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Entre idolâtrie et tourments, les mystères de l’amour…

Publié le 14 décembre 2009 par Boustoune

Curieux film que Persécution le dernier long-métrage de Patrice Chéreau… Une œuvre étrange, froide, complexe, austère et assez inclassable, qui devrait logiquement diviser le public comme elle a divisé les critiques, en fonction de la façon dont elle est abordée et comprise…
De quoi parle le film, exactement ? De persécution… oui, d’accord, gros malins, c’est dans le titre… Mais encore ? Déjà faut-il s’accorder sur la définition du mot « persécution » et choisir à partir de là comment on doit voir l’histoire du film…
Au sens strict, la persécution, c’est l’action de tourmenter quelqu'un par des traitements injustes et cruels. Une forme de harcèlement ou de torture.
Il existe aussi une définition en rapport avec la psychiatrie : la persécution, ou délire de persécution, est « une forme de délire dans lequel le sujet se croit attaqué dans son bonheur, ses intérêts, sa santé et même son existence, soit par des personnages réels, soit par des forces imaginaires ». Une sorte de psychose pouvant alimenter des hallucinations.
Donc deux façons de comprendre le titre et deux façons d’aborder le film.
L’une d’elle est rationnelle. Il s’agit de l’histoire de Daniel (Romain Duris), un jeune homme qui gagne sa vie en rénovant des appartements. Un beau jour, il se trouve confronté à un inconnu (Jean-Hughes Anglade) qui semble s’être entiché de lui. Il l’épie, le harcèle, n’hésite pas à s’introduire à son domicile… Une forme de persécution, donc… Daniel a une petite amie, Sonia (Charlotte Gainsbourg). Mais ils ne vivent pas ensemble. Dès le début de leur relation, les choses ont été clairement définies. Elle a besoin de son indépendance et est amenée à se déplacer fréquemment pour raisons professionnelles. Daniel le vit mal. Il a envie de plus d’investissement de la part de celle qu’il aime, qu’il idolâtre, même. Elle le tourmente, lui fait du mal involontairement. Sans s’en rendre compte, lui aussi va la persécuter, en s’introduisant à son domicile, en l’enjoignant de changer, de venir vivre avec lui… Dès qu’elle est là, il la saoule de paroles, la vampirise complètement par son attitude outrancièrement possessive.
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Abordé sous cet angle, le film est relativement limpide et fonctionne avec le principe de l’arroseur arrosé. Daniel est la fois harcelé et harceleur. Il est tout d’abord persuadé d’être un type bien, sûr de ses convictions et de ses idées. Il va se découvrir tel qu’il est réellement, un homme antipathique, hautain, cassant et distant. Il croit aider son ami Michel (Gilles Cohen)? En fait, il lui pourrit la vie. Il est persuadé que Sonia le tient à distance ? En fait, c’est lui qui la tient à distance, en lui cachant certains aspects de sa vie, comme son meilleur ami Thomas (Alex Descas)… A travers plusieurs saynètes, Chéreau dresse le portrait d’un homme perturbé, compliqué et terriblement paumé. Un type qui aimerait recevoir beaucoup, mais qui est incapable de donner, incapable d’aimer. Sa vie est un chantier sans fin, un comble au vu de son métier, ou plus probablement, un subtil symbole de la part du cinéaste… Daniel est l’un de ces personnages qu’il affectionne particulièrement, qui lui permettent de traiter de la fragilité des relations humaines, et principalement de la relation amoureuse, l’un de ses thèmes récurrents.
Pour traiter le sujet et souligner les heurts entre Daniel et son entourage, la mise en scène joue d’ailleurs la carte de la rupture, avec un enchaînement de séquences très sec, sans liant apparent, et de nombreuses ellipses. Un montage curieux qui risque de décontenancer plus d’un spectateur.
Mais c’est là qu’intervient l’angle de lecture alternatif, plus riche en possibilités d’interprétation. C’est toujours le portrait d’un homme – Daniel, Michel, Thomas ? – mais, cette fois, d’un homme psychologiquement malade, perturbé, souffrant de délire de la persécution ou pire, de schizophrénie paranoïde.
Dans cette hypothèse, le personnage de Jean-Hughes Anglade pourrait n’être que le fruit de son imagination, une hallucination ou l’une des composantes de sa psyché tordue, une sorte de miroir réfléchissant sa propre attitude vis-à-vis de Sonia.
