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Qui a dit : “un débat sur l’identité nationale aurait pu bloquer Hitler” ?

Publié le 10 décembre 2009 par Kamizole

christian-estrosi.1260428557.jpgIl me semble qu’une telle connerie constitue la preuve par neuf du danger qu’il y a de méconnaître l’histoire ! Ce que devrait méditer bien évidemment Luc Chatel avant de supprimer l’ensei-gnement de l’histoire dans les terminales scientifiques…Trop de facteurs ont conduit l’Allemagne de la République de Weimar à la prise du pouvoir par Hitler en 1933 pour entrer dans les détails. A commencer par l’humiliation de la défaite de 1918 et l’aberrant Traité de Versailles qui infligeait au vaincu des “réparations” astronomiques.

Vous y ajoutez la haine – il n’y a pas d’autre mot ! - entre les communistes et les socialistes qui avaient participé à la répression sanglante de la révolution spartakiste de novembre1918 ce qui, contrairement à la France, rendit impossible par la suite tout “front commun” de gauche contre le fascisme.

L’inflation vertigineuse qui en 1923 - «l’année inhu-maine» - ruina littéralement les rentiers et les retraités et répandit la plus noire misère dans les milieux populaires. La dépression de 1929 et un taux de chômage record : entre 1929 et l’hiver 1931-32 le nombre de chômeurs passa de 2 millions à 6 millions. Hitler “surfa” – si je puis me permettre cet anachro-nisme - bien évidemment sur tous les mécontentements des Allemands.

N’en déplaise à Christian Estrosi – car c’est bien de lui qu’il s’agit ! – la xénophobie et le racisme allemands ne datent nullement du XXe siècle ni du nazisme.

Pour trouver les racines du nationalisme allemand – «pangerrmanisme» - il faut remonter au début des années 1800 et précisément aux guerres napoléo-niennes qui ressuscitèrent le désir de la «Grande Allemagne» - “Magna Germania” de la Germanie antique - ainsi que l’unité politique de l’ancien “Saint Empire romain germanique”, survivance de l’Empire de Charlemagne, fondé en 962 par Othon 1er et dissous en 1806 alors qu’il était loin de rassembler la totalité des Etats de langue allemande – la puissante Prusse n’en faisait pas partie – et qu’il était morcelé depuis la Réforme en une multiplicité de petits Etats, ceux qui étaient dirigés par des princes protestants ne se référant évidemment plus à Rome.

Ce fut la Prusse de Guillaume 1er qui, avec Bismark, réalisa l’unité allemande – encore imparfaite aux yeux des partisans de la Grande Allemagne – après la victoire de Sadowa (3 juillet 1866) sur les Autrichiens et ceux des princes allemands qui l’avaient soutenue. Préfigurée par la Confédération de l’Allemagne du Nord en 1867, qui deviendra l’Empire Allemand en 1871.

La revendication que l’on peut qualifier “d’irréden-tiste” (sur le modèle italien) faute de mot approprié, consistant à revendiquer les territoires germanophones – comme les Sudètes et la Prusse Occidentale, séparée de l’Allemagne par le connu “couloir de Dantzig”, après le Congrès de Versailles de 1919 - commença vers la fin des années 1890 et fut reprise bien évidemment par Hitler.

Il faudra ensuite rappeler que l’antisémitisme allemand – et plus largement occidental de même que dans les pays slaves, Cf. les pogroms – ne date nullement du XXe siècle ni même du XIXe mais qu’il faut remonter au moins au XIe siècle et notamment aux Croisades, qu’elles fussent prêchées par Pierre L’Hermite (1096) ou Bernard de Clairvaux en 1146 à Vézelay, il s’en suivit que la foule des pèlerins surexcités et lancés de manière souvent désordonnée sur les routes aussi bien de France que d’Allemagne procéda sur son passage à des massacres de juifs, peuple accusé – bien évidemment à tort - d’être déicide.

Dans l’Allemagne médiévale où ils sont théoriquement protégés par l’Empereur (tradition carolingienne) ils ne sont nullement à l’abri des persécutions comme en témoigne le massacre de la population juive de Worms en 1096. L’antijudaïsme médiéval est incompréhensible hors du contexte religieux. Aussi bien dans le monde chrétien que musulman, où selon les époques les juifs furent tolérés et protégés – comme en Andalousie – ou persécutés. La vie de Maïmonide, sage et rabbin juif - nourri de culture juive, musulmane aussi bien que grecque – en témoigne à l’envi.

Les juifs de la diaspora – qui d’après certaines recher-ches archéologiques, seraient arrivés en Allemagne et en France avec les légions romaines mais je suppose qu’ils étaient déjà venus dans l’Europe du Sud avec les marchands grecs, ceux qui fondèrent notamment Massilia (Marseille) et les établissements grecs en Sicile et en Italie – restaient fermement attachés à leur culte, leur communauté et la conviction d’être le peuple élu de Dieu.

