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Budo : la quête du geste parfait

Publié le 12 janvier 2010 par Ivan

kungfuSi lors des premières années, le budoka est motivé par la recherche de la puissance, du combat et l’idée d’être plus fort, avec les années d’études c’est la recherche intérieure qui prime. Cette recherche va s’orienter vers le geste parfait, la quête parfaite puisque sans fin.


Les japonais, mais aussi les chinois, les coréens et tous les asiatiques d’une manière générale, ont l’obsession du geste parfait. Qu’ils pratiquent la cérémonie du thé, la calligraphie ou les arts martiaux, l’attention portée au geste est primordiale. Pourquoi ?

Tout d’abord parce qu’en Asie le système éducatif traditionnel ne possède pas la notion de pédagogie. Il faut imiter pendant des années, répéter et répéter encore, intérioriser chaque mouvement pour les faire sien et les interpréter à sa manière si on est suffisamment mature pour cela. Le professeur, sachant que ses élèves vont l’observer sous toutes les coutures, et ce d’autant plus que l’enseignement classique est avare en mots, ce professeur donc va tout faire pour améliorer, affiner, peaufiner chacun de ses gestes. Ses élèves évoluent, mais lui ne cesse de progresser, sinon il est rattrapé et coure le danger de se scléroser techniquement, comme cela se voit trop souvent de nos jours hélas. La quête du geste parfait évite de se reposer sur ses lauriers. C’est d’ailleurs un indice qui désigne le grand maître : toujours dans la recherche, jamais satisfait, plus passionné demain qu’hier.

kata-karate

Le geste parfait est aussi une notion issue de la société asiatique où l’on fait attention aussi bien au fond qu’à la forme. Il n’est pas (ou plutôt il n’était pas) concevable qu’un enfant oublie de saluer ses parents, de respecter ses ancêtres, de faire attention à la manière de se tenir, de manger, de porter ses habits. Toute la société était codifiée et elle l’est encore beaucoup dans le milieu des arts martiaux. L’étiquette de chaque budo est là pour le rappeler. On ne s’assoit pas n’importe où dans un dojo, on ne bouscule pas son voisin, etc. Cette façon de faire est à mon avis largement empruntée aux différentes religions que sont le taoïsme-shintoïsme, le bouddhisme et la doctrine-religion confucéenne. Les prêtres et les moines suivent des préceptes clairs de bonne tenue physique et morale. De plus, toute leur journée est codifiée par le rituel et le sens du sacré. Les gestes du quotidien se sont alors naturellement tournés vers une gestuelle précise, calme et rigoureuse d’où n’est pas absente la notion d’efficacité.

 

qi-gong

Que recherche-t-on à travers cette quête du geste parfait ? Il faut bien avouer qu’à la base, on ne sait pas ce qui nous pousse à vouloir nous améliorer sans cesse. Quelle pulsion profonde nous amène à ce besoin de rendre à la fois, beau, efficace, plein et puissant chacun des gestes dans une pratique martiale ? Pour ça je répondrais que le corps à ses raisons que la raison ignore. Mais les asiatiques n’ont pas de conception dualiste du corps et de l’esprit. Pour eux, le corps-esprit est un tout, qui est animé sans cesse par l’énergie (le ki ou le qi selon la langue) du ciel et de la terre. Méconnaître la conception de la relation de l’homme au ciel et à la terre c’est oublier le fondement de la vision que le budoka a de son corps. C’est important car cela signifie que le corps n’est pas un objet que l’on étudie avec une distance, mais une sensation. C’est cette sensation intérieure, cette proximité avec soi qui est le point de départ du processus d’apprentissage véritable d’un budo. Tout ce qui relève de la force, de la bataille ou de la compétition est donc balayée du revers de la main. Mon ami Gil Pham-Trong qui était entre autres posturologue et professeur d’aïkido, me disait que l’on se représente son propre corps à l’aide de sa perception interne composée de sa sensibilité proprioceptive, de sensations kinesthésiques et posturales. Si l’on ne ressent pas ses pieds, difficile de marcher correctement. Si l’on ne ressent pas la courbure et le mouvement ondulatoire de la colonne, difficile d’entrer dans les arts martiaux. On peut imaginer que les maîtres de Qi-gong arrivent à ressentir distinctement chacun de leurs organes, voire de leurs cellules, afin de les mobiliser pour un mouvement ou un travail particulier. Une telle conception implique donc la compréhension de son anatomie par l’intérieur et non par sa capacité intellectuelle, mais aussi une compréhension de son flux sanguin, de son énergie, etc. L’homme est un tout, je dirais même une totalité. Pour agir avec toutes les composantes de ce tout, il faut les travailler sans relâche et maîtriser les multitudes d’interactions entre le corps, l’esprit, le souffle, le sang, l’énergie, interactions inspirées par le modèle du yin et du yang. Si je suis malade, mes organes marchent moins bien, je n’ai plus la même énergie. Si je veux quand même aller faire un combat, je vais prendre la raclée de ma vie parce que j’ai ignoré l’interaction entre ma santé et ma capacité énergétique. Cet exemple simple à comprendre est vrai à tous les niveaux, même les plus subtils.

