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Identité ?

Publié le 25 décembre 2009 par Jb

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Alors qu’on ne cesse de nous parler "d’identité nationale", je ne peux m’empêcher de livrer quelques réflexions sur cette question ô combien controversée, assurément mise au goût du jour pour des raisons bassement politiciennes. A la limite mieux vaudrait ne rien dire, ne même pas en parler, tant le débat est mal posé et me paraît même vain, toutefois si 2 ou 3 observations peuvent dégonfler quelques baudruches et décentrer le débat, alors pourquoi pas…

Tout d’abord, j’aimerais parler de "l’identité" en général, rapportée à l’individu et absolument pas à une nation. Je ne suis ni philosophe ni psychiatre, il me semble malgré tout que ce rapport à l’identité est, en quelque sorte, le fondement même de l’être. En effet sans conscience d’une identité (couplée au rapport au temps et à la mémoire), peut-être ne serions-nous même pas hommes.

Cela étant dit, et dès l’abord, cette notion d’identité à l’échelle individuelle semble hautement problématique. A des niveaux tels que je ne suis pas certain qu’on puisse apporter la moindre réponse définitive. En effet rien de plus évident que d’affirmer que nous avons, chacun, une personnalité propre. Celle-ci est issue de tas de facteurs : les parents dont nous sommes issus, leur patrimoine à la fois génétique, social, culturel et éducatif, les circonstances particulières que nous avons traversées tout au long de notre vie, nos croyances, nos certitudes et incertitudes, les rencontres (amicales, amoureuses, intellectuelles, professionnelles…) qui ont contribué à nous façonner voire nous modeler, etc. Tout cela, en quelque sorte, constituerait notre identité. Mais comment la saisir, comment la résumer, a-t-elle une essence saisissable, peut-on in fine la réduire à quelque chose ?

Rien n’est moins sûr… A la limite, et encore, sans doute saisir l’identité d’un être humain ne pourrait se faire qu’après sa mort, lorsque sa trajectoire serait totalement achevée, puisque jusqu’à ce moment-là, la vie étant une évolution perpétuelle, rien ne sera figé et fixé une fois pour toutes, tout pourra encore changer, être réorienté. Tant il est vrai que chaque acte, chaque engagement nouveau, est susceptible de modifier la perception que l’on a soi-même, et qu’ont les autres, de notre identité. Vouloir la fixer, la réduire, que l’on ait 20 ans ou 70 ans, tout cela a donc quelque chose d’un peu absurde et contraire au sens commun.

On a par ailleurs souvent tendance à entendre parler de "moi profond", un peu comme s’il allait y avoir une schizophrénie latente en chacun de nous qui distinguerait le "vrai moi", le moi intime, que l’on serait seul à saisir, et l’autre moi, le moi "au rabais", le moi social qui ne serait qu’une représentation que les autres ont de moi, forcément orientée, biaisée, tronquée. Il n’a sans doute pas été le premier, mais Clément Rosset notamment a dénoncé cette illusion romantique dans un essai sur l’identité intitulé Loin de moi : de façon paradoxale et provocatrice, comme à son habitude, Rosset concluait que seul le moi social existe et même, histoire d’en rajouter une couche, que "moins on se connaît, mieux on se porte" ! Rappelons du reste, à ce point du raisonnement, qu’on désigne souvent un individu par le terme de personne. Or persona, en latin, c’est… le masque !

On n’est pas obligé de reprendre à son compte la thèse de Rosset, néanmoins force est de constater que les différents troubles psychiatriques, les dépressions qui affectent les individus ou, pour parler de cas moins dramatiques, du besoin de beaucoup de consulter un psy pour faire une analyse, ou simplement d’écrire son autobiographie, sont autant d’éléments révélateurs qui disent que l’identité ne va pas de soi. Si tel était le cas, nous n’aurions pas besoin de nous interroger sur ce qui va et ce qui ne va pas dans notre vie, sur nos erreurs, nos regrets, nos doutes, nos angoisses… La réalité c’est qu’il est bien difficile de se cerner, de même qu’il est très difficile de cerner les autres, au point qu’on peut parfois en déduire que les autres et que nous-même, sommes une énigme à nos yeux ! Et ce ne sont pas les slogans publicitaires contemporains, tous gonflés de "soyez vous-même" ou "n’écoutez que vous" (voir par exemple Gilles Lipovetsky), qui y changeront quelque chose : au contraire, cette tyrannie "d’être soi" pour l’individu contemporain (le sociologue Alain Ehrenberg avait d’ailleurs publié, voici quelques années, un passionnant essai intitulé La fatigue d’être soi) est bien souvent une source de frustration supplémentaire.

