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Family Man.

Par Mélina Loupia
Son père l'a vu naître et a écrit ses premiers cris. Cet homme est mort alors que lui tentait d'en devenir un. A quinze ans, sa mère lui a volé la jeunesse à laquelle il avait droit. Sans aucun repère que l'instinct de survie, il est parti étudier Il a dû croiser son regard à demi-lune dans les couloirs de la fac, alors qu'à peine sortie de l'adolescence, elle découvrait la ville. On raconte qu'un soir, il l'avait conviée à l'initiation à la plongée sous-marine, dont il était passionné. Dans sa chambre de la cité U. Au coin du lit. Toute une pile de revues dédiées à la mer. Toute une nuit sans doute à maîtriser le sujet. La petite sirène à naître, il a bien fallu l'annoncer et suivre le protocole strict de l'époque. Tout a donc été mené quasiment de front en cette année érotique. Pour lui la vie allait commencer. La fleur au fusil, il est parti apprendre à enseigner la langue de Shakespeare sur ses terres, avec sa belle, laissant la progéniture aux petits soins de ses grands-parents, l'air pur de la campagne ferait le reste, en attendant. A leur retour, dans le bagage universitaire, se cachait une petite grenouille. Poussée par l'exode rural, la petite famille s'est échouée quelques étés au bord de la méditerranée. Il leur semblait que la misère serait moins pénible au soleil. C'est alors que dans un des filets de pêche d'un petit métier qu'une petite crevette, un jour cet homme a ramenée. De galère en galère, de port en port, c'est quand cet homme a été poussé par dessus bord qu'une étoile de mer est venue s’échouer, naufragée nécessaire pour calmer la tempête. Entre temps déjà, le souffle vital avait failli le quitter une fois. Après la pluie et le beau temps, un retour aux sources était nécessaire. Là, entouré des siennes, cet homme s'est relevé. La sirène, la grenouille, la crevette, l'étoile, et la belle à ses côtés, il a continué de bâtir. Car cet homme, c'est un bâtisseur. Il a d'abord construit sa vie d'homme, plus forte et plus belle en réponse au manque du père. La revanche prise, il a confié les clés à sa belle et a posé de nouvelles fondations. Ici et là, après chaque pendaison de crémaillère, cet homme s'est retiré avec le sentiment, le goût et l'intégrité du travail bien fait. Pendant qu'aveuglé de conscience, les siennes construisaient leurs vies, il fonçait à travers les semaines sans en voir le bout. Sa résidence principale, ses bureaux. Sa résidence secondaire, son lit qui n'accueillait qu'un sommeil aussi léger que la reconnaissance qu'on ne lui a jamais accordée. Aujourd'hui, cet homme atteint l'âge vénérable de la retraite. A l'heure où il sait qu'il ne pourra pas raccrocher ses casquettes de moniteur, enseignant, directeur, maire, chef de cabinet sans en récolter la pleine jouissance, j'ai vu cet homme être sur le point de suspendre à jamais celle de père. Quel  que  soit l'individu qui l'a mis dans l'état dans lequel je l'ai trouvé ce soir, la barbe en bataille, le regard trop cerné d'un violet fatigué et le teint transparent de détresse, il n'a pas le droit d'agir de la sorte à l'égard de cet homme, fût-il hiérarchiquement ou politiquement puissant. Car cet homme, ce mari, ce père, c'est mon père. Et on ne touche pas à mon père, pas comme ça. "Please just leave me alone, i'm a family man, but if you push me too far I just might..."  

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