Ecartés du système féodal, exclus de la propriété du sol et des corporations, ils ne pouvaient donc que se livrer, outre le commerce, qu’à des activités marginales et le plus souvent interdites aussi bien aux chrétiens qu’aux musulmans – le prêt sur gage, l’usure ou la vente à tempérament – méprisées par la population mais indispensables à la société au point que les Rois de France h’hésitèrent pas à faire appel aux financiers juifs depuis des temps immémoriaux… Ensuite de quoi, ils trouvaient toujours un moyen de les persécuter - j’ai le souvenir que Louis XV n’y manqua pas ! - manière habile de ne point rembourser leur dette !

Notez que les juifs – de même que les musulmans - d’Espagne et du Portugal furent sommés après 1492 et la fin de la “reconquista” de se convertir à la religion catholique. Beaucoup fuirent et ceux qui restèrent et acceptèrent de se convertir – au moins en apparence – les “Marannes” furent perpétuellement accusés par l’Inquisition de continuer à pratiquer leur religion en secret et beaucoup périrent sur ses bûchers.

1492 ! Certes, ce fut l’année où les Rois Catholiques s’emparèrent de Grenade, dernier bastion musulman en Espagne. Mais curieuse coïncidence, ce fut aussi celle de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb après laquelle les galions espagnols chargés d’or affluèrent en Espagne, apportant une prospérité jusque-là inconnue… Je ne peux m’empêcher de penser que la persécution des juifs en général et des Marannes en particulier obéit à une raison aussi triviale que vénale : Ferdinand V et Isabelle la Catholique qui fondèrent l’Inquisition espagnole en 1479 n’avaient plus besoin de l’argent des financiers juifs.

Pour en revenir au pangermanisme et à l’antisémitisme moderne, en 1891 fut fondée la Ligue pangermaniste qui regroupa rapidement de nombreux industriels – ceux-là mêmes qui figurèrent parmi les plus fermes soutiens financiers d’Hitler – des généraux, des amiraux, des professeurs et des intellectuels. Ce qui ne veut aucunement dire qu’ils fussent tous antisémites. Mais à la même époque – qui fut aussi celle de l’Affaire Dreyfus en France (1894-1906) – les idées racistes prirent de l’ampleur en Allemagne, des théoriciens commençant – avec la fondation de la “Gobineau-Vereinigung” à proclamer le droit absolu à l’expansion des peuples “porteurs de culture”

Or, Joseph Gobineau (1816-1882) diplomate, érudit et philosophe français, est loin d’être un inconnu et ses thèses racistes exposées dans son «Essai sur l’inégalité des races» où il soutenait notamment la supériorité intellectuelle et morale de la race indo-européenne (aryenne) à l’origine de toutes les grandes civilisations et l’affaiblissement de la civilisation et de la race par les métissages furent reprises par Hitler quand il rédigea Mein Kampf.

Vous y ajouterez «l’eugénisme» - la purification de la race – prôné par un autre Français, Alexis Carrel (1873-1944), Prix Nobel de Médecine (1912) eugéniste et “régent” de la “Fondation française pour l’étude des problèmes humains” (sous l’autorité de Pétain !). A ma connaissance l’on a pas débaptisé la crèche qui porte son nom dans le XIXe arrondissement de Pairs… Il envoyait son équipe «Biologie de la lignée» enquêter sur la «qualité biologique» des familles immigrées de Paris et de sa banlieue à l’époque même où s’organisait la déportation à Drancy. Moins connue est son apparte-nance au Parti populaire français – pro-nazi – fondé en 1936 par l’ex-militant et député communiste Jacques Doriot.

Tout cela ne peut que faire froid dans le dos aujourd’hui quand quasi les mêmes arguments sont repris contre les immigrés, notamment venus d’Afrique au sens large – hier colonisateurs les Français seraient colonisés - et que se déchaîne sans aucune retenue l’islamophobie comme en témoigne un récent article du Monde Sur le site d’Eric Besson : le pire du débat sur l’identité nationale.

Je ne saurais oublier que l’antisémitisme prospéra toujours sur fond de crises, de bouleversements de la société ou dans des circonstances tragiques, par exemple la grande épidémie de “Peste noire” – ou “Grande peste” - qui ravagea l’Europe au XIVe siècle. Les juifs étant de parfaits “boucs émissaires”, ils furent là aussi injustement que connement accusés de l’avoir provoquée en ayant empoisonné l’eau des puits… Ne la buvaient-ils pas eux-mêmes ?