Lorsque quelque chose d’aussi "simple" qu’un individu est déjà soumis à tant d’incertitudes sur la question de l’identité, on ne peut que se prendre à rêver de ce qu’implique, à l’échelle d’une nation entière, ce concept flou !

Bien entendu la tentation a toujours été grande, notamment au XXe siècle, de dresser des parallélismes entre identité individuelle et identité collective (généralement celle d’une nation, puisque pour le moment c’est toujours dans ce cadre de référence que le citoyen évolue – malgré la mondialisation et la balkanisation qui sont les deux faces contemporaines d’une autre médaille).

Ce sont sans aucun doute les romanciers qui, avec le plus de talent et de réussite, ont exploré ces relations et ces liens très ambigus entre histoire (et donc identité) individuelle et histoire (et donc identité) collective. Pensons à l’œuvre du romancier Milan Kundera par exemple, particulièrement emblématique, même si je vais plutôt, pour illustrer mon propos, évoquer celle, non moins magnifique, de Kazuo Ishiguro.

Dans son roman le plus célèbre, Les vestiges du jour, Ishiguro met en scène un narrateur qui parle de lui à la première personne, un majordome dénommé Stevens qui fut autrefois au service de Lord Darlington, un grand aristocrate anglais. Stevens, au soir de sa vie, contemple son passé, lequel croise le passé de son maître et, plus largement, le passé britannique : plus particulièrement la période coloniale puis la deuxième guerre mondiale (et la tentation du fascisme pour une partie de l’aristocratie), enfin la période "post-coloniale" qui s’achève précisément à l’époque où se déroule le roman, à savoir 1956 (l’expédition de Suez, dont il n’est au demeurant jamais question dans le fil du récit).

La force d’Ishiguro est de faire flotter l’identité de son narrateur mais, avec elle, la prétendue identité de la Grande-Bretagne. En effet, durant sa méditation, Stevens s’interroge sur de grands concepts comme la "grandeur" ou la "dignité", se demandant ce qu’ils peuvent avoir de particulièrement britannique. Mais la question est plus facile à poser que les réponses à venir… D’ailleurs la grandeur est-elle proprement britannique ? De Gaulle par exemple n’a-t-il pas 1000 fois employé ce terme pour parler de la France ? Quant à la dignité, est-ce une vertu purement britannique ? Ishiguro, d’origine japonaise, est bien placé pour savoir qu’il n’en est rien ! Bref plus on tente de s’approcher d’une définition, de la réduire à sa plus simple expression, plus celle-ci nous glisse entre les doigts tel le sable… Mieux encore, Ishiguro nous dépeint une nation avec ses fiertés mais aussi ses échecs, ses zones d’ombres, voire ses hontes. La France de la collaboration ou de la guerre d’Algérie en sait aussi quelque chose !

Au final, quand on se pose des questions comme "quelle est mon identité" ou "quelle est l’identité de la France ?", que reste-t-il de réellement opératoire sinon des tautologies à la limite du ridicule du genre "moi c’est moi" ou "la France c’est la France" ? Nous voici donc en présence de l’aporie sur le débat autour de "l’identité nationale". Mis à part sombrer dans des tautologies ou, pire encore, des poncifs (nous aimons le vin, le fromage, nous sommes frondeurs, et même sur ces sujets-là il sera facile de voir que nous ne sommes pas les seuls), que peut-il sortir d’un pareil débat ? Probablement pas grand-chose… Mieux vaudrait, en fait, lire quelques bons ouvrages historiques et sociologiques qui, seuls, sont capables de nous donner un éclairage vraiment intéressant et nuancé sur la nation française, sa grandeur mais aussi ses périodes et aspects troubles.

Cela étant dit n’oublions pas que, comme je le montrais récemment, l’histoire elle-même est traversée de débats et de courants distincts, parfois contradictoires, et que l’une des principales qualités de l’historien, même s’il doit tâcher d’atteindre l’objectivité voire la vérité, est précisément de douter…


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