Tout comme on peut remettre en question l’existence des autres personnages : Sonia tente-t-elle de rester vaille que vaille auprès de l’homme qu’elle aime, malgré ses troubles mentaux ? Est-elle seulement encore physiquement présente, ou n’est-elle plus qu’un fantasme ? Thomas est-il réel ou le fruit de l’imagination de Daniel ? (A un moment, Sonia lui dit qu’elle pensait que cet ami était imaginaire…). Michel, qui débarque un peu n’importe quand dans la vie de Daniel existe-t-il vraiment ? Est-il un copain d’autrefois, avec lequel il se serait brouillé ? Ou bien symbolise-t-il le passé de Daniel lui-même. Auquel cas son histoire, sa dépression, seraient celles du jeune homme… A chaque spectateur la possibilité d’assembler comme bon lui semble les pièces du puzzle…
De toute façon, le résultat est le même qu’avec la lecture plus conventionnelle de l’œuvre. Il s’agit de montrer comment l’amour peut se transformer en persécution. Comment l’envie de posséder l’objet de son désir peut tourner à l’obsession, comment le rejet de l’autre peut être blessant, comment une rupture peut avoir de graves conséquences sur un mental faible…
Certains trouveront peut-être cette approche stupide, un peu tirée par les cheveux, les différentes interviews données par Patrice Chéreau abordant l’œuvre sous l’angle linéaire et rationnel… Mais certains éléments tendent à la conforter. Le montage heurté, saccadé. Ou les cadrages choisis par le cinéaste, étouffants, oppressants… Ou encore des éléments de dialogue qui peuvent se lire à double sens.
Il y a aussi le lien de parenté entre la coscénariste Anne-Louise Trividic et Pierre Trividic, auteur du magnifique L’autre… le portrait d’une femme au bord de la folie.
Et la chanson finale, « Mysteries of love », qui a déjà été utilisée au cinéma dans le Blue Velvet de David Lynch, un grand film psychanalytique !
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L’important, c’est que, d’une façon ou d’une autre, le propos de Patrice Chéreau reste totalement intelligible et cohérent, rythmé par quelques séquences fortes : l’introduction, où une jeune femme reçoit une gifle de la part d’une SDF qui fait la manche dans le métro – geste violent, humiliant-, la scène de l’accident de moto, ou le face-à-face entre Daniel et son persécuteur, où se libèrent les secrets du personnage principal.
C’est un film dans la lignée de ses œuvres précédentes, grave, funèbre, douloureuse. Une histoire d’êtres déchirés, torturés par des sentiments ambigus, de personnages en proie, malgré eux, à une profonde solitude. Des rôles évidemment difficiles, donc attirants pour des comédiens aussi confirmés que Romain Duris, Charlotte Gainsbourg ou Jean-Hughes Anglade, tous très bien.
Pas sûr, cependant, que ce dernier fasse l’unanimité des spectateurs, au vu des ricanements provoqués par chacune de ses apparitions, il est vrai assez saugrenues dans le contexte du film… D’ailleurs, certains rejetteront probablement en bloc cette œuvre thématiquement classique, presque trop théâtrale, et formellement dérangeante, trop bizarre. Alors que d’autres crieront au génie, emportés par la profondeur « dostoïevskienne » du scénario…
Il est clair que cet étrange objet filmique ne laisse personne indifférent, et génère tellement d’impressions contraires, entre agacement et fascination, qu’on sort de la projection avec un avis mitigé, incapable de dire s’il s’agit d’un grand film ou d’une œuvre ratée. Persécution n’est probablement ni l’un ni l’autre, mais c’est une œuvre intéressante, très personnelle et audacieuse, qui secoue le public et crée un certain malaise. Du mépris ? C’est tout le contraire. Patrice Chéreau a le mérite de respecter ses spectateurs, en les estimant capables de réagir, et de faire les efforts intellectuels nécessaires pour comprendre son film et le ressentir. Dans un milieu où les émotions prémâchées et les situations stéréotypées sont reines, c’est suffisamment rare pour être souligné. Et défendu…
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Persécution

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