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- Do you speak English? – Nie !

Publié le 13 janvier 2010 par Magda

- Do you speak English? – Nie !

Le sinistre Palais de la Culture, à Varsovie.

Carnet de voyage polonais, feuillet n°3.

Mardi 5 janvier 2010, Varsovie

J’ai beaucoup marché. Dans la vieille ville d’abord. Reproduite à l’identique après que la ville ait été rasée à 80%, la vieille ville de Varsovie est un exploit, une façon de faire la nique au destin. Même si la peinture trompe-l’oeil s’écaille déjà sur les façades des immeubles, découvrant des murs de brique sous leur déguisement. L’inscription de Varsovie au Patrimoine mondial de l’UNESCO est méritée. Cette reconstruction est une belle preuve du courage tant vanté des Polonais.

Il neige, et des nuées d’enfants en sortie de classe pépient dans les rues. Je rentre dans une église. Une vieille dame prie à genoux devant une énorme grille de fer forgé. On ne peut pas parcourir l’église, elle est “fermée”. On ne peut que rester derrière cette grille pour contempler une demi-douzaine de sapins de Noël clignotants, et une énorme Vierge en stuc, toute de bleu ciel vêtue.

Je quitte la vieille ville et atteint Nowy Swiat, littéralement “le nouveau monde” : l’avenue principale de Varsovie, qui me fait penser à la Perspective Nevski des Nouvelles de Saint-Pétersbourg de Gogol. Chic et occidentale, cette longue rue arbore des magasins de vêtements de luxe (Max Mara, Wolford) et des ribambelles de cafés sans âme.

Dans un froid mordant, je poursuis ma marche jusqu’au fameux Palais de la Culture érigé par Staline. Une verrue. Un énorme bâtiment crénelé, bâti entre 1952 et 1955. La décoration intérieure est bien dans la veine monumentale soviétique, en marbre gris et rose, froid, inhumain. En attendant l’ascenseur qui grimpe au 30e étage, je constate un sifflement singulier, un bruit de film de science-fiction, comme si une navette spatiale approchait. Cela ajoute encore à l’étrangeté lunaire du lieu. Je comprends enfin qu’il s’agit du bruit des va-et-vient des treize ascenseurs du “palais”.

Panorama décevant. Le brouillard nimbe Varsovie d’une tristesse encore plus pesante. Un énorme grillage prévient des chutes et des suicides. Pas étonnant qu’on ait envie de se jeter dans le vide quand on voit ça, me dis-je furtivement, avant de fuir ce lieu bizarre.

J’ai pour projet de me rendre à Cracovie, puis à Vilnius, en Lituanie, qui n’est qu’à 8 heures de train environ. Je me rends donc à la gare de Varsovie pour acheter mon billet. Tout y est écrit en polonais, et les panneaux semblent dater des années 70 ; je reconnais l’ambiance du très beau court-métrage documentaire Dworzec (“La gare”) de Kieslowski. Je m’approche d’un guichet.

- Do you speak English?

- Nie, (“niè” en phonétique, c’est-à-dire “non”, bien évidemment), me répond la vendeuse quiquagénaire d’un air las.

- Aller – Cracovie – jeudi – matin, dis-je péniblement, mettant bout à bout quelques mots de polonais, piqués dans le lexique du guide du Routard.

La vendeuse panique derrière ses lunettes à monture seventies. Elle brandit une feuille plastifiée avec des colonnes de chiffres à virgule, et des mots pas tellement éloignés de l’alphabet japonais pour moi.

- No, no, I don’t want the prices, m’écriè-je, give me the timetable!

Un homme d’affaires vole à mon secours. Gentleman, comme le sont souvent les hommes en Pologne. Mais pressé, sans sourire, il me commande un billet aller-retour pour Cracovie, puis disparaît.

Je me dirige ensuite vers la caisse internationale pour acheter le billet pour Vilnius.

- Do you speak English?

- Nie.

(Palsambleu. C’est la caisse internationale, c’est la gare d’une capitale européenne et ils ne parlent pas un mot d’anglais. Je vais les étrangler).

La vendeuse voit une lueur de folie meurtrière dans mes yeux. Elle dit négligemment :

- Oh, yes, maybe, a little. I can try.

- I would like to go to Vilnius on Friday, please.

La caissière prend un bout de papier minuscule, et y inscrit un horaire (23h) et une date (8.01.2010) ; elle le balance à travers l’hygiaphone et décroche son portable qui vient de sonner. Elle disparaît aussitôt. Je l’attends. Elle ne revient pas. Je n’ai même pas eu le temps de voir qu’elle a promptement retourné sa petite pancarte : “fermé”.

Perplexe et fulminante, je tente de prendre le tram pour me rendre dans le ghetto de Varsovie. Complètement paumée devant le plan des lignes de tramway. Une adorable petite vieille m’aborde en polonais. Apparemment, elle veut m’aider.

- Do you speak English? demandè-je timidement.

- Nie…

Évidemment. Mais, tout sourire, malicieuse et agile, elle mouline des bras et m’explique avec force rires que je dois grimper dans le prochain tram sur le quai d’en face.

Je vais vous dire un truc : ce qu’il y a de mieux, en Pologne, c’est les vieilles dames. Je vous explique ça dans le prochain billet.


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