Magazine Culture

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

Par Irigoyen

Avez-vous remarqué le vent du nord qui souffle depuis quelque temps déjà sur cette partie de l'Europe ? Rassurez-vous, je ne fais pas référence aux températures négatives relevées dans nos contrées méridionales – par rapport à la Scandinavie s'entend -. Non, je parle de littérature.

Les auteurs nordiques ont décidément la cote. Pas tous, certes. Mais quand on voit comment s'arrachent, sous nos latitudes, les livres de Stieg Larsson ou d'Henning Mangkell – Arte diffusera d'ailleurs, à partir du 19 février, trois épisodes des aventures du commissaire Wallander, interprété par Kenneth Branagh, que je vous recommande vivement - on s'interroge.

Si je vous parle de tout cela c'est parce que, la semaine dernière, est venu à Paris un auteur islandais dont je vous ai déjà parlé ici-même lors de la sortie de L'Homme du lac : Arnaldur Indridason.

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

Je confesse bien volontiers être totalement inculte en matière de polar. N'allez pas vous imaginer que je considère ce genre comme mineur. Non, simplement, je suis à l'image d'un hard-rocker qui traînerait chez un disquaire spécialisé en jazz et ne sachant vraiment pas par où ni par quoi commencer.

Depuis la lecture de L'Homme du Lac, j'ai le virus Indridason. Il se manifeste par une lecture boulimique de ses romans. Il empêche toute conversation de plus de dix secondes avec un élément extérieur : un voisin, un chien, un animateur de radio libre. Et surtout, il donne envie de (re)partir pour l'Islande, ce pays si méconnu et ayant réussi à faire en peu de temps la une de l'info après la nomination d'une première ministre de gauche, la faillite de son système bancaire et son éventuelle intégration dans l'Union Européenne.

J'avais envie de parler de tout cela avec Arnaldur Indridason dont les sorties à l'étranger sont aussi rares que les sourires chez Buster Keaton. Mais avant, laissez-moi vous parler brièvement de ses livres qui ont pour personnage récurrent le commissaire Erlendur Sveinsson.

Dernière précision : tous les livres traduits en français de l'auteur le sont aux éditions Métailié, dont le dernier Hypothermie, sorti le 5 février 2010.

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

Une femme, Karen, est retrouvée morte dans sa maison de campagne. C'est une amie d'enfance qui fait cette macabre découverte. La piste du suicide est vite écartée par le commisaire Erlendur – l'auteur ne garde que son prénom - qui est troublé par le fait que la propre mère de la victime, Leonora, a disparu dans des conditions pour le moins étranges.

Comme d'habitude, chez Arnaldur Indridason, une seconde histoire apparaît. Celle-ci peut-avoir un lien direct avec l'enquête – flash-back permettant la compréhension, en « temps réel » des faits – ou bien soulever une thématique analogue. Ici, le commissaire Erlendur reçoit la visite d'un homme qui a perdu son fils David en 1976. Ce père est en train de mourir et vient demander à l'enquêteur s'il a le fin mot de l'histoire.

Roman après roman, on retrouve aussi d'autres personnages qui constituent l'entourage d'Erlendur. Il y a ses collègues, Sigurdur Oli et Elingborg. Il y a aussi ses enfants : Sindri Snaer, son fils, et Eva Lind, sa fille. Le premier est un ancien (?) alcoolique. La seconde une ancienne (?) droguée.

Cette dernière s'est mise en tête de rabibocher son père et sa mère, divorcés depuis au moins vingt ans.

Ce livre nous fait entrer dans le monde des media – spiritisme -, de l'au-delà. Vous apprécierez sans doute la référence, dans ce roman, à Marcel Proust dont l'un des livres Du côté de chez Swann est semble-t-il tombé d'une bibliothèque, ce qui accréditerait la thèse d'une vie possible après la mort.

Le titre français est Hypothermie mais ce n'est pas le cas de celui de la version originale – vous aurez bientôt la réponse dans l'interview, patience -. Hypothermie :

C'est un procédé qui consiste à refroidir le corps, expliqua le médecin. Le coeur cesse de battre lorsque la température corporelle chute en deçà d'une certaine limite, ce qui cause effectivement la mort. Le froid se charge de conserver les organes car il ralentit l'ensemble du métabolisme.

Un procédé qui a été expérimenté par Erlendur lui-même lorsque, petit, il a perdu son frère. Cet événement est constamment rappelé par l'auteur qui a fait de son personnage principal un spécialiste de la disparition.

Le livre, dont je ne dévoilerai rien d'autre, s'achève dans un lac, un élément naturel que l'on retrouve aussi beaucoup chez l'auteur islandais.

