Magazine Culture

"Asthmes" de Sophie Maurer

Par Fanyoun


"Une ville dans la matinée.
S'y croisent dix personnages en quête d'un souffle d'air.
Ce qui les étouffe : l'amour, la peur, l'exil , la solitude, la révolte, la privation, la maladie, la vieillesse...
Leur nom n'a pas d'importance.
On les reconnâit à l'écho de leur expérience."

Mon avis :

J'ai lu ce roman en Avril 2007 dès sa sortie et j'ai longuement hésité avant de faire cet article. Peur de ne pas être objective, peur d'être trop impudique vis à vis de l'auteur que je connais trop bien. Sophie Maurer est ma nièce. Il n'y aura donc pas d'article sur sa biographie mais je cite ce qui figure sur la quatrième de couverture "Sophie Maurer est née en 1976, elle vit à Paris et enseigne à Sciences-po. Asthmes est son premier roman".
Son roman est court, une toute petite centaine de pages. On y croise tout à tour dix personnages, dix fragments de vie. Leurs destinées sont dissociables, ils se regardent indifférement, se remarquent à peine... et le tout dans un espace commun :la ville.
Est-ce de la prose, des nouvelles ? Je ne sais pas mais l'émotion est présente, forte. Le style est très personnel. Différent quand on passe d'un personnage à l'autre. Il y un fort refus de la résignation, une recherche d'un souffle nouveau... pour soulager une respiration étouffée.
Voici quelques passages qui j'espère vous donneront l'envie de découvrir ce roman.
 (p. 49-50)

"Là, pour un temps, elle se disait, comme tant d’autres avant et avec elle, ça vaut le coup quand même, parfois il y en a un que tu aides un peu, ou deux, et juste ça, ça vaut le coup. La vérité livide, elle la voyait seulement quand il y en avait un qui y croyait vraiment parce qu’il venait de plus loin encore et qui n’y arrivait pas, la tête à l’envers, les fautes comme ça, énormes, et qui y croit, qui pense que non, les pentes habituelles, c’est pas pour lui, il est à l’université, ça va aller, et celui-là, comme ça ne va pas, on n’a pas le choix, on est obligé de lui dire, écoute, non, ça ne va pas aller, tu sais pour être avocat, il faut écrire bien, en tout cas un peu, le minimum, et toi là, avec ton écriture comme ça, tes fautes complètement folles, ça ne va pas pouvoir aller. Réfléchis, il n’y a pas un métier que tu aimes, même un peu, même pas beaucoup ? Et le regard alors, c’est à ça que chaque fois elle pense longtemps après, le regard quand d’un seul coup il comprend tout, qu’en fait si, les pentes, justement, c’est aussi pour lui et qu’il va devoir rejoindre ses frères après la traîtrise, dire bon, j’y ai cru et c’était idiot parce qu’évidemment ça ne pouvait pas marcher mais maintenant je sais qu’il y en a pour qui c’est possible et ceux-là il va falloir les haïr bien et longtemps pour que ça passe un peu, pour digérer et penser que ça va quand même.

Alors, voilà, ça, c’était la seule chose qui effaçait l’homme qui voulait qu’on lui mente et les tentations norvégiennes, oui, ce gamin-là ou un autre, il effaçait tout et elle savait que ce qui compte, ce n’est pas son cœur propre, et ses envies terribles, mais bien d’être là où le poing peut se serrer. Ce qui compte, c’est de rester, pour qu’il n’y ait pas à sa place un autre qui dirait j’enseigne à l’université et trouverait que les gens ne sont pas tellement impressionnés, ou qui au contraire n’oserait plus rien, vous savez l’université, on ne peut rien faire, c’est foutu, on est la risée à l’étranger. Elle ne pouvait rien de plus que ceux-là, mais du moins y croyait-elle encore, pour un temps qui sûrement ne durerait plus beaucoup. Elle savait aussi qu’elle tenait son illusion par orgueil, simplement pour ne pas céder devant ceux nés dans les livres et n’ayant jamais connu que ça, qui se savaient chez eux dans les salles crayeuses, en proie à la saoulerie de leurs propres mots, ceux exactement qui auraient craché sur son père ou qui, pire encore, l’auraient interrogé pour savoir ce que ça fait d’avoir vécu illettré, un pouilleux parmi d’autres dans le bidonville de Nanterre. Il fallait du coup rester, et dire au gamin tout est fait pour que tu rates sauf toi, tu en fais ce que tu veux. Si ce n’est pas ici que tu trouves, il y aura bien un endroit où tu sentiras que ça va, si tu veux bien ne pas lâcher et ne pas te dire bon tant pis."
Critique trouvée sur ce site :

Les dix fragments qui composent ce premier " roman " ne pourraient être réduits à de cacochymes problèmes de respiration. Asthmes, un titre vraiment trop réducteur pour cet ouvrage atypique, à la fois poème en prose, nouvelle, carnet intime. Asthmes, un trouble de l'émotion, de la palpitation, plutôt. Un espace unique : la ville. Les acteurs : tous ces gens qui se frôlent du corps et surtout du regard, qui s'épousent et se quittent d'un battement de paupière, qui s'inventent des passés, des futurs, des joies et pas mal de peines. Au début, il y a l'amoureuse " avide et sans sommeil ", elle désire si fort qu'on a l'impression qu'elle porte en elle tous les sexes, toutes les couleurs de peaux, toutes les étreintes, les autres personnages du livre.
Il y a aussi l'étranger. L'étranger dans la ville parce qu'il est d'une autre ville, d'un nouveau continent. Il est grand, aimable et nostalgique. Son regard croise celui de la petite fille aux lourds secrets. Battue physiquement cassée psychologiquement par sa mère, aussi son père. Est-elle devenue l'amoureuse, est-ce sa façon de compenser le manque d'amour ou deviendra-t-elle cette employée de bureau atteinte d'un cancer, qui essaie d'être digne, vivante encore ? Les yeux se ferment. Tout change à nouveau. L'amoureuse croise-t-elle au petit matin, l'Africain fatigué qui rentre du boulot ? Il finira par disparaître derrière l'homme au porte-voix, celui qui croit, harangue, qui n'a jamais voulu baisser les bras. Des existences s'empilent, fusionnent. Pas de dialogue. Seulement des transmissions de pensées. L'écriture, fluide, séduit. Chaque phrase porte avec force et compassion l'émoi, le trouble, la peur, la révolte. " Alors le découragement pouvait bien guetter, la lassitude se tapir dans des matins comme celui-là, il savait qu'ensemble ils pourraient persister à croire et à espérer. "






  Asthmes, Edition du Seuil, Série Fiction & Cie, Avril 2007.
 
 

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Fanyoun 63 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines