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Adriana Lecouvreur

Publié le 22 décembre 2009 par Porky

Même s'il n'évoque précisément plus grand-chose, le nom d'Adrienne Lecouvreur n'est pas inconnu du grand public. On l'a déjà entendu, mais on ne sait plus exactement qui était cette Adrienne et pourquoi son nom est passé à la postérité. Quant à se rappeler l'époque exacte à laquelle elle a vécu...

Remontons quelques siècles et arrêtons-nous au dix-huitième : le siècle des Lumières, de Montesquieu, Diderot, Voltaire ; le siècle où la France « éclairait » l'Europe des feux de la Raison.

C'est pourtant au dix-septième que tout a commencé : le 5 avril 1692 naît à Daméry, près d'Epernay, celle qui, avec la Clairon (ressuscitée par Richard Strauss dans Capriccio), allait devenir une des plus grandes tragédiennes du siècle suivant : Adrienne Lecouvreur. Sa famille ayant déménagé à Paris et s'étant installée faubourg Saint-Germain, non loin de la Comédie Française, la vocation d'Adrienne s'éveille très tôt et elle organise avec des voisins des spectacles amateurs qui vont très vite soulever l'enthousiasme des habitants du quartier, -à tel point que les Comédiens du Roi protestent et font interdire les représentations !

Mais l'acteur Legrand, impressionné par le talent de la jeune fille, lui enseigne les rudiments de la déclamation. Elle débute à la Comédie Française en 1717, dans le rôle de Monime, personnage de la pièce de Racine Mithridate. Son succès est immense, et ne se démentira pas tout au long des treize années qu'elle occupera la scène de la Comédie Française. A 25 ans, elle est reçue comédienne ordinaire du Roi pour les premiers rôles tragiques et comiques. Sa grande intelligence, son physique attrayant, l'expressivité de ses traits, la noblesse de son port lui permettent de jouer tous les grands rôles avec le même bonheur. A cela s'ajoute une simplicité qui sait trouver les accents et les effets les plus pathétiques propres à émouvoir le public.

Comme beaucoup de comédiennes de l'époque, Adrienne Lecouvreur collectionne les amants : Voltaire, le chevalier de Rohan, Lord Peterborough, Le maréchal Maurice de Saxe... Ce dernier a sans doute été le véritable élu de son cœur... et celui qui, involontairement, l'a peut-être conduite à la mort.

Car le décès précoce d'Adrienne Lecouvreur, dans des circonstances étranges, a permis à la légende de s'installer. Un certain nombre de versions, contradictoires, bien sûr, circule sur ce trépas inattendu. Maurice de Saxe, le « vainqueur de Fontenoy » était certes l'amant d'Adrienne mais il n'en était pas pour autant un parangon de fidélité. Françoise de Lorraine, duchesse de Bouillon, s'intéresse à lui et fait tout pour le séduire. A-t-elle réussi ? Le maréchal de Saxe résiste-t-il au contraire trop longtemps ? Adrienne, dont il est l'amant officiel, a-t-elle été considérée par la Duchesse comme une rivale qu'il fallait écarter à tout prix ? A la mort de la comédienne, le bruit court qu'elle a été empoisonnée par la Duchesse de Bouillon. D'après une des versions de l'histoire, la duchesse aurait fait appeler Adrienne dans sa loge à la Comédie Française après une représentation et lui aurait offert à respirer un bouquet de fleurs contenant des substances toxiques. Une autre version prétend que la duchesse aurait voulu se venger d'un affront que lui aurait infligé la comédienne en public et lui aurait envoyé le bouquet empoisonné.

Toujours est-il que la tragédienne, un soir, se trouve mal en scène et ne peut achever la pièce. Son malaise semble ne pas avoir de graves conséquences mais peu à peu, elle dépérit sans que l'on sache exactement pourquoi puis finit par mourir dans d'atroces convulsions. L'autopsie montre des entrailles gangrenées. Immédiatement, le bruit se répand : Adrienne Lecouvreur a été empoisonnée. A ce scandale s'ajoute celui des funérailles de la comédienne : le clergé interdit toute inhumation dans une terre consacrée (rappelons-nous que les comédiens, à l'époque, n'ont pas droit à une sépulture dans un cimetière) ; elle est enterrée clandestinement près des bords de la Seine. Voltaire s'en indigne dans un poème en vers intitulé La mort de Mademoiselle Lecouvreur -œuvre qui lui vaudra quelques ennuis par la suite. Quant à la Duchesse de Bouillon, impossible de savoir si elle a commis ou non le crime parfait. Si c'est le cas, il est resté impuni...

