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La laïcité inachevée, par Maxime Zjelinski

Publié le 01 novembre 2009 par Roman Bernard
La laïcité inachevée, par Maxime ZjelinskiLa laïcité est l'un de ces grands principes qui doivent une partie de leur succès à la grande confusion dont ils tirent profit. 1905 est l'année du divorce entre l'Église et l'État, elle marque la fin d'une liaison incestueuse entre la République et les prêtres. Mais 1905, c'est aussi la séparation du spirituel et du temporel, et cela, beaucoup de Français ont tendance à l'oublier. J'en veux pour preuve l'immense popularité de la vulgate écologiste, qui promet l'Enfer aux hommes et à ceux qui les gouvernent s'ils n'adhèrent pas au dogme de la planète en danger. Nulle part mieux que dans ce faux débat n'apparaît la passion de soumettre aux idées le pouvoir temporel. Que signifie la laïcité dans l'histoire intellectuelle, culturelle et politique française, si l'arrogance de quelques illuminés passe pour une forme de courage et de progrès ?
Les illuminés auxquels je pense sont ces esprits rationnels qui parlent non plus pour Dieu le père, mais pour mère Nature. Les chiffres et les courbes donnent au credo de ces nouveaux prêtres une force qu'on ne trouvait guère dans le catéchisme. La Raison donne bonne conscience, on le sait. Pourvu que le slogan se fonde sur des « données » et non sur l'Évangile, on se persuade volontiers que le pire est évité, Dieu n'étant pas de la partie.
« C'est bien l'Enfer qui attend les hommes s'ils continuent de boire à grandes gorgées ce pétrole qui donne soif. »
Le XXe siècle nous a pourtant fait voir l'existence de religions sécularisées — d'empires à l'Est, d'intellectuels à l'Ouest. La Révolution verte que les élites voudraient imposer au gros de la population est l'expression de cette arrogance trop facilement associée aux seules religions monothéistes, dont les Verts actuellement s'inspirent sans rougir. La catastrophe n'est-elle pas annoncée par le GIEC ? C'est bien l'Enfer qui attend les hommes s'ils continuent de boire à grandes gorgées ce pétrole qui donne soif. Le scepticisme n'est pas vu comme une vertu, mais comme un durcissement du cœur : celui qui ne craint pas la Nature hait la Nature et contrarie sa volonté, il retarde le Progrès, il fait obstacle à l'Histoire — et on sait ce que vaut un obstacle dans la religion des militants « citoyens »...
Le danger n'est ni dans la croyance ni dans la certitude — qui toutes deux, chez l'homme, sont la règle plutôt que l'exception — mais dans la sérénité avec laquelle le militant des bonnes causes refuse tout simplement d'admettre qu'un contradicteur puisse être aussi humain que lui.
L'altérité ainsi éliminée, le politique disparaît avec elle. Les déceptions, les échecs, les frustrations ne sont plus politiques, mais éthiques. Il ne s'agit plus de trouver un terrain d'entente mais de faire entendre au monde de prétendues évidences, afin de le changer complètement, conformément aux plans arrêtés par les grandes personnes, celles qui voient le monde depuis le ciel et font la guerre aux inégalités.
La mode exige que l'on y voie du progrès. J'y vois une formidable régression. Il faut aimer enseigner en ZEP pour oser mettre la moyenne à ces mangeurs de quinoa convaincus qu'il faut crier très fort pour faire entendre ses idées.
Mais la régression ne s'observe pas seulement chez les écologistes : on la retrouve chez tous ceux qui croient en leur message au point d'oublier qu'il en existe d'autres, tout aussi pertinents. Il faut donc se demander s'il n'y aurait pas, à l'origine de notre « vivre-ensemblisme », un profond malentendu. Si les lois tolèrent et préservent la pluralité des opinions, les gens n'en sont pas toujours capables. Parlons en toute franchise : les Français sont démocrates selon la loi, mais le sont-ils selon l'esprit ?
