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L’insoutenable légèreté du quadra

Publié le 31 janvier 2010 par Prland

Internet a bouleversé ma vie, bla, bla, bla. Parmi tous les effets collatéraux de la vie en réseaux sociaux, il y a la middle life crisis de nouvelle génération. Avant, on parlait du démon de midi. Le nanti qui partait voir ailleurs, jusqu’à mettre en danger la jolie vie de famille qu’il avait mis tant d’années à construire. Mais la Génération Y est passée par là et la vraie Digital Native Génération se profile déjà.

Je ne me sens pas de ma génération de “jeune quadra”. A vrai dire, je ne me sens plus d’aucune génération, et surtout pas de celles de mon âge et plus. Internet constitue l’un des rouages les plus actifs du processus et en montre quelques évidences. Le risque de basculer du côté pathétique du jeunisme n’est jamais très loin, je le sais et reste sur mes gardes. Mais j’ai pour moi une certaine cohérence, le net n’est pas la cause de tous les maux. Moi seul le sais. Tout petit déjà…

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En 1974, j’ai 5 ans. Mes parents sont convoqués par la directrice de ma maternelle. Rien avoir avec mes légers soucis de stylisme vestimentaire, on a tous eu envie à un moment ou à un autre de poursuivre ses parents en justice pour la coupe de cheveux maison et le pull inassumable imposé toute son enfance. En fait, on a un plus gros problème. Non seulement je montre tous les signaux d’un enfant prédisposé à écrire de la main gauche mais en plus, je ne joue pas avec les gamins de mon âge. Je suis renfermé, pas mis à l’écart, mes camarades de classe viennent me chercher mais je n’y vais pas. Je reste dans la classe avec la maîtresse qui m’adore et me laisse gérer mon monde intérieur mais ça ne résout rien. Je ne suis pas asocial, juste solitaire. Je suis le même à la maison, habitué à jouer seul quand ma soeur n’est pas là.

En 1976, j’ai 7 ans. les meilleurs amis de mes parents ont une fille de mon âge. Elle partage avec moi le goût du monde des adultes. C’est plus que mon amie, on est quasiment élevés ensemble. Si on passe des heures à se cacher, c’est plus pour espionner nos parents que pour mobiliser leur attention. Le moment de notre récompense pour avoir été sages et discrets (on faisait évidemment toutes les conneries du monde en cachette) vient lorsque nous sommes autorisés à distribuer les cartes de la partie de tarot ou à aider à la préparation du du barbecue pour tout le village. Tout va bien tant que je peux rester “avec les grands”.

En 1979, j’ai 10 ans. Pour la première fois, les vacances sont en petit comité, à la montagne, mon père, ma mère et moi. A l’hôtel, il y a des enfants de mon âge partout. A la piscine, je me fais un ami avec lequel je passe mes journées dans l’eau. La lueur dans le regard de mes parents oscille entre le plaisir de me voir m’amuser et l’inquiétude lorsque je demande si je peux manger à sa table avec ses amis. Il a 25 ans, ses copains également. Je les amuse, ils m’intéressent. C’est avec eux que je veux passer le reste de ma vie. Je n’ai pas une seule photo de l’époque avec un enfant. Mes amis auront entre 18 et 40 ans, pour toujours.

J’ai gardé plusieurs caractéristiques de cette période. Personne ne m’a jamais vu parler avec un enfant avec autre chose qu’un ton d’adulte. Je pense que c’est ce qui explique mon effet magnétique sur les enfants qui amuse toujours autour de moi.

Au début des années 80, ma soeur a 18 ans et des amis de son âge. Elle m’emmène partout et je virevolte. Je suis la mascotte qu’on promène au ski, dans les soirées, en week-end. Je suis le confident aussi, celui auquel on dit des choses. Sans doute parce que, avec mes allures de pré-ado mal dégrossi, il parait évident que je ne comprendrai pas tout mais que je suis la personne qui écoute le mieux au monde. Je me souviens de peu de choses de cette période, à peu près rien de l’école ou de mes “copains” qui venaient me chercher pour partir ensemble au collège. Mais je n’ai rien oublié de ces moments magiques où des adultes me parlaient comme à un adulte. Dans la même décennie, mon oncle et ma tante entrent dans ma vie au moment où ils se rapprochent de mes parents. Leur histoire n’est pas simple, j’en serai là encore le confident, ce qui les place parmi les personnes qui comptent le plus dans ma vie. Ma cousine a 10 ans de plus que moi, elle m’invite dans son univers parisien très souvent, elle est la personne avec laquelle je ris le plus. Les lueurs dans les regards restent oscillantes, de plus en plus souvent même.

Les années 90 arrivent comme un soulagement. J’entre de plain-pied dans l’âge avec lequel je me sens bien. Mes copains ont mon âge, je suis l’idole des filles qui ont capté très tôt ma capacité à gérer les confidences. Je parle enfin le même langage que ceux de ma génération. Je me suis dégrossi avec le temps, je ne réalise pas que je peux aussi séduire mais de toute évidence, ça arrive. Je peux enfin vivre des histoires sentimentales. Je suis à Paris comme j’en ai toujours rêvé, je peux profiter sans jugement de la vie que je veux. Même à l’armée, je trouve un lien social qui me procure plus de plaisir que de souffrance.

Paradoxalement, dans les années 2000, le trentenaire que je suis fréquente principalement des quarantenaires. Objectivement, je ne m’y sens pas particulièrement bien mais j’aime, la question ne se pose donc pas. Je n’y réfléchis même pas. Je fais à peine l’effort de maintenir vivant le lien avec les amis de mon âge. J’en ressors épuisé mais pas déçu et avec quelques liens tissés qui ne s’effaceront jamais.

En 2007, j’ai 38 ans. Depuis 3 ans, le web est entré dans ma vie. Pas qu’au travail je veux dire. Il y prend de plus en plus la place laissée vacante par mon ancienne vie de couple. Ceux que je rencontre ont souvent assez naturellement 10 à 15 ans de moins que moi. J’y croise quelques-uns de ceux qui comptent dans ma vie aujourd’hui. Je ne suis plus une mascotte mais le type qui montre ce mélange bizarre de maturité et de décalage post-ado. Mais j’y retrouve mes plaisirs d’enfant, d’entrée en relation faite de légèreté et de rires, de capacité à penser de la même façon malgré la différence d’âge. Je laisse moins de place à la confidence pour me protéger de ce qui pourrait à tout instant sombrer dans le ridicule. Je ne manque jamais une occasion de jouer sur la différence d’âge, accepter une mission anticipée de patriarche dont je suis le premier à me moquer.

Depuis 1 an, j’ai eu l’occasion de fêter un nombre assez conséquent de trentième anniversaire parmi mes proches. Je fais violemment chuter la moyenne d’âge des soirées mojito que j’organise parfois, en utilisant les moyens les plus modernes de communication que je ne connaitrais sans doute même pas si je modifiais l’âge de mes fréquentations.

Ma crise de la quarantaine n’est un problème que par anticipation. Je ne suis pas sûr que c’est à 20 ans que j’aurais bloqué le compteur. Je m’arrêterais sur aujourd’hui si je le pouvais. Mais je sais déjà que ce que réserve les réseaux sociaux, c’est de faciliter toujours plus l’effacement de la différence d’âge.  Sans dissimulation. Mais surtout, Internet m’apporte une nouvelle force en me laissant penser que je pourrai cette fois vieillir avec mes amis d’aujourd’hui.


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