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L’identité nationale, salmigondis conceptuel du sarkozysme

Publié le 07 janvier 2010 par Lbouvet

L’identité nationale, salmigondis conceptuel du sarkozysmeAu-delà du débat sur l’opportunité d’un débat sur « l’identité nationale » ouvert par le président de la République et par le ministre éponyme, on dispose d’assez de déclarations – et aussi d’actes et de dérapages à mettre en regard de celles-ci… – pour se faire désormais une idée de ce qu’ils entendent par là. Le terme joue en effet, on l’aura compris, un rôle important si ce n’est essentiel dans la rhétorique sarkozienne, à côté et en lien avec ceux d’immigration et d’insécurité. Rôle d’autant plus important qu’il a été l’une des clefs de la réussite de la campagne présidentielle de 2007 et de la lente construction du personnage public de Nicolas Sarkozy après 2002 – suivant la logique du fameux storytelling.

Un des éléments déterminants de la maîtrise de son image par le président de la République a précisément tenu jusqu’ici à la relative unité narrative de celle-ci sinon à sa cohérence. Or avec ce débat sur l’identité nationale, lancé sans réflexion ni préparation, pour des raisons électoralistes – des régionales qui s’annoncent mal pour la majorité –, c’est à la dissipation du rideau de fumée de cette unité ou cohérence du personnage Sarkozy que l’on assiste.

Il y avait bien eu des signes avant-coureurs, et nombre d’observateurs avaient déjà souligné les incohérences du discours sarkozien – sans même mentionner l’abysse qui existe souvent entre ses mots et ses actes qu’il s’agisse du pouvoir d’achat, du sauvetage de l’industrie en péril ou de la « gestion » de l’Islam de France. Mais ce n’est qu’à l’occasion de ce débat que le roi s’est révélé, aux yeux du grand nombre, nu comme un ver.

Précisément parce qu’il s’agit à la fois d’une question superfétatoire pour les Français dans une vie quotidienne faite d’inquiétudes multiples sur la crise économique et ses conséquences sociales, sur l’avenir éducatif et professionnel de leurs enfants ou encore sur les menaces diverses contre leur sécurité, leur santé, leur environnement… et d’une question centrale dans la définition même de ce que c’est qu’être Français aujourd’hui, vieille, permanente et indispensable interrogation pour un peuple qui s’est toujours défini, justement, comme projet politique, social et culturel évolutif plutôt que par un être commun figé une fois pour toutes.

Chacun a donc pu constater, à l’occasion de ce débat mené dans les conditions ubuesques que l’on sait – choix des préfectures comme lieux officiels de débat, dérapages multiples des membres de la majorité… – à la fois la désinvolture du président de la République qui n’avait pas du tout préparé ce qu’il annonçait pourtant avec emphase comme un grand moment de mobilisation nationale, son manque de profondeur intellectuelle et culturelle dans la compréhension des ressorts de l’identité française et, last but not least, son incohérence politique puisqu’il a tenu à célébrer ensemble la « diversité », le « métissage » et « l’assimilation ».

En présumant, comme à son habitude, de ses forces, Nicolas Sarkozy a pensé qu’il pourrait à la fois, et sans que cela ne se remarque, tenir un discours électoraliste à destination de l’extrême-droite pour renouveler sa performance de 2007, et continuer à « ouvrir » sur sa gauche sa majorité en pratiquant à nouveau la triangulation qui lui avait, elle aussi, profité lors de l’élection présidentielle, sur le thème du travail notamment.

Cette « stratégie » a débouché sur des déclarations étonnantes tant du président de la République que de son porte-voix sur cette question, Eric Besson. Ainsi, en visite le 6 janvier 2010, à La Courneuve, Eric Besson a-t-il avancé que « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a qu’une France du métissage. » On reconnaît là aisément, exprimé de manière calibrée (« métissage »), un discours supposément à destination de la gauche, en opposition à celui de l’extrême-droite (« Français de souche »). La ficelle est grosse comme une corde d’amarrage mais le « message » est clair, surtout venant de ce ministre-là, celui qui expulse sur quota et dénonce les « mariages gris ».

Il faut toutefois reconnaître à Eric Besson une qualité, le respect scrupuleux de la parole de son nouveau maître, y compris dans son incohérence. Celui-ci avait en effet donné le ton dans sa « tribune » du Monde, le 9 décembre dernier, en insistant lourdement sur le « métissage » qu’il opposait au « communautarisme ». Seul petit problème dans cet exercice conceptuel à donner le tournis, Nicolas Sarkozy faisait de l’assimilation la clé du métissage (« La clé de cet enrichissement mutuel qu’est le métissage des idées, des pensées et des cultures, c’est une assimilation réussie. ») tout en soulignant que par assimilation, il entendait surtout celle… des musulmans.

Quand on se rappelle que c’est le même qui met l’accent, dès qu’il le peut, sur la « diversité », les « minorités visibles » et la « discrimination positive » – chacun se souvient encore de l’épisode récent de la tentative présidentielle, tenue en échec par Simone Veil notamment, de mettre en place des « statistiques (ethniques…) de la diversité » –, on comprend pourquoi plus personne n’arrive à suivre un tel tourbillon d’idées.

Le président de la République et son ministre auraient peut-être dû être plus attentifs aux écrits de Claude Lévi-Strauss dont ils ont pourtant fait l’éloge quand il est mort l’année dernière. Ce dernier était prompt en effet à dénoncer le métissage au nom, précisément, du respect de la diversité. Ainsi dans Race et Histoire : « Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité régneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu’elle a su créer dans le passé (…), elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. »

Ils auraient pu aussi se tourner vers Pierre André-Taguieff qui résume ainsi les contradictions qu’il voit dans l’époque, au-delà de la parole présidentielle, sur ce sujet : « (…) s’agit-il de défendre les identités ethnoculturelles au nom du « pluriel » ou de prôner leur « mélange » qui tend à les effacer ? Souhaite-t-on le bétonnage des différences ou leur dissolution dans un mélange sans frontières ? Veut-on une France de la « diversité » protégée, ou bien une France du « métissage » généralisé ? Et, plus largement, une humanité respectée dans sa diversité ethnique et culturelle, ou bien une humanité en marche vers son uniformisation ? Entre le respect absolu de la différence ou l’obligation inconditionnelle de métissage, il faut choisir. » (« Diversité et métissage : un mariage forcé »,  23/11/09).

Finalement, ce débat mal venu, mal conçu, mal mené et malmené sur l’identité nationale aura servi à quelque chose : démontrer par l’exemple qu’il était difficile de vouloir tout et son contraire, à l’instar du président de la République. Chacun aura compris à cette occasion que l’aspiration au « divertissage », comme le dit encore joliment Pierre-André Taguieff, est impossible car contradictoire non seulement dans les termes mais encore dans la vision de la société qu’ils impliquent. Malheureusement, c’est précisément une telle vision, claire, ferme et suivie que l’on attend du pouvoir politique – comme de ses opposants d’ailleurs – que ce soit pour l’approuver, la soutenir et la promouvoir ou bien pour la combattre et la remplacer, dans l’exercice démocratique, par une autre, conforme à ce à quoi l’on aspire.


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