De même, la propagande nazie accusa les juifs d’être responsables de la dépression des années 30. Parce que certains d’entre eux étaient banquiers ? Tous devaient être forcément riches !

Argument bien évidemment ridicule quand on sait que la plupart des juifs d’Allemagne et d’Europe centrale qui choisirent l’exil en France étaient des petits artisans et ouvriers qui peuplèrent les taudis du Marais, de Ménilmontant et de Belleville… Là même où la police de Vichy vint les cueillir pour les emmener au Vel d’hiv et ensuite vers Drancy, premières étapes vers les camps d’extermination.

Depuis 1975 – première crise économique d’envergure depuis la Libération - les travailleurs étrangers sont les parfaits boucs émissaires. L’immigration est rendue responsable du chômage de masse par la propagande lepéniste – c’est son fond de commerce ! - Comme s’il n’avait pas d’autres causes qu’il s’agit pour nos diri-geants de faire oublier : les délocalisations “boursières” et la casse systématique de l’industrie, sous les auspices bienveillants du pouvoir.

C’est sans nul doute pour cacher cette réalité et détourner l’attention des Français avant les élections régionales qu’Eric Besson et Nicolas Sarkozy ont ouvert cette boîte de Pandore dont ils seraient bien incapables de maîtriser les effets pervers si tant est qu’ils le voulussent, ce qui est loin d’être le cas ! Se vautrant dans leur fange comme gorets dans leur bauge, ils préfèrent l’un et l’autre accuser la gauche et les intellectuels de mépriser le peuple…

Cf. la tribune qu’a donnée Nicolas Sarkozy au Monde le 12 décembre 2009 Nicolas Sarkozy : “Respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent” aussi bien que les propos récents d’Eric Besson qui réfute le terme de “fascisme”, utilisé jeudi par Daniel Cohn-Bendit pour qualifier l’ambiance créée par le débat. “Le débat ne tourne absolument pas mal : il passionne les Français et je me réjouis de cet immense succès populaire. Que ceux qui ont peur du peuple, qui voudraient dissoudre le peuple l’assument, même dans la majorité”. Notons qu’Hitler également en appelait au peuple !

Nos “bons Français” se déchaînent et n’ont rien à envier aux antisémites de l’Entre-deux-guerres et de l’Occupation non plus qu’aux nazis. Quand certains définissent l’identité nationale par le “droit du sang” : le fait d’être né sur le sol français de parents français au contraire du “droit du sol” : être né sur le territoire français qui remonte à 1515, donc à François 1er – bataille de Marignan - selon les repères chronologiques que l’on nous inculquait à l’école primaire dans ma jeunesse. Le plus exigeant demandant que l’on remontât jusqu’à 5 générations !

Cela a un sacré air de racisme pur et dur faisant penser non seulement aux lois nazies et du Régime de Vichy mais aussi de l’Amérique du temps de la ségrégation et l’Afrique du Sud de l’apartheid…

Comment Christian Estrosi peut-il être assez stupide et ignorant pour penser qu’un débat sur l’identité nationale eût pu bloquer Hitler ?

Il n’était précisément question que de cela dans l’Allemagne hitlérienne ! Bien avant 1933.et la prise du pouvoir. Entre les intellectuels acquis aux thèses ultra-nationalistes et antisémites qui discutaient et discouraient doctement et les foules fanatisées par la propagande nazie.

La création des Jeunesses hitlériennes – lieu d’endoctrinement - remonte à 1924, de même que celle des Sections d’Assaut (SA) – organisation para-militaire chargée à l’origine du service d’ordre des meetings et réunions du parti nazi et qui devint vers 1930 une véritable armée politique qui réprima violemment tous ceux qui eussent pu s’opposer à la montée en puissance des nazis : communistes au premier chef, socialistes et démocrates en général.

Parmi eux, un certain nombre de protestants et une partie de l’aristocratie et de l’intelligentsia allemande que ces méthodes et ce discours révulsaient. Sans qu’ils eussent les moyens de se faire entendre dans la population largement fanatisée. Ils comptèrent souvent parmi les premières victimes du régime nazi : ils remplirent les premiers camps de concentration alle-mands et certains - authentiques résistants – périrent sous la main des bourreaux du IIIe Reich.

C’est précisément pour cela que nous devons combattre énergiquement l’entreprise funeste d’Eric Besson et Nicolas Sarkozy. Il est heureux qu’aujourd’hui la plupart des intellectuels français donnent de la voix même si elle ne porte sans doute pas suffisamment loin au sein de la France profonde. Pour que ne se répètent pas les tragiques erreurs d’hier.

Nous devons garder à l’esprit le message du pasteur allemand Martin Niemöller qui connaîtra l’enfermement dans les camps nazis :

“Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, car je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, car je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, car je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, car je n’étais pas juif.
Et quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester “


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