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Boursiers et enseignement supérieur : l'ouverture sociale n'aura pas lieu

Publié le 11 janvier 2010 par Labreche @labrecheblog

En décembre 2009, la Conférence des Grandes Écoles (CGE), dans texte puis par l'intermédiaire de son président Pierre Tapie, rappelait son opposition à l’instauration de quotas de boursiers, dans ses établissements, qui ferait assurément baisser « le niveau moyen ». Ces déclarations répondaient à celles de la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, les invitant à « l’ouverture sociale » en atteignant 30% de boursiers par école. La place des étudiants boursiers ou aux origines sociales modestes dans l’enseignement supérieur est un débat  fréquent qui n’est toujours pas réglé. Peut-on espérer, aujourd’hui, une évolution ?

Discussion fleuve et propositions bateau

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À l’écoute des principaux intervenants, la CGE et Valérie Pécresse, on constate que le débat se cristallise autour de questions sémantiques. La CGE dit refuser les quotas tandis que la ministre parle d’objectifs. Un quota est une proportion prédéfinie, et un objectif est un but à atteindre, ici l'égalité d'accès à l’enseignement supérieur.

La CGE refuse d’avoir à atteindre un objectif de 30% d’élèves boursiers par école. C’est cette mesure qui est assimilée à l’instauration de quotas. La CGE préfèrerait qu’une moyenne soit faite sur l’ensemble des établissements qu’elle regroupe. Pourquoi ? Parmi les écoles de commerce réputées, HEC, ESSEC, ou ESCP on recense 12,3% d’élèves boursiers, les ESC de Province, eux, en comptent 20,70% et les autres écoles de commerce 30,30%1. Considérant les autres grandes écoles on observe que l’ENS  de la rue d'Ulm en dénombre 16,67% et l’ENS de Cachan 30,17%. Ainsi, faire une moyenne générale arrangerait certaines écoles. Les plus prestigieuses pourraient limiter leurs effectifs d’élèves boursiers et laisser cette responsabilité aux autres écoles. Toutefois, pourquoi confier à des établissements, pour beaucoup privés, la responsabilité d’accroître le nombre de boursiers ? Ne revient-il pas à l’État, par une politique directe, comme un financement, de donner les moyens aux boursiers d’être plus nombreux dans ces lieux.

Par ailleurs, depuis deux ans des mesures ont été mises en place pour permettre aux étudiants boursiers d’être plus présents dans les classes préparatoires aux concours des grandes écoles, afin qu'ils deviennent plus nombreux dans les grandes écoles. D’après le ministre cette disposition est un succès et l’objectif de 30% d’élèves boursiers en première année de classes « prépas » a été atteint, un an avant l’objectif fixé par le président Nicolas Sarkozy.

Toutefois, à la lecture de statistiques concernant l’évolution du nombre de boursiers depuis deux ans, on se demande comment la ministre peut déjà parler de réussite. En 2007-2008, le premier plafond pour l’attribution d’une bourse de l’enseignement supérieur, s'élevait à 19 960 euros de revenu par foyer ; et pour 2009-2010 il a été relevé à 32 440 euros. Le plafond des bourses a donc été revalorisé de 38,5% de 2007 à 2009 : en élevant le nombre d’étudiants ayant droit à une bourse, il est mécanique que leur nombre dans les classes « prépas » augmente. Et que deviennent ceux dont les ressources demeurent au-dessous de 19 960 euros ? Ils ont été fondus dans les statistiques aux nouveaux boursiers, et on ne peut donc pas estimer si leur proportion a augmenté au sein des classes « prépas ».

Causes sociales des inégalités à l'école

Valérie Pécresse et le ministre de l'Éducation nationale, Luc Chatel, proposent également une modification des épreuves de concours d’entrée dont le contenu serait facteur de discrimination sociale. La CGE a également lancé une enquête qui servira de support de réflexion à une éventuelle modification des concours. Il ne s’agit pas pour Pierre Aliphat, délégué général de la CGE de « sacrifier l’ambition intellectuelle. » Là encore, cette proposition gouvernementale interpelle. Comment ne pas croire que le « niveau moyen » s’affaiblira si les étudiants ont un niveau de connaissance revu à la baisse, puisque certaines épreuves, telle que la culture générale, sont visées. De plus, il est dérangeant d’avancer qu’une catégorie de la population, compte tenu de ses origines sociales, n’a pas la capacité d’acquérir les mêmes connaissances que les autres. Pour eux, il faudrait rendre le concours plus abordable. Au contraire, pourquoi ne pas permettre à cette population d’avoir accès aux mêmes connaissances et de consolider son capital culturel. Pourquoi ne pas s’interroger sur ses lacunes au lieu de se contenter de les éluder ? S’interroger sur les manques d’une partie des étudiants, c’est s’interroger sur leur parcours et la formation qu’ils ont reçu. Et cela revient à réfléchir sur la naissance de l’inégalité dans l’enseignement. Où l’écart se creuse t-il ?

