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La voix des autres

Publié le 07 janvier 2010 par Rendez-Vous Du Patrimoine

La voix des autres
Clichés I. Rambaud
Restons un peu au chaud des bibliothèques, mais en revenant en France cette fois, à la Bibliothèque nationale et plus précisément à la vénérable BNF de la rue de Richelieu.
Alain Fleischer y propose une exposition-spectacle visible, je devrais dire lisible, jusqu'au 31 janvier : Choses lues, choses vues.
Pour ceux qui n'auraient pas pratiqué la salle Labrouste du temps où celle-ci accueillait les chercheurs, sachez qu'on y entrait en baissant la voix, comme en un sanctuaire, les lumières projetées des petites lampes vertes produisant des cônes multipliés comme autant de niches de lectures individuelles où s'enfermaient étudiants et érudits d'un autre âge venus pour leurs recherches et que les livres répartis sur les étagères semblaient monter dans la pénombre des boiseries avec leurs reliures aux couleurs atténuées jusqu'aux voûtes formées de coquilles nacrées, comme autant de tapisseries fanées d'un ancien temps.
Le travail n'y faisait aucun bruit, sauf parfois les chuchotements de chartistes, les glissements de pas vers les hauts bureaux des présidents de salle qui officiaient avec lenteur et solennité, comme autant de grands prêtres du savoir et des livres.
Ce temps est révolu : les chercheurs et les livres sont partis à "Tolbiac ", dont le nom sonne comme un défi, et "Labrouste" avec ses douceurs d'antiquaire a perdu toute vie, sombrant dans l'oubli et la nuit.
Les petites lampes se sont éteintes, les étagères sont vides.

Que faire donc d'une bibliothèque si belle, mais abandonnée des humains comme des livres ?

Un spectacle. Présenter des manuscrits originaux (Les Travailleurs de la mer, A la Recherche du temps perdu, La Peste...), donner à voir, filmer des lecteurs en train de lire à haute voix, projeter des extraits de films où le livre est personnage...
La bibliothèque devient musée, cinéma et théatre, les rideaux s'ouvrent, les boites à images diffusent leurs enregistrements, les voix composent un opéra multiple qu'il faudrait plusieurs jours pour suivre intégralement.
Car, s'asseoir et regarder sur un écran d'ordinateur des lecteurs (pas si anonymes que ça) lire ce qui semble etre leur livre "favori" dans leur décor quotidien (quel choix a présidé à ces couples livre/lecteur ?), demande attention et lenteur.
La richesse des propositions empeche toute exhaustivité. On ne peut hélas que papillonner et du coup, on s'interroge sur la profondeur réelle de l'exercice et sur les décalages entre décors et lectures, piochés au hasard de la promenade entre les tables et de l'ouverture des coffres à images.
Que Bruno Racine lise La Vie d'Henry Brulard (Stendhal) négligemment appuyé à la balustrade de la villa Médicis, pourquoi pas, il y a sa résidence et Stendhal a loué l'Italie. Mais c'est un peu une facilité et que gagne la lecture de cette biographie à ce décor trop présent où, à l'inverse, la diction n'est pas assez présente ?
De meme, Arnaud Laporte nous gratifie d'une lecture de Voyage au bout de la nuit dans une salle de cinéma. Pourquoi cette salle ? et pourquoi ce choix de timbre estampillé France-Culture si peu convaincant ici !
J'ai également été intriguée par la lecture de Madame Bovary par Pierre Delattre. La promenade amoureuse d'Emma et de Rodolphe, les branches des bouleaux qui effleurent leurs chevaux, l'abandon d'Emma doivent cohabiter dans ce film, et par la voix du lecteur (bien timbrée en l'occurence), avec le décor coloré et très personnel de sa maison de Roubaix.
La caméra le suit minutieusement tout au long de l'épisode, ce qui ne manque pas d'ajouter de l'étrangeté à l'affaire puisque dans le meme temps, vous etes plongés dans la semi-obscurité de la bibliothèque et qu'ainsi plusieurs moments, plusieurs sites, plusieurs univers se télescopent.
J'en suis sortie en me disant que j'en savais plus, avec ce court métrage, sur la vie de M. Delattre, sa manière d'etre et de dire, les coussins de sa chambre et ses photos personnelles  que sur Flaubert, ses personnages et son écriture. 
Ce choix du metteur en scène impose en définitive une posture de spectateur plus que de lecteur car l'imagination est plus sollicitée par l'image que par le son.
La petite musique des livres fait ici un bruit considérable et pourrait bien produire un peu de cacophonie !
A voir donc, pour vivre une plongée dans le monde des lecteurs mais revenir ensuite aux livres, silencieusement ou à voix haute, et sans intermédiaires, quelles que soient leur notoriété ou leurs qualités propres.
Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !

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