 

yin-yang-interactions

Comme je le disais, la recherche du geste parfait tente de répondre à quelques notions bien établies : l’esthétique (le beau), l’efficacité, la puissance, mais aussi la simplicité. Par un processus de répétition, le mouvement devient naturel. Mais pour cela, il faut suer sang et eau et épurer sans cesse. C’est l’image japonaise du corps comme un sabre. Le débutant est un minerai brut. Il apprend à se transformer en barre de métal. Une fois fort, il va apprendre à se dégrossir, à enlever les impuretés. Chaque répétition de technique est (doit être) comme un coup de pierre à polir. A la fin la lame brille de mille feux, est lisse comme un miroir, est belle et dangereuse. Un budoka de haut niveau dégage exactement ces impressions là.

Ce processus de polissage, d’épuration continue, permet de purifier le mouvement de toutes nos scories. Celles-ci sont nos mauvaises postures, nos mauvaises habitudes de vie, nos mauvais mots puis nos mauvaises pensées. Le terme mauvais n’est pas à comprendre selon, encore une fois, le dualisme occidental « bien-mal ». Mauvais serait plutôt à comprendre dans le sens de « non-adéquat ». Ainsi, en épurant toujours plus, le geste devient simple et clair, et possède comme vertu suprême l’impression d’être naturel.

 

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La spontanéité du geste est un crédo du taoïsme. Son but est de se rapprocher de la nature, voire de retrouver en soi l’état de nature. Aux yeux de cette religion, si l’expression d’un geste est naturelle, alors le geste est « vrai », est spontanné. Le bouddhisme zen de son côté mène la quête de la spontanéité. Dans la calligraphie zen par exemple, le geste doit surgir du plus profond de soi, non pas tant par souci de se rapprocher de l’état de nature que par idée d’être en relation avec l’énergie, et donc d’exprimer sa relation avec le cosmos, la divinité, le grand tout, appelons ça comme on veut. On sent donc ici encore l’influence des religions dans cette quête du geste. Reste à savoir qui de la religion, de la société, des arts martiaux ou de l’observation de la nature et des animaux influence la recherche gestuelle. Je pencherais pour une interaction où chaque acteur apporte sa pierre à l’édifice.

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Quoiqu’il en soi, le mouvement naturel qui jaillit spontanément est une illusion. Il s’agit d’une vie de labeur et de recherche. Mais la beauté-puissance-simplicité qui s’en dégage laisse admiratif, rêveur ou ému, c’est selon. C’est pourquoi lorsque l’on regarde un maître de budo, on se demande pourquoi il est si difficile de reproduire son mouvement alors que cela semble si simple (lire aussi De la difficulté de faire simple). Reste toutefois une grande question : ce geste parfait et spontané est-il uniquement le fruit d’un travail infatigable ou est-ce un retour vers un état de nature pré-existant de toute éternité ? Je laisse le soin à chacun d’y répondre.

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