie sauveur d'un système qui n'en finit pas de chavirer » est mal comprendre le fondement philosophique des États-Unis. Au fait, « soi-disant nouveau maître du monde est à la tête d'une nation qui n'est plus maître de ses horloges... Barack Obama va devoir se battre pour retenir une puissance qui file entre les doigts d'une Amérique qui s'est crue démiurge et qui se découvre mortelle ».

D'où sort le péché originel dans le jardin d'Obama ? D'après Immarigeon, « l'approche très particulière que les États-Unis ont de l'histoire et du monde, leur assurance d'être la nouvelle Jérusalem, ne doit pas tant à leur religiosité très agaçante... qu'à leur croyance en une méthode infaillible » tirée, ironiquement, du philosophe français René Descartes. Cette confiance absolue dans « son Moi identitaire » contient des aspects totalitaires qui mènent l'Amérique à faire beaucoup de mal au nom du bien : « Concrètement, cela commence par la conquête d'un continent immense et riche en matières premières, dont on extermine les primo-occupants parce que l'homme nouveau doit se retrouver seul. Ensuite, on importe des dizaines de millions d'émigrants à qui l'on demande, si ce n'est pour cultiver ce folklore familial si amusant lors des fêtes de famille, d'oublier tout leur passé, toutes leurs racines, toute leur histoire ancienne. »

Avec une telle arrogance, la « promesse américaine » peut parfois devenir un cauchemar. Étant donné que l'Amérique est « persuadée d'être exceptionnelle et délivrée des lois de l'histoire », elle se permet toutes sortes de vilenies — de la colonisation brutale des Philippines en 1898, à la libéralisation économique radicale des années vingt et quatre-vingt-dix, au Vietnam, à l'invasion de l'Irak, à un niveau de consommation qui menace la planète...

Comment s'en sortir ? Immarigeon aurait voulu qu'Obama soit un Gorbatchev américain, un grand homme qui aurait avoué que les idées américaines primordiales — dont « la fiction » énoncée dans la Déclaration d'indépendance « d'une égalité naturelle [octroyée par Dieu] dont découlerait l'égalité juridique » — ne sont pas tout à fait comme il faut. Bref, accepter la défaite, « une défaite par épuisement des forces, de Kaboul à Wall Street », et « simplement admettre que son modèle a été parfaitement adapté à un moment d'histoire de l'humanité, mais qu'aujourd'hui, il ne sert plus à rien. »

Trop tard. Obama joue le jeu de ses prédécesseurs jusqu'au bout, mais pas plus que les talibans. Notez bien comme le fait Immarigeon: « La magie rationaliste enseignée à West Point ne tient pas une seconde face à un adversaire qui a décidé de lui rester insensible. »

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