Un siècle plus tard, en 1849, est créée à Paris une pièce en cinq actes d'Eugène Scribe, Adrienne Lecouvreur. L'ouvrage a un succès considérable, et durable. Rachel, Sarah Bernhardt, Eleonora Duse, Marie Favart  inscriront le rôle d'Adrienne à leur répertoire.

En 1899, Francisco Cilea décide d'adapter la pièce de Scribe en opéra. Il demande à Arturo Colautti d'écrire le livret d'après l'ouvrage de référence. La création de l'opéra a lieu le 6 novembre 1902, au Teatro Lirico de Milan : Angelica Pandolfini tient le rôle d'Adrienne, Enrico Caruso celui de Maurice de Saxe. L'œuvre triomphe immédiatement et commence une carrière internationale.

La pièce de Scribe présente des situations dramatiques intéressantes à mettre en musique. Cependant, elles reposent sur une multitude d'intrigues et la trame est beaucoup trop compliquée pour être ainsi reprise dans de notables modifications. Colautti doit donc considérablement simplifier le livret et c'est une tâche difficile, car la pièce de Scribe est une véritable mécanique de précision : tout s'enraye dès qu'on retire un élément. Le librettiste parvient néanmoins à garder l'essentiel et surtout à sauvegarder la cohérence de la pièce. C'est ainsi qu'il supprime le personnage de la Duchesse d'Aumont et donne plus d'importance aux quatre personnages de comédiens : Melle Jouvenot, Melle Dangeville, Quinault et Poisson, sans pour autant approfondir leur personnalité. Ils sont là pour représenter l'envers du décor, la vanité des acteurs et les petites mesquineries des coulisses. Les personnages principaux sont quelque peu modifiés et deviennent plus tragiques ou lyriques. Ce qui était à l'origine une comédie-drame évolue vers le drame à part entière.

Le librettiste a peu modifié le personnage de Michonnet, le plus lourd après celui d'Adrienne. Le couple formé par le régisseur et la comédienne est sans aucun doute le plus important de l'opéra, bien avant celui formé par Adrienne et Maurice de Saxe qui n'ont que trois duos, alors qu'on compte cinq scènes réunissant Adrienne et Michonnet. Ce dernier représente l'amour du théâtre, la passion poussée jusqu'au sacrifice. Quant à Adrienne, c'est le personnage le plus dramatique de la pièce d'origine. Colautti s'est contenté de faire passer au second plan l'actrice en privilégiant l'amoureuse.

La Princesse (la duchesse de Bouillon) est une femme du monde spirituelle et intelligente, mais cynique, hautaine, possessive et imbue d'elle-même. Chez Scribe, elle se sert sans vergogne de son entourage. Colautti lui attribue dans le livret une véritable passion pour Maurice de Saxe. Il remplace donc la vanité par l'amour qui devient le premier mobile de la conduite de la Princesse ; cela modifie profondément le personnage et rend plus plausible, à la fin, l'envoi du bouquet empoisonné.

Ces changements entraînent bien évidemment des modifications dans le plan de l'opéra : ainsi, le premier acte de la pièce disparaît-il et l'opéra ne comprend que les quatre actes suivants, plus ou moins changés eux aussi, du moins dans l'ordre des scènes ou leur contenu.

Avant d'aborder l'argument de l'opéra, évoquons d'abord le compositeur puis nous parlerons de la voix requise pour chanter le rôle titre.

Francesco Cilea : voilà un nom qui serait bien oublié aujourd'hui sans Adriana Lecouvreur, son œuvre phare, qui continue depuis sa création une carrière plus qu'honorable sur les grandes scènes lyriques. Qui connaît aujourd'hui les autres ouvrages du compositeur ? Gina (1889à, L'Arlésienne (1897), Gloria (1907)... Ils connurent en leur temps un succès d'estime mais sont tombés depuis dans un oubli absolu. Ce qui ressort du choix que Cilea fit de la pièce de Scribe, c'est son attachement à un théâtre peu intellectualisé, un art plus scénique que littéraire qui ne demande aucun effort au spectateur. Mais la clarté de la structure permet de faire oublier un texte vieillot, aux effets faciles, et, comme le dira Jean Cabourg (voir plus bas) « d'une platitude effarante ».

Cilea est, avec Mascagni et Leoncavallo, la personnalité la plus en vue de l'école vériste ; mais il est avant tout un fervent héritier de la grande tradition romantique italienne. Il ne pouvait qu'être alors enthousiasmé par la comédie dramatique de Scribe. Comme on l'a vu plus haut, la pièce a subi de nombreuses modifications avant de devenir un opéra qui ne pose aucun problème à l'écoute et n'en pose, dit Jean-François Boukobza, pas davantage à l'analyse : « L'écriture en est constamment légère, brillante et expressive, et ce malgré quelques lourdeurs académiques. » (1)

Mais quelle serait la voix « idéale » pour chanter Adriana ? Voici ce qu'en pense Jean Cabourg :

« Ce que dit l'Adriana de Cilea est d'une platitude effarante mais si une diva sait transcender les mots par la seule vertu de son chant, elle peut y être sublime. [...] Seules les cantatrices inspirées sont en mesure d'éviter qu'une certaine débilité intellectuelle ne tende ici la main au chant le plus frustre. Une interprétation purement vériste, au sens où on l'entendait dans les années cinquante, ravale l'opéra au rang des œuvres négligeables. [...] La seule vérité qu'on doive alors rechercher est celle de l'émotion, des sentiments, au-delà des métaphores convenues d'un texte qu'une lecture littérale couvrirait de ridicule. Une technique vocale d'exception jointe à une intelligence expressive aiguë est donc requise par ce rôle dont on pourrait penser, à première vue, qu'il est exempt de difficultés. Si l'on excepte les deux Si bémol aigus qui couronnent les duos avec Maurizio de l'acte II et de l'acte IV, la note la plus exposée d'Adriana n'est jamais que le La bémol, omniprésent, le La naturel n'étant qu'effleuré vers la fin de Poveri fiori. Les élans passionnés requièrent une appréciable largeur vocale de grand soprano lyrique affronté à un orchestre fourni, mais sans atteindre à la tension dramatique d'une Floria Tosca. Les nuances d'intensité et les nombreuses didascalies qui émaillent la ligne de chant impliquent en revanche un contrôle permanent de la dynamique et donc du souffle. [...] Le rôle d'Adrienne appelle moins la spontanéité qu'une souveraine maîtrise de l'artifice et seules les chanteuses d'expérience, celles parvenues à l'automne de leur carrière, en dispensent tous les charmes. » (1)

(1) Extrait de l'Avant-scène Opéra n°155. A lire pour des informations beaucoup plus détaillées sur les ouvrages de Scribe et Cilea.

ARGUMENT : A Paris, en 1730.

Acte I - Le foyer de la Comédie Française. Les acteurs sont sur le point d'entrer en scène et réclament à Michonnet, le régisseur, qui un drapeau, qui une épée, qui un manteau. Il se plaint de devoir tout faire tout seul en même temps. Le Prince de Bouillon entre avec l'Abbé de Chazeuil et salue les comédiens. Les visiteurs s'étonnent de voir la salle si pleine mais cela n'a rien d'étonnant, explique Michonnet, car la Duclos et Adrienne Lecouvreur jouent ce soir dans la même tragédie. Adrienne entre, répétant sa tirade. Elle accueille les compliments avec modestie et  assure n'être que la servante de l'art. Puis, elle avoue que Michonnet est son meilleur ami et le régisseur en pleure d'émotion. Une fois seul, il en avoue la raison : il est amoureux d'Adrienne mais n'ose pas le lui dire. Profitant cependant d'un instant où il est seul avec elle, il commence son aveu mais elle  déclare être amoureuse d'un cavalier inconnu attaché au Comte de Saxe. Justement, entre le fameux cavalier inconnu et il lui chante un arioso passionné. Adrienne lui promet de ne jouer que pour lui et lui donne avant d'entrer en scène des violettes pour sa boutonnière. Le Prince et l'Abbé reviennent : ce dernier lit une lettre qu'ils ont interceptée. Elle est signée par la Princesse de Bouillon et comme elle fixe un rendez-vous pour onze heures à la villa de la maîtresse du Prince, la comédienne Duclos, ils sont persuadés que c'est cette dernière qui l'a écrite.  Des comédiens les entendent mettre au point un plan pour surprendre les amoureux.

