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Midnight Oil

Par Ernestoviolin

Tintin au Pays de l'Or Noir
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Reprenons.

Nouveau tour de force narratif, Tintin au Pays de l'Or Noir est avant tout une réflexion cynique et désabusée sur le silence. Arrivé à la fin de l'oeuvre, on oublie l'histoire (inintéressante et bâclée) pour se concentrer sur les vraies questions : où était le Capitaine Haddock quand son ami était en danger ? Où se cachait-il pendant qu'une guerre menaçait de réduire à néant l'ordre mondial ? Y a-t-il une autre histoire derrière l'intrigue principale, une histoire honteuse et secrète, proche de la folie, dont les manifestations extérieures seraient à chercher dans les moustaches arc-en-ciel des Dupondt ou dans le regard mi-mélancolique mi-félin d'Olivera da Figueira de Lisbonne ?

C'est une absence gênante, que la chronologie seule ne parvient pas à excuser. On le sait, l'épisode date en fait, pour la majeure partie, de l'époque du Sceptre d'Ottokar, Hergé ayant dû le ranger sous son oreiller durant l'Occupation. C'est généralement là que se niche l'explication : le Capitaine Haddock ne peut pas participer à l'histoire, n'ayant pas encore été créé. Un peu facile, on en conviendra. Après tout, Hergé aurait très bien pu l'intégrer dans son récit en faisant quelques modifications bénignes, quitte à se fâcher avec la vraisemblance (il ne s'embarrassera pas de tels scrupules pour Vol 714 ou Coke En Stock.) La raison de son absence est donc à chercher ailleurs.

Et cet ailleurs, c'est le rôle du catholicisme pendant la seconde guerre mondiale. Catholique mystique et névrosé, Hergé rejoint les interrogations de Claudel et Maritain au lendemain de la Shoah. Qu'avons-nous fait ? Quels sont les bilans à tirer ? Débusquant les restes d'une vieille histoire bancale, Hergé rectifie la recette pour en faire une plaidoirie acharnée en faveur du Vatican. Il s'agit de rétablir la Vérité.

Le silence d'Haddock est infiniment plus grave qu'un silence volontaire : on le bâillonne avec des blagues, on moque son droit à la réponse. Personne ne veut entendre ses justifications, il est condamné a priori, présumé coupable, le mal est fait. Nous pouvons mentir, il en restera toujours quelque chose. En filigrane se dessine déjà le procès qu'on intentera à Pie XII des années plus tard, en mélangeant tout et en occultant volontairement des faits connus et prouvés — le sauvetage de milliers de Juifs, l'encyclique Mit Brennenge Sorge, les condamnations discrètes mais sans équivoque de la barbarie nazie, le pragmatisme plutôt que les belles paroles (quitte à se savoir condamné par des générations futures qui auront, il est vrai, brillé par leur engagement.) L'Eglise, comme le Capitaine, ne pourra répondre à ces attaques sous la ceinture. Elle restera drapée dans son honneur, refusant de se salir au contact de ces fruits de la passivité. En ce sens, Hergé annonce cinquante ans avant tout le monde le déclin du Saint-Siège, le tout remarquablement camouflé dans un festival de pétrole, pétards et moustaches bleues.

A noter une première apparition du Suicide (le personnage principal de la fin de série), ici désamorcé par le coup du pistolet à encre. Le prochain diptyque lui sera entièrement consacré.


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