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Voler la beauté

Publié le 04 novembre 2007 par Marc Lenot

Stealing Beauty, c’est le titre d’une vidéo de Guy Ben-Ner à la galerie Gimpel Fils à Londres, jusqu’au 17 Novembre.

Amir Ben-Ner, âgé d’une dizaine d’années, a été puni à l’école car il avait volé l’argent de poche d’un de ses camarades. Ses parents Nawa et Guy décident de le réprimander en lui faisant la leçon, et lui enseignent que la propriété privée est le fondement de la société comme l’amour est le fondement de la famille: il ne faut pas voler. Cette belle tirade (malheureusement peu audible dans cette galerie aux hauts-parleurs faiblards) est délivrée avec beaucoup de conviction et d’emphase sur-jouée dans un étrange environnement : tous les meubles ont des étiquettes bleues ou rouges, et des personnages ordinaires entrent constamment dans le champ portant de grands sacs bleus ou rouges. Nous sommes dans un magasin IKEA (en fait dans trois magasins différents car les Ben-Ner, filmant clandestinement, se font prendre et doivent changer de magasin, voire de pays : Israël et l’Allemagne). IKEA représente en public des modèles de nos espaces privés, et la famile Ben-Ner opère la transformation inverse, reprivatisant cet espace public de représentation du privé. IKEA nous offre un modèle social, esthétique, une certaine idée non seulement de décoration, mais aussi de mode de vie, donc de beauté communément admise, et c’est cette beauté que la famille Ben-Ner s’approprie, vole.

Le père vertueux qui tient ce discours convenu sur la propriété est donc lui aussi un voleur, un occupant, qui n’a pas de légitimité à se trouver là, à occuper ce lieu. Il n’est pas impossible qu’il y ait là un discours politique de la part de cet artiste israélien vivant à New-York. En tout cas, sans même y voir une dimension politique, il y a une telle contradiction entre ce discours moral et ce vol d’espace qu’on ne peut qu’en rire (et le mauvais son est peut-être aussi délibéré, comme une dérision supplémentaire, une volonté de rendre ce discours classiquement moral inaudible, dérisoire, ridicule).

Non seulement parents et enfants discutent sans fin sur les canapés, mais ils lavent la vaisselle (ou font comme si, mais le bruit de l’eau et de la balayette sont bien là), ils se plongent dans les livres en suédois (ou font comme si); il soulève un store (sur un mur de béton), elle pianote en vain sur un faux ordinateur, il regarde un film porno sur un écran de télé en carton (mais nous avons le son). Lui prend une fausse douche, mais il se déshabille vraiment et on entend le bruit de l’eau; sa femme rentre à la maison et l’accuse de se masturber sous la douche (”a total waste of fucking energy” dit-elle avec “double entendre”). Le couple se couche (en pyjamas) dans un des lits (pour de vrai). Et pendant ce temps, les clients déambulent, à peine conscients qu’il se passe quelque chose de bizarre; une seule personne est filmée remarquant la caméra. Comme la scène a dû être filmée dans plusieurs magasins, il n’y a pas de continuité, les vêtements changent au milieu d’une scène, les cheveux du jeune garçon rallongent soudainement et bien sûr le décor change.

N’est-ce qu’une comédie ? Est-ce une pièce à thème ? A la fin, Amir et sa grande soeur Elia, suspendant un drapeau marxisto-pirate (Children of the world, unite) dans le magasin, tiennent un discours anarchiste très confus sur la beauté du vol, the beauty of stealing, détruisant tout le propos moralisateur du film. Est-ce une vidéo sur le thème public-privé, famile-société ? Est-ce une critique du conformisme, de la beauté prisonnière du banal ? Parle-t-on ici d’Israël et des palestiniens, du vol de la terre ? J’aime bien ces oeuvres qui, sous un aspect léger, vous posent ensuite mille questions auxquelles on ne sait répondre.

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