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Réforme des universités : le syndrome "Catch 22"

Par Jb
La notion, devenue expression courante en anglais, de catch 22 (je remercie ma chère et tendre de me l’avoir faite découvrir) me paraît assez bien illustrer le mal français.
Et l’un des exemples les plus frappants de ce mal, ces derniers jours, c’est l’agitation estudiantine autour de la réforme des universités.
Donc : depuis des années, chacun s’accorde à reconnaître que l’université française va mal, qu’elle manque de moyens, que sa gouvernance locale est insuffisante, que le système global est complètement archaïque et pas suffisamment connecté au monde du travail. Tout le monde est d’accord sur le constat : ça ne peut plus durer, il faut que ça change.
Puis Nicolas Sarkozy est élu. Il charge Valérie Pécresse de faire appliquer des réformes allant vers l’autonomie et la responsabilité des universités, des réformes que, grosso modo, les précédents gouvernements avaient déjà dans les cartons, qui semblaient faire à peu près l’unanimité chez les présidents d’université (réunis au sein de la CPU, Conférence des présidents d’universités) et chez de nombreux "intellectuels". Il faut faire vite, c’est le temps de l’action, le projet est donc bouclé en quelques semaines.
La possibilité de l’autonomie étant, au départ, laissée au libre choix de chaque université, de nombreux protagonistes (parmi lesquels l’UNEF) s’insurgent en disant que le risque c’est de créer des universités "à deux vitesses". Il semblerait donc qu’il faille s’orienter vers une réforme qui doit toucher tout le monde.
Hop, comme il faut toujours faire vite, la loi est votée le 10 août 2007. Il s’agit de la loi dite LRU (libertés & responsabilités des universités). On se flatte à ce moment-là de dire que cette loi est la première "grande" réforme de l’ère Sarkozy. Un site web, "nouvelle université", est ouvert à la rentrée, qui explique la réforme, les conditions et le calendrier d’application.
Le mois d’août se passe, le mois de septembre se passe, le mois d’octobre se passe à peu près… et puis soudain, des étudiants et des syndicats de personnels d’université se réveillent. La réforme doit entrer en vigueur début 2008, il faut donc agir car on est absolument contre cette réforme. Celle-ci est accusée de tous les maux : on veut "casser" le service public et privatiser, on veut que les entreprises financent de plus en plus le monde universitaire (d’où le risque d’en finir avec l’indépendance scientifique et intellectuelle), on veut donner des pouvoirs exorbitants aux présidents d’université, etc. etc.
Du coup on assiste ces derniers jours à des scènes qui rappellent les luttes contre le CPE voici deux ans. Même syndrome : une poignée d’étudiants, censés représenter "les" étudiants mais qui en réalité ne représentent pas grand monde, décident d’installer des barrages filtrants devant l’entrée de certaines facs, voire même de bloquer l’accès aux bâtiments et/ou de voter la grève. L’UNEF met de l’huile sur le feu.
La grande majorité des étudiants, on le sait, est passive.
D’une part, combien d’étudiants, sur les centaines de milliers qui peuplent les universités de France et de Navarre, connaissent le fonctionnement administratif et politique d’une université (dotée d’un président, d’un conseil d’administration, d’un conseil scientifique, d’un conseil des études et de la vie universitaire) ? Combien votent pour élire leurs représentants étudiants ? Un pourcentage infime, ce que l’on peut certes regretter.
D’autre part, combien d’étudiants, sur les centaines de milliers qui peuplent les universités de France et de Navarre, vont à la fac avec d’autre volonté que passer leurs examens, décrocher leur diplôme et intégrer le marché du travail le plus vite possible ? Par conséquent, sucrer leurs partiels, les handicaper dans la préparation de leurs concours, c’est évidemment mal vécu par la majorité d’entre eux.
Et pourtant, ceux qui bloquent entendent parler au nom "des" étudiants et de leurs intérêts.
En face, Valérie Pécresse a aujourd’hui un discours un peu ambigu. Cette loi sur l’autonomie, doit-elle finalement s’appliquer dans toutes les universités, ou bien certaines sont-elles encore en mesure de ne pas l’appliquer si elles ne le souhaitent pas ? Dans ce deuxième cas de figure, admettons qu’aucune université n’applique la loi : du coup, la réforme s’envole ! Comment, dans ces conditions, continuer à dire qu’il s’agit d’une réforme très importante ?
Il n’est pas question, dans cette chronique, de dire que la loi LRU est bonne ou mauvaise, je ne me sens pas apte à trancher ce débat. Il s’agit simplement de constater que, comme toujours dans ce pays, nous sommes en présence d’un double discours.
Temps 1 : il y a un problème, il faut changer ! Temps 2 : avec ou sans concertation, le gouvernement en place propose des solutions. Temps 3 : des manifestations et des grèves, reflétant plus ou moins (avouons-le : souvent plutôt moins) une opinion générale, éclatent. Tout le monde est pris en otage. Temps 4 : on est tentés de ne rien toucher, puisque finalement quoique l’on propose, les gens (enfin ceux qui s’expriment, la majorité silencieuse ne prenant pas la parole) sont contre. Temps 5 : on en vient à se demander si, finalement, ces gens-là ne sont pas pour le statut quo pur et simple. Oui mais alors ? pourquoi tout le monde au départ était d’accord sur le constat, à savoir que ça va mal et que ça ne peut plus durer ?
Finalement, la question que je me pose est la suivante : les gouvernements en France manquent-ils de méthode pour mettre d’accord, de façon pédagogique et consensuelle, tous les partenaires sur des réformes indispensables ? Privilégie-t-on le faire vite au faire bien ? Ou bien la France est-elle simplement impossible à réformer ?
Peut-être un peu de tout cela à la fois…

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