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Les Français ont-ils peur de leurs mosquées ?

Publié le 25 décembre 2009 par Delits

premiereEric Besson n’a, semble-il, pas engrangé un quelconque gain de popularité en lançant le débat sur l’identité nationale. Dans le dernier baromètre OpinionWay, il figure en effet comme le ministre recueillant le moins d’opinions positives au mois de décembre. Le grand débat national, d’abord imaginé pour ramener au bercail l’électorat situé le plus à droite vers l’UMP, pourrait revenir en boomerang sur le gouvernement. La punition à la clé : au lieu d’attirer cet électorat dans l’orbite sarkozyste, celui-ci pourrait se trouver conforté dans son cheminement politique vers des choix plus extrêmes. Et ceci parce que le débat s’est radicalisé et focalisé, depuis le référendum suisse, sur un thème éminemment sensible : la place de la religion musulmane dans la société.

L’islam promis à un riche avenir en France

Les 5 millions (estimation) de musulmans vivant en France sont répartis de manière assez disparate sur le territoire national : ils habitent principalement sur des terres urbaines, de tradition industrielle. La très grande majorité d’entre eux habitent donc à l’est d’une ligne Le Havre – Marseille. L’Ile-de-France se différencie par une proportion de musulmans nettement supérieure au reste du pays (particulièrement dans le Val-d’Oise et en Seine-Saint-Denis).

Plusieurs caractéristiques singularisent les musulmans par rapport au reste de la communauté nationale :

- la jeunesse de sa population : 35% des 15 ans et plus ont entre 15 et 24 ans ;

- sa sur-représentation d’employés et d’ouvriers (41%) ;

- une religion drainant beaucoup de pratiquants (un tiers contre 16% chez les catholiques).

Les obligations – dans une société où la recherche d’absence de contraintes est pourtant la règle – découlant de la pratique de la religion musulmane sont respectées dans des proportions parfois impressionnantes. Et, loin de décliner, les préceptes sont au contraire de plus en plus suivis, notamment par les jeunes. Le jeûne pendant le Ramadan est observé par 4 musulmans sur 5. La non-consommation d’alcool est elle aussi respectée par une forte majorité de musulmans (66%). La prière quotidienne et la fréquentation de la mosquée le vendredi demeurent quant à elles minoritaires, mais leur pratique est en hausse.

On ne peut s’empêcher de comparer, sur le même territoire français, la vitalité de l’islam avec celle de la religion « historique », le catholicisme, dont la pyramides des âges des pratiquants a pris la forme d’un entonnoir. Le paysage religieux de l’Hexagone est donc en pleine mutation.

Une religion compatible avec la vie en société ?

Selon CSA, les Français sont dubitatifs pour considérer l’islam compatible avec la vie en société en France : si 54% pensent qu’elle l’est effectivement, une forte minorité (40%) la juge en revanche incompatible. Ce scepticisme n’est pas lié à un tropisme anti-religieux puisque qu’il épargne le catholicisme et le judaïsme, jugés compatibles par de larges (voire très larges pour le catholicisme) majorités de Français.

Pourquoi une telle différence de perception entre les religions ? Est-ce dû à la récente  implantation de l’islam en France ? A l’importance de son développement actuel ? A une pratique impliquant un mode de vie parfois spécifique ?

La montée d’une forme de défiance

Les années 2000-2010 auront radicalisé certains esprits. Certes, le « choc des civilisations » prophétisé par Samuel Huntington en 1996 n’a pas (encore) mondialisé les guerres balkaniques, mais les incompréhensions, les tensions et les combats entre le monde musulman et l’Occident n’ont pas manqué : du 11 septembre à la guerre en Afghanistan en passant par l’interminable conflit au Proche-Orient, les caricatures de Mahomet, la persécution des chrétiens en Egypte ou en Irak…  Cette situation internationale n’est pas restée qu’à l’état d’images diffisées au 20 heures, elle s’est aussi invitée sur le sol français. La hausse des actes antisémites, l’envoi de troupes en Afghanistan ou le plan Vigipirate constituent autant de répercutions tangibles qui peuvent créer l’amalgame et noircir l’image de l’islam, même français. Par ailleurs, le débat récurent sur la compatibilité entre islam et laïcité, qui a accouché de la loi de 2004 sur le foulard à l’école par exemple, nourrit l’image d’une religion qui ne se fond pas naturellement dans le creuset républicain. Enfin, plus récemment, la mise à l’index de la burqa a distillé le sentiment de la montée d’un fondamentalisme musulman, alors même que le port du voile intégral, aussi spectaculaire soit-il, reste ultraminoritaire. Une proposition de loi pour l’interdire devrait être déposée par Jean-François Copé, lors de la rentrée parlementaire de 2010.

Dans ce contexte, le nombre de Français opposés à la construction de mosquées, lorsque les croyants musulmans le demandent, a fortement augmenté (de 19 points selon un sondage Ifop) entre 2001 et 2009. 41% des Français s’y déclarent désormais opposés contre seulement 19% qui y sont favorables, et 36%  indifférents. Un net clivage social et géographique se dessine. Aussi, les ouvriers se distinguent très nettement des autres catégories sociales par leur opposition très franche (à 65%) à l’édification de nouvelles mosquées. Au contraire, les cadres supérieurs et les professions libérales se démarquent par leur faible opposition (24%). Les habitants de l’agglomération parisienne, où vivent beaucoup de musulmans, sont également moins nombreux qu’en province à être opposés à de telles édifications. De même, les habitants des zones rurales où, comme on l’a vu, les musulmans sont moins nombreux à vivre, expriment une opposition plus marquée qu’ailleurs.

L’appartenance politique constitue un déterminisme essentiel sur cette question. Un électeur sur deux de Nicolas Sarkozy en 2007 y est opposé contre seulement un électeur sur 4 de Ségolène Royal ou de François Bayrou.

Cette évolution vers une moindre tolérance à l’égard de la religion musulmane est d’autant plus remarquable qu’elle navigue à contre-courant avec une tendance de fond : une société de plus en plus tolérante. En effet, depuis les années 1980 les études révèlent une mutation de la société vers davantage d’ouverture et une meilleure acceptation de la différence, notamment à l’égard des personnes d’origine étrangère. Il semble donc que l’islam fasse spécifiquement l’objet d’un raidissement de la société.

La France a beau critiquer la Suisse…

Alors que la classe politique française (Front national excepté) a déploré comme un seul homme le résultat du référendum helvétique sur les minarets, une gêne était pourtant perceptible au-delà de l’indignation : les Français auraient-ils voté différemment ? Mieux valait évacuer cette question : « ce débat relève de l’urbanisme », selon Eric Besson. Les résultats d’un sondage Ifop, édifiants, viennent à cet égard jeter un sacré pavé dans la marre : une majorité relative (46%) de Français se révèle ainsi favorable pour interdire la construction de minarets.

Les Français manifestent de l’appréhension pour une religion « nouvelle » et en pleine expansion. Le spirituel conditionnant le culturel, il s’agit donc, au-delà de la foi, de s’interroger sur la face de la France de demain.


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