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Game design : six chantiers pour une nouvelle décennie

Publié le 17 janvier 2010 par Eric Viennot

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Changement de décennie oblige, de nombreux articles de prospective ont été publiés récemment, ici ou . Dans le domaine du jeu vidéo, je me suis dit qu'il serait intéressant de tenter de détailler les  principaux chantiers qui occuperont les game designers pendant cette nouvelle décennie. Un exercice risqué, mais motivant, écrit avec la complicité de Nicolas Georget, game designer au studio de Lexis Numerique Marseille. Je vous souhaite à toutes et à tous, une excellente année et une décennie vidéo-ludique passionnante. 

L’hybridation des genres
C’est une tendance de fond qui risque de devenir une figure quasi obligée de la plupart des blockbusters. L’idée d’un jeu qui parviendrait à rassembler tous les genres a été souvent évoquée ces dernières années, notamment après la sortie de GTA IV. Illustrée en 2009 à travers des exemples réussis (Borderland, Assassin’s creed) ou ratés (Brutal Legend), la tentation est grande de parvenir à rassembler dans un univers cohérent plusieurs genres afin de créer une sorte de jeu total dans lequel chaque joueur pourrait y trouver son compte. Le problème pour les game designers sera de parvenir à équilibrer suffisamment le dosage afin que la variété des gameplays ne décourage pas de nouveaux joueurs venus du casual gaming ou de « vieux joueurs » attachés à un genre de prédilection. Comment parvenir à réunir plusieurs genres, sans boursoufler une œuvre et la rendre indigeste ? Comment concilier histoire cohérente et jeu ouvert ? Répondre à ces questions sera sans doute un enjeu majeur pour les game designers de blockbusters.
Game design physique et quantique
Même si la physique dynamique est intégrée désormais à la plupart des jeux d’action ou de simulation, afin de renforcer le réalisme de certaines scènes et le sentiment d’immersion du joueur (explosions, déflagrations, déformations de solides…), elle n’est encore souvent qu’un élément décoratif. Dans la lignée d’un Little Big Planet, elle pourra devenir dans certains cas un élément de gameplay à part entière, invitant le joueur à interagir davantage avec les décors autour de phénomènes spectaculaires basés sur l’effet dominos par exemple. Dans la même famille, les « gameplays de foule » qu’on a commencé à voir apparaitre grâce à la puissance des machines new gen, devraient également se développer.
Certains phénomènes plus abstraits, comme les fluides (Pixel Junk Shooter), les particules, les rayons,  les ombres (The Tower of Shadow), les aimants, serviront de bases à quantités de jeux et feront sans doute les beaux jours de la scène étudiante et indépendante. Dans la lignée de Braid et Singularity, on verra apparaitre également un champ d’investigation fascinant basé sur le temps et les paradoxes espace-temps. Il est possible que ces gameplays expérimentaux soient ensuite récupérés et peaufinés avec davantage de moyens par de gros éditeurs, Nintendo en particulier, qui, fidèle à ses habitudes, en redéfinira la norme. (Cf Super Mario Galaxy).

Game design empathique
Le casual fitness, phénomène de mode généré par l’effet Wii, sera vite remplacé par un phénomène plus profond qui accompagnera l’arrivée de nouvelles interfaces encore plus intuitives et intelligentes comme Natal de Microsoft. Alors que les genres ont tendance à se complexifier au fil des années (davantage de touches, d’informations affichées, etc…) cette nouvelle remise à plat permettra à de nouveaux entrants de découvrir de nouveaux types d’expériences vidéo-ludiques simples et accessibles, Dans cette optique, le jeu vidéo permettra de créer de nouvelles expériences d’apprentissage. Au-delà du simple besoin de divertissement, il répondra à un désir plus profond de connaissance de soi, de bien-être ou d’accomplissement. On demandera au jeu de s’adapter à notre niveau, notre psychologie et pourquoi pas à notre humeur. Les écrans tactiles, généralisés sur ordinateurs ou consoles portables, accentueront également cette proximité entre joueur et univers virtuel.

