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Confessions d’un kikoolol

Publié le 30 janvier 2010 par L12s

Confessions d’un kikoololKikoolol : nom ou adj. Quelqu’un qui voit le monde en rose, qui écrit souvent en langage SMS. Ponctuant ses phrases d’argot, ayant souvent des lacunes culturelles, le kikoolol est quelqu’un de pénible. (Wikipédia)

Entretien d’un énergumène avec Nicolas Georges.

Nous sommes mercredi soir dans un bar en sous-sol obscur et un peu flippant d’Aix-En-Provence. Je me demande ce que je fous là (« toujours cette même question depuis la naissance » comme le dirait F. Beigbeder) et ma no-alcohol policy during the week ne rend ce questionnement que plus intense. Sirotant mon deuxième coca-light de la soirée, j’observe mes potes, leurs potes et les potes de leurs potes.

Soudain, je vois un être étrange s’asseoir à coté de moi. Sous-pull vert, gilet gris, chapeau vissé sur une masse informe de cheveux frisés, keffieh noir et blanc au cou, il n’a plus l’air très frais mais semble néanmoins très content. Il me regarde un moment de cet œil vitreux que les habitués des conversations éthyliques connaissent bien puis me dit, avec un ton plus qu’enthousiaste: « Mais putain chui trop content d’être là quoi, c’est trop bien quoi, personne te juge, c’est génial quoi

- Ouais, c’est vrai, c’est normal, c’est un peu la Piste aux Étoiles ici, j’ai vu une meuf déguisée en vampire sur le dancefloor, une fois.

- Ouais mais ça change trop de chez moi quoi, moi je viens de la Seyne-sur-Mer, c’est super intolérant quoi.

- Ah…

- Mais trop quoi, l’autre jour il y a un mec qui m’as vu en soirée et qui m’as dit que ma tronche l’énervait et que je devais me casser, alors je lui ai dit en le regardant dans les yeux ‘désolé mec, je me battrais pas mais je reste là, j’ai mon point de vue, t’as pas plus raison que moi’ et puis après on était super potes et il m’a offert à boire. Tu vois, moi je crois en l’amour. Tu vois, je te connais depuis trente secondes et je t’adore déjà quoi. On va au fumoir ? tu fumes ?

- Je fume pas mais je te suis.

Dans l’escalier qui mène au pavillon des futurs-cancéreux, je me dis que cette soirée n’est peut être pas si mauvaise. Parler est parfois pénible, écouter souvent reposant, ici, c’est passionnant.

- Ouais, tu vois, moi je crois au pouvoir de l’amour. Je suis ptet’ utopiste (sic) mais j’espère encore qu’un jour on pourra tous s’aimer. J’espère qu’on va détruire ces PUTAIN DE BARRIÈRES DE MERDE et qu’on arrivera enfin à se métisser et à la mixité sociale et qu’on s’aimera tous les uns les autres ! Enfin tu vois, moi j’y crois quoi. Par exemple, l’autre jour il y a un mec qui mas dit qu’il aimait pas ma gueule et que…

- Ouais, je sais, tu m’as déjà raconté.

- Ah, ouais, pardon, c’est parce que je trouve ça super caractéristique quoi ! Ça démontre le pouvoir de l’amour. Sinon tu fait quoi comme études ?

- De l’anglais. Et toi ?

- Une fac de psycho. Je veux être sexologue, pas forcément avec des gens mais genre faire des études, tu vois quoi. Et toi, c’est pour faire quoi ?

- J’aimerais bien être journaliste.

- Ah ouais, c’est génial. Tu vois, le pouvoir de l’amour, c’est souhaiter le bien des autres. Je suis sur que tu vas faire un super journaliste et tu vas changer le monde, mec !

- J’essaierais.

La clope est terminée, les bouteilles sont vides, l’échange patine, un blanc durable s’installe. Il reprend soudain :

- T’es dans les jeux de rôle ?

- Euh, non, pas vraiment.

- Parce que tu vois la fille, là bas, Amélie, je l’ai connue en jouant à Warhammer et c’est comme ça qu’on s’est mis ensemble à l’époque. Aujourd’hui on est amis tu vois mais si j’avais pas joué à ça, je l’aurais jamais connue.

- Mortel… »

La fille est jolie, semble plutôt vive et « normale », je suis incrédule. Aussi, après une demi-heure à écouter et acquiescer, je fatigue un peu, je n’ai pas la force de relancer. Prétextant un mal de gorge (« j’ai du mal à supporter la fumée »), je m’en vais, tout de même assez content. Le kikoolol est une espèce rare et j’ai pu en observer un vrai, sauvage, à l’état naturel. Le Allain Bougrain-Dubourg en moi est satisfait. Le Don Juan l’est carrément moins mais who cares ?


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