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Paul Misraki & Pierre Jansen - Les bonnes femmes

Publié le 08 janvier 2010 par Kfigaro
Paul Misraki & Pierre Jansen - Les bonnes femmesLes nombreux jeunes cinéphiles qui ont tendance à sous-estimer sans arrêt la carrière de Claude Chabrol ou à le prendre pour un ringard feraient bien de revoir le très caustique Les bonnes femmes (1960) qui dépeint à merveille le mépris de classe ou les frictions culturelles qui peuvent exister entre les membres de classes non compatibles (un thème qui revient régulièrement dans son oeuvre notamment dans Les godelureaux et La cérémonie). En outre, le film m'a aussi permis de découvrir la très jolie Lucile Saint-Simon.
Les bonnes femmes marque aussi les débuts de Pierre Jansen au cinéma. Intello précaire avant la lettre, cet élève de Pierre Boulez travaillait à l'époque sur des tablatures de luth avant de rencontrer Chabrol (qui venait juste de finir son A double tour mis en musique par Misraki). Pour le film suivant, le cinéaste décide d'embaucher Jansen pour la musique de fosse tandis que Misraki (évidemment pas très content) devait cette fois se contenter des musiques et chansons de variétés. Au final, le score est particulièrement luxueux. Même si Jansen se cherchait encore un peu (sa musique oscille entre le dodécaphonisme austère du générique début et un lyrisme timide en faisant parfois quelques incursions chez Stravinski et Bartók), le beau thème principal du mélodieux Paul Misraki ne tombe absolument jamais dans la vulgarité. J'ai d'ailleurs noté un léger cousinage entre ce dernier et le sublime L'étang que je ne me lasse pas de réécouter.
Il faudrait par ailleurs redécouvrir d'urgence Paul Misraki (1908-1998), musicien surtout célèbre pour les chansons jazzy qu'il a composé pour Ray Ventura et ses collégiens (Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine, Tiens tiens tiens, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, etc...). Formé par Charles Koechlin (comme Lalo Schifrin, Francis Poulenc ou Henri Sauguet), il en hérite un savoir faire orchestral et une subtilité mélodique à mon sens tout à fait singulière au sein de la musique de film française des années 40 et 50 (même si Georges Auric s'en rapproche quelque fois). Michel Legrand a été profondément marqué par son art et un Philippe Sarde a sûrement une dette envers lui. A l'aise dans presque tous les styles, Misraki écrit aussi bien des musiques d'inspiration sud-américaines (Et Dieu créa la femme ou La fièvre monte à El Pao), orientale pour Ali Baba et les quarante voleurs, jazz symphonique pour Le doulos, atonale pour le méconnu La part du feu que teintées de debussysme subtil sur le très lyrique La minute de vérité.
Comme Philippe Sarde avec Bresson, Tavernier ou Ferreri, sa riche carrière l'a fait côtoyer les plus grands : Luis Buñuel, Orson Welles, Jacques Becker sans parler de Jean-Pierre Melville ou Jean-Luc Godard, excusez du peu !. C'est pour Montparnasse 19 de Becker qu'il compose son chef d'oeuvre absolu : basé sur un simple motif de quatre notes ("Pour traduire l'obsession éthylique du personnage, écris-moi toute la partition sur quatre notes répétées !" exigea le réalisateur), le musicien parvient à écrire une véritable symphonie tragique et incroyablement subtile sur le plan orchestral sans jamais tomber dans le pathos dégoulinant si courant dans les années 40 et 50 voire même au delà (à noter qu'un des morceaux du film - joué à l'orgue - a sûrement inspiré le célèbre thème du Samouraï de François de Roubaix). Pour le thème de Rémi dans le Sans famille d'André Michel, il compose sans doute sa plus belle mélodie d'une pudeur à ce jour inégalée, celle ci sera très vite reprise en version chantée par la chanteuse de jazz Blossom Dearie (sous le titre L'étang), puis ensuite par d'autres interprètes comme Joyce ou Aldo Romano.
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