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Georges Frêche ou le caillou dans la chaussure

Publié le 28 janvier 2010 par Variae

Le Parti socialiste a un caillou dans la chaussure. Pas un gravillon indolore, non, plutôt un bloc de granit cévenol taille XXL. Il a pour nom Georges Frêche. Figure improbable à l’ère de la « web politique » et de la comm’ policée par les grandes agences, c’est une sorte de personnage de Pagnol égaré dans le parti de Jaurès, grande gueule à l’ancienne façon Tapie ou Charasse, maître du dérapage contrôlé qui fait parler dans les chaumières et met les rieurs de son côté. Après des propos « limite » sur les Harkis puis sur la couleur de peau de l’équipe de France, on apprend aujourd’hui qu’il aurait une nouvelle fois sévi, à l’encontre de Laurent Fabius cette fois, commentant la « tronche [sic] pas très catholique » de l’ancien Premier ministre. A voir comment le débat fait rage depuis ce matin entre socialistes, sur Internet notamment, il semblerait bien que le buzzer en chef de Septimanie va encore être au centre de toutes les attentions pendant plusieurs jours.

Georges Frêche ou le caillou dans la chaussure

Qui est Georges Frêche ? Toute personne habitant dans sa région, ou ayant des amis y habitant, a des histoires à raconter sur l’ex mai(t)re de Montpellier, ville qu’il a façonnée à sa (dé)mesure. Tour à tour admiré ou détesté, ne laissant pas grand monde indifférent, c’est un personnage à double face assez difficile à saisir. Il y a d’un côté le bon docteur Frêche, l’intellectuel cultivé, universitaire, le bâtisseur, un des rares présidents de région à bénéficier d’une réelle notoriété. Et puis il y a Mister Georges, le « baron » socialiste à l’ancienne, dénoncé pour son hégémonie et sa volonté de tout contrôler, le provocateur qui produit des scandales médiatiques à répétition, où il est difficile de faire la part de l’émotion publique et de la mauvaise foi de ses détracteurs pour se faire un jugement objectif. L’affaire des Harkis ? Une manipulation de propos effectivement tenus, mais déformés ou plus exactement retirés de leur contexte. Les « noirs de l’équipe de France », en surnombre à cause de la « nullité des blancs » ? Une expression maladroite de la pensée généreuse de son auteur, qui aurait voulu dire, en fait, qu’il était anormal que les « Français issus de la diversité », comme on dit pudiquement rue de Solférino, ne puissent réussir que dans la chanson ou dans le sport. Après tout, Jean-Louis Murat avait bien tenu le même discours dans le mensuel de foot de gauche So Foot sans déclencher la même avalanche de reproches …

A chaque fois, Georges Frêche a une bonne explication a posteriori. Pour la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius, on la devine déjà. D’une, c’est le sage actif qui avait ouvert les hostilités, en déclarant avant Noël qu’il ne voterait peut-être pas Frêche s’il habitait en Languedoc-Roussillon ; de deux, « ne pas avoir l’air très catholique » est une expression courante qui exprime la méfiance, voilà tout. Et oublions le fait que Laurent Fabius est issu d’une famille juive, et que tout le monde le sait, et oublions aussi que l’expression commune est « ne pas avoir l’air très catholique », et ne mentionne pas la « tronche ». Oublions aussi que l’antisémitisme primaire se fait à la tronche, pardon, à la tête du client. Oublions les blagues sur le nez des Juifs. Oublions, oublions ! Propos tenus en public par un personnage haut en couleur, comme on dit, et qui se serait un peu oublié, voilà tout.

Considérer Georges Frêche comme une sorte de César ou d’Escartefigue qui se serait mis à la politique, et qui emploierait des termes qui dépassent sa pensée sous le coup du soleil, ou du pastis, allez savoir, c’est pour le coup faire preuve de racisme et de mépris pour les méridionaux (ou pour l’idée qu’on s’en fait au-dessus de la Loire). Georges Frêche est sans aucun doute, au contraire, un homme extrêmement intelligent, qui sait parfaitement ce qu’il dit, et qui sait très bien ce qu’il faut faire pour gagner une élection. Première règle : taper aux portes de toutes les chapelles politiques pour faire le plein de votes, au-delà de son propre parti. C’est ainsi qu’il est déjà parvenu à faire entrer sur sa liste pour 2010, malgré l’hostilité des autres partis, des communistes, des écologistes, et même les chasseurs. Il s’est toujours vanté, par ailleurs, d’avoir su limiter les scores du Front National aux alentours de 10%, alors qu’ils explosaient dans d’autres villes du midi. On a une idée (d’une partie) de la recette de ce succès : ces dérapages verbaux, justement. Car avant d’être expliqués, recadrés, délavés, ils portent leur odeur douteuse dans tous les médias, et agissent comme un signal fort pour l’électorat raciste et antisémite, qui n’a pas besoin de longs discours pour être satisfait. C’est un électorat qui est au contraire très habile à comprendre allusions et jeux de mots ambigus, destinés à passer le filtre de la censure et de la loi, et dont Jean-Marie Le Pen a si souvent usé. « Vous êtes des sous-hommes », « J’ai honte pour mon pays », « les blancs sont nuls », « il a une tronche pas très catholique » : les mots et formules sont calibrés, et immédiatement identifiables par qui de droit. Alors Frêche, raciste, pas raciste ? Surtout un homme qui connaît parfaitement son électorat et qui sait varier les discours et les postures pour en toucher la plus large partie, comme il l’avait d’ailleurs expliqué un jour à ses étudiants.

Reste alors la réaction du PS à son égard. Pour mémoire, il n’est d’ailleurs plus membre du Parti socialiste, en ayant été exclu à la suite de l’épisode des harkis. Ce qui ne l’a pas empêché de décrocher l’investiture pour les régionales, via une stratégie “d’homme de paille” sur laquelle les procureurs du jour avaient alors fermé les yeux, se réfugiant derrière « le vote des militants » après s’être perdus en rodomontades contre cet élu encombrant, que l’on avait d’abord prétendu vouloir sortir du jeu une bonne fois pour toutes. Le dérapage sur Laurent Fabius n’est ni pire, ni moindre que les dérapages précédents ; alors pourquoi le déclarer infréquentable aujourd’hui, après avoir passé l’éponge hier, au moment où on aurait pu en toute transparence faire désigner une autre tête de liste pour les socialistes ? Si Frêche est destitué dans les prochains jours, pire encore, les mauvais esprits ne manqueront pas de glisser qu’il aura fallu qu’il semble s’en prendre – peut-être – à la communauté juive pour que le PS bouge vraiment, alors que les propos sur les Noirs et les Arabes n’avaient pas empêché son investiture. On imagine déjà Dieudonné se frottant les mains.

En vérité, et n’en déplaise aux antisémites, « antisionistes » et aux adeptes de la théorie du complot, la réalité est plus triviale. La direction du Parti socialiste, dont sont membres tous ceux qui ont ce jour réclamé la tête du président de région, paie tout simplement le prix de la captation du PS par les barons locaux. Ces grands élus qui « tiennent » leur(s) fédération(s), et qui « font les congrès », comme on dit dans le jargon socialiste. Faute d’avoir profité de son élection pour en faire une grande lessive – il est vrai que le manque de sérénité de ladite élection ne facilitait pas les choses – Martine Aubry et ses proches sont pris dans le même piège que leurs prédécesseurs, et sont réduits à froncer les sourcils et à prendre des postures de Matamore contre ces barons – sans jamais vraiment agir – de peur de s’aliéner de précieux réseaux d’élus et de plus précieux encore « bassins » de cartes de militants pour les prochains votes internes. Alors on gagne du temps, on discute, on vote des motions de condamnation, jusqu’à se retrouver piégé dans des situations impossibles, à la veille d’un scrutin important. Le caillou dans la chaussure qui a pour nom Georges Frêche ne doit pas d’abord nous interpeler sur le racisme ou l’antisémitisme quotidiens ; il souligne en premier lieu, très nettement, les ratés et les échecs d’une rénovation socialiste qui se fait toujours attendre. Et qui attendra sans doute encore … le temps d’une élection.

Romain Pigenel


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LES COMMENTAIRES (1)

Par doriginehumaine
posté le 02 février à 18:27
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Georges Frêche héraut du gaucho-lepenisme

L'Etat israélien est une chose,les Juifs de France(et d'ailleurs) en sont une autre.Le soutien à l'Etat d'Israël et la haine vis-à-vis des Juifs comme des Arabes ne sont nullement incompatibles.On peut même démontrer sans peine que ces deux attitudes constituent,en quelque sorte,pour nombre d’antisémites,les deux faces d'une même intolérance.Pour se convaincre de la signification de la dernière sortie de M.Frêche il convient de se reporter à la lettre d'"explication" que ce dernier a adressée à M.Fabius.Cette lettre est nettement plus intéressante.Selon M.Frêche la preuve irréfutable de son rejet de l'antisémitisme résiderait dans son "soutien à l'Etat d'Israël".Là réside le problème.Les antisémites purs et durs,y compris au Front National,ont,de ce point de vue,la même analyse et la même ligne de défense:"nous n'avons rien contre les Juifs mais nous les préférons....en Israël".Le même raisonnement,violemment intolérant,peut être appliqué à tout autre peuple jugé non-français ou non francisé.Il y a quelques siècles le même raisonnement était appliqué à différents cultes religieux frappés d’interdit dans le royaume de France mais probablement licites aux yeux des ligueurs de la Sainte Ligue….à l’étranger.

M.Frêche a accepté tous les reniements,tous les retournements idéologiques pour parvenir au pouvoir et le conserver.Ses compétences en matière d'urbanisme et d'aménagement territorial ne sont pas en cause ici.Il est question de gouvernance et d'éthique politique.Les Harkis,les Libanais,les pieds noirs..(..etc),tel ou tel groupe humain sont réduits à de simples soutiens de sa majesté ou une gêne,le cas échéant, dans sa carrière politique,dans la réalisation d'ambitions de plus en plus démesurées.Il y a belle lurette que ce Monsieur,comme un certain nombre de politicards-à commencer par Le Pen-ont renoncé aux valeurs de la République sur l'autel de leurs ambitions personnelles,au prix de la transformation d'une ligne politique claire en un simple électoralisme mâtiné d'un populisme franchement dangereux.M.Frêche est bien devenu une figure importante du gaucho-lepenisme,c’est-à-dire un courant idéologique se situant sur une ligne identitaire exacerbée-fréquemment nourrie d’appels à la guerre civile à peine voilés- et assortie d’un programme social assez étoffé.Le pacte républicain est rompu.Et dans une république démocratique il revient aux électeurs, c’est-à-dire aux citoyens de trancher.Rappelons à ce propos que le mot « citoyen »n’est pas une injure,encore moins une insulte.