Micro jeux, contenus épisodiques, gameplay social
Avec la dématérialisation en marche, qui devrait être l'un des grands tournants de cette décennie, on verra apparaitre de plus en plus de micro-jeux qui n’auraient pas trouvé de place en magasins. Ces nouveaux jeux (de type Flower sur PSN ou Machinarium sur PC) correspondront à un pourcentage de plus en plus important de consommateurs adultes qui, bien qu'adeptes de jeux vidéo, ne souhaitent pas toutefois y investir trop de temps et d’argent.
Un autre chantier important pour les game designers sera de redéfinir les contours du jeu en ligne, notamment dans l’optique de gameplays plus sociaux, basés davantage sur les notions de rencontres, de partage, de collaboration ou d’échanges que de compétitions ou de coopérations purement guerrières. Etablir des liens et des passerelles avec les réseaux sociaux qui ne soient pas que des artifices, deviendra une contrainte obligatoire pour certains types de jeux.
Game design transmédia
Dans le même ordre d’idées on devrait voir un même jeu se décliner sur différentes plateformes.  On peut imaginer commencer un jeu sur console et pouvoir le poursuivre dans les transports sur une console ou un téléphone mobile. Ou bien des expériences ludiques complémentaires sur des plateformes différentes au sein d’un même univers : phase de gestion sur son mobile, phases d’exploration et d’action sur sa console, par exemple. En règle générale, les game designers devront avoir en tête une préoccupation qui deviendra de plus en plus essentielle : comment faire en sorte qu’un univers virtuel soit encore plus présent dans le réel ? Le jeu en ligne pourrait s’infiltrer dans un grand nombre d’activités quotidiennes, comme un hobby nomade et intrusif, augmentant la vie quotidienne d’une couche de "gameplay" stimulante par l’intermédiaire des smart-phones géolocalisés et autres technologies connectées. Cela rejoint évidemment les problématiques évoquées récemment sur ce blog, à savoir ce qu’on appelle les Alternate Reality Games, la fiction transmédia et ce que j’appelle la Fiction totale. Ces formes encore atypiques devraient considérablement se développer dans les prochaines années. Rodés aux processus de narration interactive, les game designers devraient en être les acteurs privilégiés. Cela les obligera à intégrer comme élément de game design les problématiques de monétisation, essentielles dans les concepts de jeux de type « free to play ».
Le jeu vidéo à l’âge adulte
On le sent tous, le jeu vidéo a atteint une certaine maturité. Après avoir joué à des jeux comme Shadow of the Colossus ou Flower, on est convaincu désormais que le jeu vidéo peut prétendre rivaliser, en matière d’émotions subtiles, avec d’autres arts.
Les éditeurs attachent de plus en plus d’importance à la dimension scénaristique. Pourtant il reste une grande majorité de jeux perfectibles dans ce domaine. L’histoire interactive est un enjeu immense qui reste encore à explorer.  On voit d’ailleurs apparaitre une nouvelle génération de game designers, la première génération formée dans des écoles spécialisées, avoir un regard plus critique par rapport à leur médium. Il est probable que certains d’entre eux s’engagent, dans la décennie à venir, sur un terrain plus subversif et plus polémique et osent aborder dans leurs jeux des thématiques adultes, rarement traitées jusqu’ici (dans le désordre, le racisme, la politique, les relations sociales  ou familiales, la sexualité, l’écologie, etc…). Certains diront que tout cela n’est pas très fun. Il suffit de regarder les séries américaines pour se convaincre que non, et qu’il est possible de se distraire en jouant à autre chose qu’à Super Mario, même si on peut continuer à y jouer avec plaisir et respect, un peu comme les cinéastes de la Nouvelle vague regardaient Charlot. D'ailleurs ils portent tous les deux la même moustache.

Illustration : Mass Effect 2, janvier 2010.


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