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"Agora"

Par Loulouti
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Alejandro Amenábar est un cinéaste qui me touche tout particulièrement et je crois que j’irai voir ses œuvres les yeux fermés. "Tesis" est un film d’une force incroyable, "Les autres" est surprenant à bien des égards et "Ouvre les yeux" n’a rien de comparable à son pâle remake américain "Vanilla sky".
Hier j’ai vu son tout dernier long métrage, "Agora", et une nouvelle fois la magie a pleinement opérée. Le réalisateur chilien a donné sa pleine mesure avec une œuvre esthétiquement belle et de surcroît pleine de sens. C’est si rare.
En ce IVe siècle après JC l’Empire Romain domine l’Egypte. A Alexandrie l’heure est aux querelles religieuses entre les Chrétiens, les Juifs et les adorateurs des divinités païennes (les Dieux et Déesses de l’ancienne Egypte polythéiste). Le conflit est sur le point d’éclater entre toutes ces communautés.
Dans la grande bibliothèque, seules les sciences arrivent à transcender les divergences d’opinion. Hypatie (Rachel Weisz), philosophe et astronome, tente de maintenir d’unité au sein de ses étudiants et de préserver les connaissances accumulées au cours des siècles passés.
Davus l’esclave (Max Minghella) et Oreste l’étudiant (Oscar Isaac) se disputent l’amour de la dame.
Les Chrétiens menés par Cyril (Sami Samir), futur évêque, secondés par des prédicateurs des rues tels qu’Ammonius (Ashraf Barhom) sentent leur pouvoir grandir.
Hypatie souhaite quant à elle de percer les mystères de l’univers.
"Agora" est un long métrage historique qui capte l’intérêt du spectateur dès les premières secondes. Le sujet semble ardu de prime abord mais ce qui prend la forme d’une leçon d’histoire n’est pas alourdie par une accumulation exhaustive de faits ou de dates. Alejandro Amenábar va à l’essentiel dans sa démarche.
Son style est d’une simplicité absolue. Sa manière de mettre en scène devrait être enseignée dans toutes les écoles de cinéma du monde entier. La présentation des événements, l’enchaînement des péripéties, l’évolution des protagonistes sont amenés de façon naturelle.
Sa fresque historique est pleine de force et de finesse à la fois. Le réalisateur met en scène l’Alexandrie d’hier mais son film est étonnamment moderne. Nous plongeons en plein coeur d’une violente guerre de religions. Toutes les confessions religieuses sont égratignées. Chrétiens, juif et païens sont renvoyés dos à dos si j’ose dire. Les extrémismes et les extrémistes appartiennent à chaque "camp".
Les uns et les autres sont capables des pires exactions et ignominies. Tour à tour victimes ou auteurs, ces hommes et ces femmes mettent en relief ce qu’il y a de pire dans l’être humain.
La violence des comportements se traduit à l’écran par quatre à cinq séquences extrêmement dures. Ces moments sont intenses, émotionnellement très durs.
La lapidation prend une bonne place au panthéon de la cruauté.
Sur le plan de la réalisation ces scènes permettent au film de maintenir un tempo efficace. Aux nombreuses mais très passionnantes discussions entre les personnages (dotées de dialogues finement ciselés), succèdent des moments où les événements se précipitent quand le rythme de l’action s’emballe.
Mais ce qu’il y a de sûr est le bonhomme fustige la méconnaissance, l’intolérance, le mépris, l’irrespect dans une film où nous sommes pourtant au cœur d’une cité qui fut, au propre comme au figuré, un phare de connaissances et d’universalisme. La mise en perspective est plus que brillante.
Heureusement dans "Agora" le fait religieux ne se manifeste pas seulement sous son aspect le plus vil.
Pour certains la Foi demeure le ciment des hommes et des âmes.
Seul rempart à l’ignorance et aux intransigeants de tout bord : la science. Hypatie est la figure de proue d’une société qui cherche à percer les mystères de l’univers. La femme scientifique s’interroge sur le positionnement des astres et sur la course de la terre par rapport au soleil.
Ces essais de compréhension du monde environnant sont débarrassés d’arrières plans métaphysiques ou idéologiques. Hypatie s’appuie uniquement sur une base mathématique et astronomique. Ses démonstrations (la courbe de la terre est elliptique entre autres) sont en avance sur leur temps. Il faudra plus de dix siècles pour que d’autres scientifiques (dont Kepler) confirment les vérités avancées par une femme en avance sur son temps.
Au-delà de la science, Hypatie enseigne la tolérance, la fraternité, et surtout une certaine liberté de penser et de se comporter à l’heure où ses concitoyens doivent se déterminer absolument par rapport à une religion. A l’alternative se soumettre ou périr, la jeune femme…
Dans "Agora" nous plongeons au cœur d’un triangle amoureux original, touchant. Ces relations sont pleines de pudeur et de fougue à la fois. Alejandro Amenábar arrive à nous émouvoir sans jamais caricaturer les choses. Entre Oreste, étudiant et futur Préfet d’Alexandrie, Davus, ancien esclave devenu prédicateur chrétien, et Hypatie se tisse un nœud de tensions, de passions d’une incroyable beauté. Alejandro Amenábar fait preuve de maestria et d’un talent rare de conteur.
Visuellement le film brille par son originalité. La reconstitution historique (faite à Malte) est saisissante de véracité. L’Alexandrie d’hier prend forme sous nos yeux émerveillés sans jamais paraître factice. Il y a de la minutie, de la précision dans chaque costume, chaque élément d’architecture.
Alejandro Amenábar utilise des plans aériens de caméra qui sont à tomber à la renverse. C’est véritablement la cerise sur le gâteau. D’autant que le procédé technique sert le propos du long métrage sur la place de la Terre dans l’univers.
Sur le fond on a l’impression que le réalisateur semble nous inviter à prendre de la hauteur avec les querelles religieuses. Son Homme idéal, ou plutôt son égérie dans "Agora", Hypatie est une femme passionnée assumant ses convictions jusqu’au bout et une scientifique qui dissèque l’univers avec une détermination sans failles.
Rachel Weisz est une actrice surprenante. Elle se glisse dans le costume d’Hypatie avec une aisance qui force le respect. Son jeu est étincelant et l’actrice illumine l’écran. Max Minghella nous étonne par la justesse de son interprétation. Son personnage est animé par une Foi de tous les instants et une froide détermination. Oscar Isaac donne sa pleine mesure dès qu’il apparaît à l’écran.
Michael Lonsdale est une nouvelle fois impeccable dans une courte prestation. Ashraf Barhom captive l’attention du spectateur dans son rôle de prédicateur des rues. Sami Samir (l’évêque Cyril) campe un personnage central bien inquiétant.
"Agora" ne fera certainement pas la une de l’actualité bien longtemps mais il aura ravi à coup sûr les spectateurs qui ont eu la chance d’assister à sa projection. Alejandro Amenábar a réussi le tour de force de nous distraire et de nous donner une leçon d’histoire dans le même temps.
Une démonstration jamais rébarbative pour un film passionnant.


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