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Lecture : "PROFILEUSE" de Stéphane BOURGOIN.

Par Ananda
Stéphane BOURGOIN : "PROFILEUSE ; une femme sur la trace des serial-killers", Grasset, 2007


Il y a vraiment de quoi avoir froid dans le dos en lisant ce livre de 250 pages où la réalité semble dépasser la plus noire des fictions.
Ce grand spécialiste français des tueurs en série qu'est Stéphane Bourgoin nous entraîne cette fois dans un des pays les plus violents qui soient au monde : l'Afrique du Sud.
Imaginez : "un pays où 51 meurtres et 150 viols sont commis tous les jours, un vol à main armée toutes les trois minutes et un cambriolage toutes les minutes et demie, et où la criminalté a plus que doublé en dix ans". Des villes qui apparaissent comme cauchemardesquement dangereuses.
Des tueurs en série qui "se multiplient un peu partout dans le pays, à Nasrec, à Wittbank, à Phoenix, à Johannesbourg, à Piet Retief ", au point que "Partout, des corps sans vie jonchent les terrains vagues et des cadavres mutilés s'accumulent dans les morgues des townships".
Et puis, ce personnage qui surgit, hors du commun, faiseuse de "miracles" : une jeune femme, Micki Pistorius.
"J'ai d'abord été journaliste à la télévision [...]. Parallèlement, je menais des études très poussées en psychologie à l'université de Prétoria, lorsqu'un professeur m'a suggéré de faire un mémoire sur les serial-killers [...] Une fois terminé, il est parvenu entre les mains du grand patron de la police sud-africaine, qui était à la recherche d'un psychologue pour à la fois aider les policiers et suggérer de nouvelles méthodes afin de traquer les serial-killers. C'est ainsi que je suis entrée dans la police, en Février 1994".
D'abord mal accueillie par le tout venant des policiers, Micki finit très rapidement, par gagner leur respect profond, tant en raison de ses dons étranges que de son efficacité confondante. Son travail acharné et d'une minutie sans faille sur les dossiers, l'exceptionnelle acuïté de son pouvoir de déduction et, le plus étonnant, sa capacité à "capter des ondes " sur les scènes de crimes l'amènent à dresser des profils d'une fiabilité remarquable (à vrai dire, voisine de 100%) qui lui permettent de résoudre les affaires les plus difficiles. Un authentique phénomène !
Certes, nous dit-elle, "le profil psychologique ne remplace pas une enquête approfondie sur le terrain. C'et un outil supplémentaire dans la recherche du criminel".
De plus, "lorsqu'un profil est bien esquissé, son utilité peut s'étendre bien au-delà de l'arrestation du suspect. Les profilers conseillent fréquemment la police sur la meilleure manière d'interroger un suspect, et même les procureurs, auxquels ils offrent les moyens de briser les défenses d'un accusé qui témoigne à la barre".
De ces "grands fauves" que sont ses redoutables "gibiers", Micki Pistorius dit sans ambage : "Il est impossible de réhabiliter un serial-killer [...] Et ils (les tueurs en série) deviennent accros et dépendants"; "Avec ces individus, on est confronté à un paradoxe extraordinaire : ce sont des personnes qui souffrent énormément et qui expriment cette immense douleur en infligeant de terribles souffrances à leurs victimes".
Micki Pistorius poursuit : "Aux Etats-Unis, les profileurs du FBI ne se déplacent pas sur la scène de crime et, pour moi, c'est une erreur, car cela réduit considérablement leur efficacité. En revanche, ils sont de très bons formateurs. [...] J'ai dressé près d'une trentaine de profils psychologiques et ils sont tous très différents les uns des autres. Il est impossible de travailler selon des schémas pré-établis. L'expérience compte, mais établir un profil ne relève pas du copier-coller. Avant tout c'est un travail d'équipe".
Au bout de six ans d'implication maximale dans son travail, Micki Pistorius abandonne le profilage. Elle en est arrivée à "entrer dans la tête du serial-killer. On serait tenté de penser, à lire ces pages étonnantes, qu'elle possède des dons de nature médiumnique. Est-ce parce qu'on est en terre africaine qu'on frôle presque le surnaturel ?
Ou est-ce plutôt parce que Micki Pistorius est un véritable génie de la déduction ?
Qu'est-ce qui la sert ? Son intelligence exceptionnelle ou son intuition hyper-sensible ?
Certainement, un peu des deux.
Elle s'essaie à expliquer : "c'est mon subconscient qui agit".
"Avoir un serial-killer dans sa tête n'est pas quelque chose qui se manifeste uniquement sur le scène du crime. Cela peut m'arriver n'importe où et n'importe quand, ce qui est très dérangeant et malsain [...] Et, quelquefois, je sens que le serial-killer est en train de tuer quelqu'un. Pourquoi ? J'ai déjà emmagasiné ses vibrations sur la scène du crime et je sais quand il se met en colère et quand il tue [...] Ce sentiment est terrifiant. [...] Il m'est même arrivé de décrire des scènes de crime d'un serial-killer dont je n'avais pas encore eu connaissance [...] cela a une influence extrêmement néfaste sur la vie [...] vous êtes complètement déboussolé". Dingue, n'est-ce pas ?
Et, de fait, cette "clairvoyance" inimaginable a eu raison de Micki, laquelle a fini par se retrouver au bord de l'effondrement. Illustration de la fameuse maxime nietzchéenne "quand tu regardes l'abîme, l'abîme te regarde" ?
En dépit de toutes ces épreuves, la jeune femme s'est mise à former d'autres policiers : "lire le langage corporel" de ces tueurs une fois qu'ils avaient été pris; apprendre à ne pas brusquer, juger, donc braquer le suspect, au contraire, le mettre en confiance histoire de le détendre, de faire tomber ses barrières, de façon à ce qu'il parle, se confie; "parvenir à communiquer" en "se concentrant entièrement sur l'individu qui vous fait face", tel est, entre autre, le contenu de son enseignement.
Micki Pistorius, femme extraordinaire, a de quoi fasciner. Le tribut qu'elle a payé à son don a bien failli la détruire. Sera-telle jamais délivrée d'une expérience de cette nature ?
Elle s'est retirée du profilage en 2000, afin de "sauver sa santé mentale"; c'était urgent.
Un livre sombre, insoutenable, à ne pas mettre en toutes les mains, certes.
Un ouvrage où l'Afrique du Sud apparaît comme un pays à faire dresser les cheveux sur la tête.
Comment vivre, au milieu d'une telle sauvagerie , qui nous laisse pantois ?
N'est-elle pas une des lamentables résultantes du colonialisme et de l'apartheid, qui marquèrent cette contrée au fer rouge ?


Patricia Laranco.

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