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Législation antiterrorisme: fouille à l’entrée des lieux publics, brève arrestation à cette fin (« Stop and Search ») (CEDH, 12 janvier 2010, Gillan et Quinton c. Royaume-Uni)

Publié le 14 janvier 2010 par Combatsdh

En marge d’une “foire aux armes” organisée à Londres et de la manifestation prévue contre celle-ci, un homme qui souhaitait rejoindre cette manifestation et une journaliste qui voulait la filmer furent arrêtés brièvement (vingt à trente minutes) et fouillés par les forces de police. Les intéressés contestèrent sans succès ces arrestations et fouilles - réalisées au nom de l’article 44 du “Terrorism Act” adopté en 2000 au Royaume-Uni (V. § 28-48 pour une description de son contenu et de son application) - devant les juridictions britanniques.

La Cour européenne des droits de l’homme commence par refuser d’examiner les griefs des requérants sur le terrain de l’article 5 (droit à la liberté et à la sureté). Elle estime pourtant, eu égard à “l’élément de coercition” qui a conduit à “une complète privation de liberté de mouvement” - même brève -, que la situation entre dans le champ d’application de cet article, mais préfère statuer sur le terrain de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) combiné néanmoins à ce droit à la liberté et à la sureté (§ 57).

Premièrement, la Cour estime que la fouille prévue à l’article 44 du “Terrorism Act” constitue bien une ingérence au sein du droit au respect de la vie privée. Dans le prolongement de sa lecture large du champ d’application de ce droit (§ 61), elle énonce ainsi que “l’usage des pouvoirs de coercition conférés par la législation pour exiger d’un individu qu’il se soumette à une fouille sur sa personne, ses vêtements et ses effets personnels constituent une claire ingérence au sein du droit au respect de la vie privée“, la “nature publique de la fouille” renforçant cet aspect (§ 63). Par ailleurs, en réponse au gouvernement défendeur, les juges européens font une intéressante distinction entre les fouilles réalisées “dans les aéroports ou à l’entrée d’un bâtiment public et celles ici en cause en jugeant les premières moins intrusives car “un usager de services aéroportuaires peut être regardé comme ayant consenti à une telle fouille en choisissant de voyager” et donc, en prévision de la fouille, peut éviter que certains effets personnels en soit l’objet (§ 65).

L’ingérence ainsi identifiée est ensuite jugée non conforme à la première condition de l’article 8 § 2 telle qu’interprétée par la Cour (”la loi [prévoyant l’ingérence] doit être suffisamment accessible et prévisible, c’est-à-dire énoncée avec assez de précision pour permettre à l’individu - en s’entourant au besoin de conseils éclairés - de régler sa conduite” - § 76). En effet, selon la Cour, “les garanties prévues par la loi interne […ne] constituent [pas] une réelle limitation des larges pouvoirs accordés [aux autorités] de façon à offrir une protection individuelle adéquate contre les ingérences arbitraires” (§ 79).Sont ainsi soulignés le flou du motif par lequel le directeur de la police peut autoriser les agents à arrêter et à fouiller des personnes dans un espace géographique donné (s’il “le juge opportun pour la prévention des actes terroristes“) et l’absence d’exigence de nécessité et de proportionnalité de ladite mesure, ce qui constitue “un obstacle redoutable” à toute contestation judiciaire ultérieure (§ 80). L’absence de réelles limites temporelles - vingt huit jours mais indéfiniment renouvelable - et géographiques à ces mesures participent également à cette situation (§ 81). “Le large pouvoir discrétionnaire” du policier qui décide sur le terrain de procéder à une arrestation et à une fouille est également relevé car ce dernier n’a pas “à démontrer l’existence d’un doute raisonnable” pesant sur la personne qui en est l’objet mais seulement que cette fouille a “pour but de rechercher des objets utilisables dans le cadre d’action terroriste” (§ 83). “Le grand risque d’arbitraire [crée par] l’octroi d’un large pouvoir discrétionnaire” est enfin confirmé par certains rapports qui révèlent que sur les dizaines de milliers de fouilles, aucune en 2007 n’était liée à une infraction terroriste - avec de nombreux cas d’absence évidente de lien avec cet objet - (§ 84) et qu’il existe “un risque [avéré] d’usage discriminatoire de ces pouvoirs” à l’encontre des populations noires ou asiatiques (§ 85).

En conséquence, la Cour relève ici une violation de l’article 8 faute pour l’ingérence d’avoir été prévue par une législation suffisamment restrictive et protectrice (§ 87).

Par la généralité de ses motifs, cette condamnation s’apparente d’ailleurs à une sanction in abstracto de l’article 44 du “Terrorism Act” (qui, dans certaines de ses modalités, ressemble à la technique française des contrôle d’identités sur réquisition du Procureur de la République - Art. 78-2 al. 2 du Code de procédure pénale - par laquelle ce dernier fixe un espace géographique donné durant une période indéfiniment renouvelable ainsi que la liste des infractions recherchées même si les contrôles en révèlent d’autres). Cet arrêt confirme donc le souhait de la Cour d’encadrer les législations qui, sous couvert de motifs généraux et légitimes tels que la lutte contre le terrorisme, élargissent excessivement et sans garanties les pouvoirs de police.

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Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (Cour EDH, 4e Sect. 12 janvier 2010, Req. n° 4158/05) - En anglais

Actualités droits-libertés du 13 janvier 2010 par Nicolas HERVIEU

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