« L'esprit de la démocratie, qui n'est autre que l'esprit du libéralisme, est évidemment absent de ces attaques "citoyennes" du camp du Bien contre le camp du Mal. »
On peut en douter. La tolérance et l'ouverture d'esprit ne sont souvent que de l'indifférence. Cette tolérance se change en intolérance quand cesse l'indifférence, quand vient le moment de défendre une idée. Les gens convaincues sont incapables de livrer une guerre qui ne soit pas totale : l'autre passe pour un abruti — dans le meilleur des cas — ou un ennemi du genre humain. Le sentiment d'humilité, que devrait normalement entretenir la diversité des opinions, est trop souvent balayé par l'impression de servir une cause noble — l'égalité par exemple — ou d'être au bord d'une catastrophe irrémédiable — la fonte des glaces, la raréfaction des ressources, etc. Tant que le débat porte sur des broutilles, on s'écoute, on se respecte, on s'aime ; mais sitôt qu'interviennent les convictions des uns et des autres, les fantômes du passé sont invoqués, les menaces de l'avenir sont brandies, l'Enfer sur Terre est annoncé. C'est au moment où il faut le plus de patience et de modération que les avocats de la bonne cause sont le moins patients et modérés. L'esprit de la démocratie, qui n'est autre que l'esprit du libéralisme, est évidemment absent de ces attaques « citoyennes » du camp du Bien contre le camp du Mal.
Pour comprendre ce phénomène, il n'est pas nécessaire de faire appel à la distinction weberienne entre éthiques de conviction et de responsabilité. La société ouverte et conciliante dont on rêve chez les serviteurs de l'Histoire et de la Nature n'est pas une société où des opinions contraires cohabitent, mais une société où la politique, qui est l'art du compromis et de l'adaptation, ne serait plus que l'art de faire prendre aux masses le bon chemin, choisi par le bon camp. D'une telle société, Montesquieu eût dit qu'elle a tort de chercher sa vertu dans la source du pouvoir. À ces maniaques de l'organisation qui ne supportent pas de faire la queue comme tout le monde, il faut toujours demander : « Et si moi j'ai d'autres projets pour le monde, qu'est-ce que vous me ferez ? ». Il est entendu que dans toute société chacun sacrifie un peu de sa liberté, mais ce sacrifice a plus de légitimité dans une société libre que dans une société ordonnée, où, pour qu'un objectif se réalise, tous les autres doivent disparaître.
« Il est faux de dire que dans l'esprit des socialistes l'égalité complète la liberté, quand il est évident qu'elle la remplace. »
L'organisation doit compenser, dit-on, les effets pervers de la liberté. Mais la liberté a-t-elle jamais été autre chose, pour les planificateurs, qu'une perversion à combattre, un caprice de bourgeois ? Il est faux de dire que dans l'esprit des socialistes l'égalité complète la liberté, quand il est évident qu'elle la remplace. Pour le comprendre, encore faut-il admettre que dans une société aussi confiante dans l'État, la liberté est d'autant moins précieuse que les pouvoirs publics prétendent assurer le bien-être de la population. Puisque c'est à l'État de soutenir la société, celle-ci n'a pas ce souci de cohésion propre aux gens responsables. Où il n'y a pas de responsabilité, il n'y a de liberté qu'apparente. Et où la liberté est fausse, l'esprit démocratique est feint.
Ne nous étonnons donc pas, dès lors, s'il est si difficile pour les nouveaux prêtres — écologistes, antiracistes, altermondialistes — d'entendre une opinion différente de la leur sans gratifier leur interlocuteur de cette grimace mi-contrite mi-agacée de celui qui sait et ne convainc pas. Ne nous étonnons pas non plus si, plus de cent ans après la séparation des églises de l'État, nombre d'intellectuels continuent de penser comme si leurs conclusions devaient guider les peuples. Et ne nous étonnons pas, bien sûr, du ton que prennent les suiveurs pour signifier leur appartenance au camp des saintes évidences. Le danger que le président Sarkozy fait peser sur la démocratie n'est rien à côté de celui qu'un grand nombre de Français, anonymes pour la plupart, font peser sur le goût de la liberté. Reste à savoir si, au milieu de l'agitation millénariste, les Français ont encore assez de raison pour comprendre qu'ils ont tout intérêt à être un peu moins « héroïques » et un peu plus « tièdes », autrement dit : un peu moins arrogants et un peu plus conciliants.
Maxime Zjelinski
À lire aussi, sur le même sujet, « Les heures les plus sobres de notre histoire », par Paul Castaing.
Criticus, le blog politique de Roman Bernard.
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