La sociologue Marie Duru-Bellat2 situe l’apparition des inégalités dès l’école maternelle. D’après la sociologue les inégalités se manifestent très tôt, en matière de logique verbale, de structuration spatiale et d’organisation. Les capacités cognitives enfants sont, la plupart du temps, liées  à leur origine sociale. Mais, du fait du système scolaire, certains enfants profitent plus que d’autres des pédagogies. Elle poursuit en expliquant que l’avantage qu’avaient les enfants de milieu favorisé ne disparaît pas à la fin de l’école primaire. Enfin, ceux qui avaient des difficultés en ont toujours autant en finissant l’école primaire car l’enseignement y repose une logique d’accumulation de données. Au final, elle estime qu’aucune réforme de l’enseignement ne sera satisfaisante si le contexte global inégalitaire ne change pas. En effet, pour réellement lutter contre ces injustices il faut combattre l’injustice sociale. Dans le cas contraire, rien ne peut changer de façon durable.

Le 8 janvier 2010 lors de l’émission Les 4 vérités, sur France 2, Valérie Pécresse parlait du parcours exemplaire de Philippe Séguin. En dépit d’une origine sociale modeste, remarquait-elle, il avait pu exercer de hautes fonctions. Elle utilisait ce cas pour défendre ses propositions ; il  semble au contraire qu'il les invalide. Notons que Philippe Séguin n’a pas, pour son entrée à l’École Nationale d’Administration (ENA), passé un concours d’entrée différent. Si c’était le cas, aurait-il pu prétendre aux mêmes fonctions ? En outre, dans un rapport de 2007, le sénateur Yannick Bodin (Parti Socialiste) rappelait que la démocratisation des grandes écoles s’étaient arrêtés dans les années 1980. Il indiquait que 29% des élèves de ces écoles étaient « d’origine populaire » au début des années 1950 et seulement 9% dans les années 1990.

L’ouverture sociale doit se faire dans l’enseignement supérieur en général

Les grandes écoles sont des institutions spécifiquement françaises. Un rapport de l’INSEE paru en 20033, analyse les différences entre les universités et les grandes écoles. Ces dernières forment principalement des ingénieurs et les cadres des secteurs public et privé. Elles se distinguent, aussi, des universités par leur mode de sélection. Alors que le baccalauréat permet d’accéder directement à l’université, les grandes écoles recrutent sur dossier et concours d’entrée. L’augmentation des disparités entre ces établissements résulte, toujours selon ce rapport, du renforcement de la sélectivité des grandes écoles afin de conserver leur spécificité, et de la plus grande ouverture des troisièmes cycles universitaires, qui proposent de plus en plus des formations professionnalisantes.

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Les propositions gouvernementales se concentrent sur les inégalités dans les grandes écoles. Mais qu'en est-il dans les universités ? Selon l’Observatoire des inégalités4, les universités n’accueillaient en 2008 que 11% d’enfants d’ouvriers contre 30% d’enfants de cadres. Les universités ont peu d’étudiants, fils ou filles d’employés ou d’ouvriers, alors que ces derniers représentent la moitié de la population française. On les retrouve dans les premiers cycles ou les filières courtes. Les disparités sont plus visibles en troisième cycle. En licence, 12,3% sont issus du milieu ouvrier, 2% du milieu agricole, en doctorat ils sont respectivement 4,4% et 1,2%. Les enfants de cadres et professions libérales voient eux leur proportion augmenter, de 28,7% en licence à 38,3% en doctorat. Le financement des études est la première raison cette diminution du nombre de milieu moins favorisé. Aussi, le département de sociologie de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis5 rappelle-t-il un « phénomène paradoxal » : les enfants de milieux favorisés bénéficient en effet des meilleurs financements. Par exemple, l’inscription au concours de l’ENA est gratuite et les élèves y sont rémunérés à hauteur de 1385,66 euros net par mois.

A ce propos, la loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relatives aux libertés et responsabilités des universités renforce les inégalités. En effet, la réforme des allocations repose dorénavant sur les performances des établissements, qui doivent chercher des fonds propres. À terme, les rivalités entre universités augmenteront et, avec elles, les frais d’inscription.

Au final, ce débat tombe à pic pour la ministre. Elle le médiatise, à peine un mois après son cuisant échec dans les négociations avec le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) sur la « mastérisation » du recrutement des enseignants, et quelques mois avant les élections régionales. Mais au-delà de l'opération de communication, aucune des propositions faites par le gouvernement ne réduira de manière durable les inégalités.

Notes :
(1) Source des chiffres : ministère de l'Intérieur.
(2) Marie Duru-Bellat, « Les causes sociales des inégalités à l’école », Observatoire des inégalités, 11 mai 2004.
(3) Valérie Albouy, Thomas Wanecq, « Les inégalités sociales d'accès aux grandes écoles », Économie et statistique n° 361, 2003, p. 27-52
(4) « L'origine sociale des étudiants », Observatoire des inégalités, 30 septembre 2008.
(5) « Les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur », sur le site de la Fondation Copernic, 10 mars 2009.


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