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"Une affaire d'Etat".

Par Loulouti


Dans un passé j’ai eu la dent très dure contre la comédie dite "à la française" Inversement je dois reconnaître que s’il y a un genre où notre 7ème art hexagonal ne se débrouille pas si mal que ça c’est bien dans le thriller politique.  Les longs métrages sont en général solides, dotés d’excellents scénarios et interprétés par le fleuron de nos comédiens.

Nouvel exemple avec "Une affaire d’Etat" mis en scène par Eric Valette à partir du roman "Nos fantastiques années fric" de Dominique Manotti. Un long métrage que j’ai pris énormément de plaisir à regarder après "La route" qui m’a plus que laissé sur ma faim.

Victor Bornand (André Dussolier) agit dans la coulisse. Son rôle consiste à opérer diverses négociations officieuses pour l’Etat français. L’une de ses opérations échoue quand un avion transportant des armes pour les rebelles congolais est abattu au dessus du golfe de Guinée.

Des rumeurs filtrent dans la presse. Bornand charge Michel Fernandez (Thierry Frémont), son homme de main, de remonter à la source de ces indiscrétions. L'ancien barbouze tue une escort girl appartenant au réseau de l’influente Mado (Christine Boisson), amie des hommes politiques et des industriels, protégée par Macquart (Jean-Marie Winling), Commissaire de Police à la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur).

Le capitaine Bonfils (Gérald Laroche) et la jeune officier Nora Chahyd (Rachida Brakni) de la Police Judiciaire parisienne mènent les investigations sur cet homicide mais s’approchent de trop près des sphères gouvernementales.

"Une affaire d’Etat" est un thriller politique très bien construit. Les différentes intrigues se croisent sans que le spectateur ne perde le fil une seule seconde. Les faits nous sont proposés de manière simple, didactique même. Les intrigues passionnent, divertissent et permettent de nous interroger quelque peu sur la société  d’aujourd’hui. La mécanique est très bien huilée.

Il est clair que l’œuvre d’Eric Valette s'inscrit dans une certaine tradition et a une filiation directe avec les meilleurs films du genre des années 70. "Une affaire d’Etat"  nous fait penser à "I comme Icare" d’Henri Verneuil.

Manipulations de l’opinion publique, chantage, pressions politiques, coups bas, trahisons, mensonges divers et variés, assassinats sont le lot quotidien des hommes et des femmes d’un univers bien glauque. L’ amitié, la confiance ne résistent pas à des charognards qui rodent en permanence.

Seuls quelques policiers honnêtes se dressent pour résoudre une enquête aux multiples ramifications et parvenir à entrevoir la vérité, si moche soit elle.

"Une affaire d’Etat" est une œuvre au rythme élevé. Eric Valette ne nous laisse pas le temps de nous endormir sur nos lauriers avec un rendu nerveux, stressant par moments. Les situations s’enchaînent avec une fluidité étonnante.

Les esprits chagrins parleraient d’exagération ou d’invraisemblance quant à la rapidité de l’enquête policière mais je leur rappelle que nous sommes au cinéma et que l’art permet ce genre de raccourcis ou d’ellipses. Je pense qu’il n’y a aucune limite aux procédés usités. Le spectateur est présent pour nous divertir. Point.

Le long métrage connaît beaucoup de moments très forts et de rebondissements. Nous naviguons en eaux troubles constamment, aux frontières du vice, du crime et de la raison d’Etat. Nous plongeons au cœur d’un Paris qui n’a rien d’une carte postale. Nos côtoyons les puissants et les malfrats.

Le long métrage aligne les scènes chocs sans jamais nous lasser. Les morts sont légion mais on ne peut pas vraiment parler d’un film violent. Quand la politique, les affaires, la corruption et la raison d’Etat sont mêlées, on doit s’attendre à ce genre de thriller où tous les coups sont permis.

Les différentes ambiances sont très restituées. La politique apparaît sous un jour on ne peut plus sombre. La vision du metteur en scène oscille entre un réalisme cru et un cynisme pertinent.

Les relations entre la France et l’Afrique en prennent aussi pour leur grade. Les coulisses d’une livraison d’armes servant de monnaie d’échange à des soldats français enlevés  tendent à nous démontrer qu'un pays est prêt à tout pour arriver à ses fins.

Par des voies détournées bien sûr.

Sans longueur inutile, ni circonvolutions superflues, le metteur en scène mène une cadence d’enfer et va droit à l’essentiel.  

Le spectateur n’est pourtant pas dupe : il sait très bien que certains de ces événements se passent depuis des lustres. Des hommes sans titre officiel  agissent dans la coulisse.

Le cinéaste, qui s'appuie lui-même sur un matériau écrit, n'a certainement pas la prétention de pointer du doigt les errances des gouvernants d'un pays tel que la France mais la fiction lui permet de cerner un lot de possibilités et de probabilités.

"Une affaire d’Etat" propose, ce qui se fait de plus en plus rare de nos jours, une galerie de personnages solide, racée. Les protagonistes sont froids, durs, intransigeants dans leurs agissements. Il est agréable de constater qu’il y a encore dans notre pays des scénaristes et des metteurs qui savent brosser en quelques traits des êtres de fiction crédibles et entiers.

André Dussolier joue sur du velours. Son interprétation d’homme de la coulisse lui va tellement comme un gant que je regrette de ne pas l’avoir vu plus souvent dans des rôles plus sombres. Il émane de Rachida Brakni une sorte de rage froide, un désir de vengeance quasi animale. Ses actes mais surtout ses regards donnent à son personnage une épaisseur hors du commun.

Mais la très grande satisfaction concerne Thierry Frémont qui se fond dans la peau d’un tueur toxicomane avec une étonnante facilité. Son personnage se retrouve au carrefour de toutes les intrigues et de ses actes découlent bon nombre de rebondissements. L'acteur français est plus que brillant.

Les seconds rôles prennent leur mesure à chaque scène de l’œuvre. Il n’y a pas une séquence qui ne bénéficie pas d’une parole opportune, d’un geste savamment calculé.

Eric Valette rend hommage à un genre cinématographique très difficile à mettre en scène et trace son propre chemin avec un long métrage passionnant, une réalisation nerveuse et un casting de choix.

Du bon et beau cinéma.

A voir.  


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