ACTE II - Chez la Duclos. La Princesse de Bouillon -qui a organisé le rendez-vous- révèle dans un grand monologue ses sentiments amoureux. Maurizio arrive et s'excuse de son retard, il était suivi. Elle avise les violettes et demande si elles sont pour quelque chose dans ce retard. Il répond les avoir apportées à son intention.

L'arrivée d'une voiture interrompt l'entretien. La Princesse se cache et le Prince et l'Abbé ne trouvent que Maurizio dans la pièce.  S'étant moqués de lui, ils s'étonnent qu'il parle de duel. Pourquoi faire autant d'histoire ? Le Prince est las de la Duclos, le comte de Saxe peut bien la prendre pour maîtresse. Maurizio commence à comprendre. Adrienne arrive, on les présente. Elle s'étonne : celui qu'elle prenait pour un aide de camp est le comte de Saxe lui-même. Le Prince et l'Abbé sortent et Adrienne reste seule avec Maurizio. Bref duo, stoppé par l'irruption de Michonnet qui demande à parler à la Duclos, car il faut prendre une décision au sujet d'un nouveau rôle. L'Abbé déclare qu'elle est ici, malgré Maurizio qui veut le faire taire et Michonnet se dirige d'un pas ferme vers la pièce dont Maurizio interdit l'accès et y pénètre malgré tout. Ce dernier jure à Adrienne que la Duclos ne s'y trouve pas mais qu'il avait rendez-vous ici pour des questions politiques uniquement. Elle le croit. Michonnet ressort en déclarant que la Duclos n'y était pas. L'Abbé demande à connaître l'identité de la dame qui s'y trouve mais Adrienne empêche Michonnet de parler, décidée qu'elle est à servir la cause de Maurizio et aider la mystérieuse dame.

Adrienne restée seule frappe à la porte et dit à la dame qu'elle peut l'aider à s'enfuir grâce aux clefs du jardin qui sont en sa possession. La princesse la presse de questions et finit par avouer qu'elle aime Maurizio. Adrienne rétorque que c'est elle qu'il aime. La princesse s'échappe juste au moment où le prince et sa suite reviennent.

ACTE III - Chez la Princesse de Bouillon.  On prépare une soirée dans l'hôtel de Bouillon. La princesse se demande où elle a déjà entendu la voix de sa rivale. Les invités arrivent. Adrienne, que la princesse reconnaît aussitôt, chante un air. La princesse glisse que Maurizio a été grièvement blessé dans un duel et Adrienne ne peut dissimuler son émotion. Maurizio entre, tous le pressent de raconter ses batailles. Pendant que l'on donne un intermède, la conversation continue et se termine par une joute d'esprit entre la princesse et Adrienne.

ACTE IV - Le foyer de la Comédie Française. Michonnet attend Adrienne qui arrive enfin, désespérée. Plusieurs comédiens viennent lui souhaiter son anniversaire et l'on apporte un panier. Adrienne l'ouvre : il contient des violettes, celles qu'elles a données à Maurizio la veille et qui sont à présent fanées et flétries. Elle s'adresse tristement aux fleurs dans lesquelles elle voit le symbole de l'amour éteint de Maurizio « Poveri fiori ». Michonneau essaie de la consoler. On entend la voix de Maurizio. Il entre et Adrienne ne peut résister à ses déclarations passionnées, surtout quand il propose de l'épouser. Elle essaie de le persuader que seule compte pour elle la scène mais l'amour l'emporte. Soudain, elle pâlit et Maurizio l'empêche de tomber. Elle pense que cela est dû aux fleurs qu'il lui a renvoyées. Il nie avoir fait une telle chose. Mais Adrienne souffre terriblement, bientôt, elle ne reconnaît plus son amant et demande du secours. Michonnet suggère que les fleurs ont été envoyées par une rivale. Après une dernière convulsion, Adrienne meurt. La vengeance de la princesse est complète.

VIDEO 1 : Acte I - « Io son l'umile ancella... » Maria Callas. Pour l'entendre par Joan Sutherland, cliquez ici et par Mirella Freni cliquez ici.

VIDEO 2 : Acte IV : "Poveri Fiori" : Montserrat Caballe.


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