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

Les romans d'Arnaldur Indridason permettent aussi de se familiariser avec des problèmes traversés par la société islandaise. Il est ici question de racisme. Ellias, fils de Sunee, jeune femme originaire de Thaïlande baigne dans son sang quand commence le livre. Très tôt, les regards se portent sur Niran, le demi-frère de la victime.

On retrouve ici un personnage dont je n'ai pas parlé dans le résumé précédent, à savoir Valgerdur. Cette biologiste de l'hôpital National « partage » la vie du commissaire. Tout semble séparer la jeune femme de l'homme qui a choisi la douleur comme compagnon de route, cet étranger à toute chose, à l'exception du travail. Étranger à tout vraiment Sveinsson ? Non, et d'ailleurs, le commissaire laisse entrevoir un sentiment de tristesse lorsque décède son ancienne chef, Marion Briem qui, rappelez-vous dans L'Homme du lac, passait le plus clair de son temps chez elle, sous assistance respiratoire, à regarder des films avec John Wayne.

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

L'enquête est bouclée en une semaine, chaque chapitre correspondant à un jour. La vie d'un père Noël a été stoppée par une main meurtrière avant même le Réveillon. La victime a eu, dans le passé, son heure de gloire. Son quart d'heure devrait-on dire tant cette célébrité a été éphémère. Car Gudlaugur Egilsson, l'homme à la barbe blanche exécuté après un rapport sexuel, a bien failli devenir un chanteur à la voix d'or avant qu'une transformation des cordes vocales ne survienne en plein concert et ne mette ainsi un terme à sa carrière.

Une autre histoire s'intercale dans ce récit où il est question d'un homme qui bat son fils. Vous comprendrez plus tard la liaison avec le meurtre du Père Noël.

Ici, c'est la première fois qu'Erlendur rencontre Valgeldur. Cette attirance ne tue pas toute rigidité chez le commissaire, auteur de quelques répliques particulièrement cocasses, comme ici :

  • Je ne sais rien de cet homme et j'en ai vu plus de lui que ce que j'ai envie

  • Que ce dont j'ai envie, corrigea Erlendur

  • Hein ?

  • Il faut dire : ce dont j'ai envie et pas ce que j'ai envie

Elle le regarda comme s'il était malade.

  • Et vous trouvez que ça a de l'importance ?

  • Oui, répondit Erlendur

J'avoue avoir eu un faible pour le médecin-légiste qui fait une très courte apparition au début du roman et qui signe une réplique mémorable sur la victime. A vous de la trouver.

Et puis il y a ce dont je vous parlais plus haut, à savoir la référence à la mort du frère d'Erlendur, élément déterminant dans la vie du policier :

Allongé, il pensait à ce rêve, à son père, à la perte de son frère. A la façon dont cette disparition insupportable avait façonné une cavité à l'intérieur de son univers. Et à la façon dont cette cavité s'agrandissait constamment alors qu'il évitait d'en approcher le bord d'où il pouvait voir l'abîme tout prêt à l'avaler le jour où il finirait par tomber.

Ce commissaire qui confessera :

J'ai l'impression que moi aussi j'ai péri dans la montagne.

Rencontre avec le romancier islandais Arnaldur Indridason

C'est l'épisode que je préfère. Incontestablement.

Arnaldur Indridason décrit avec brio la violence conjugale de l'intérieur. C'est comme si nous, lecteurs, étions plongés dans cette entreprise de destruction progressive. Celle que fait subir Grimur à sa femme Margaret – on n'apprendra son prénom qu'à la fin, comme si le romancier permettait à cette victime de renaître enfin une fois son identité propre reconquise -.

Les trois enfants de Margaret ont un rôle très important dans cette histoire qui nous ramène au temps où l'Islande était occupée par les forces américaines. C'est d'ailleurs un soldat de l'oncle Sam qui va déclencher les choses. Je n'en dis volontairement pas plus.

L'élément déclencheur de cette nouvelle enquête est la découverte d'un os avec lequel un enfant joue lors d'une fête d'anniversaire. En cherchant l'origine de cette présence, le commissaire Erlendur fait aussi remonter à la surface des souvenirs douloureux : la mort de son frère.

Il avait toujours eu l'impression d'être un étranger.

... dit Arnaldur Indridason qui – il faut remercier Eric Boury, le traducteur, pour cette précision – joue avec le prénom de son commissaire qui signifie, précisément étranger en islandais.

Je trouve que c'est l'épisode où Erlendur est le plus humain. Et pas seulement parce qu'il lance :

Le pire de tout, c'est moi-même, parce que c'est moi qui ai failli.

S'il se laisse ainsi aller c'est parce que sa fille, Eva Lind, est hospitalisée alors qu'elle est enceinte. A cause d'une overdose de drogue qui la plongera dans le coma. Coma dont elle finira par sortir.

A suivre ...


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Irigoyen 43 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines