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Wen Fang : l’Armée de briques

Publié le 12 février 2010 par Voyageurasie

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Les « briques » de Wen Fang ont déjà conquis une jolie renommée internationale. Rencontre avec la jeune artiste qui vit et travaille à Pékin

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 C’est avec ses visages d’ouvriers imprimés sur des briques de ciment grises que Wen Fang s’est fait un nom dans l’univers de l’art contemporain. Parce qu’elle trouvait le papier « trop lisse » et « sans lien profond avec le contenu des photos », Wen Fang a entrepris d’explorer de nouveaux supports pour ses images. « Pendant cent ans, on a imprimé des photos sur papier, on les a mises sous verre et affichées sur des murs, je souhaite que pour les cent années à venir, les photos sortent de leur cadre, s’impriment sur toutes sortes de supports et vivent leur propre vie d’objet » explique-t-elle.

Née à Pékin en 1976, à l’aube de la période des réformes, Wen Fang a grandit dans la capitale chinoise. A 18 ans déjà, avec son premier appareil photo, elle mitraillait sa ville et ses habitants : photos de copines dans des immeubles à l’abandon, sur des gravats ou dans des chantiers, portraits de sans-logis, des passagers du métro auxquels elle « volait » un regard, son appareil dissimulé derrière un parapluie. S’enchaînent des études à l’université des Beaux-arts de Pékin et six années à travailler comme Web Designer. Mais elle rêve de France, « le pays de l’Art » pour elle. Elle s’inscrit alors pour une année de cours à l’Alliance française, puis part une année à Lyon, une autre à Paris, sur les bancs de l’Ecole Louis Lumière, en deuxième année de photographie. De cette expérience, sa première confrontation avec l’Occident, elle dit : « J’ai découvert qu’il n’y avait pas qu’une seule voie, faire des études et travailler en entreprise, que d’autres chemins étaient possibles, plus personnels.» A Paris, elle est sensible aux travaux des surréalistes, à ceux de Man Ray en particulier qui l’engage à « voir au-delà du visible».
Quand elle rentre en Chine en 2004, sa décision est prise, elle sera photographe. Mais il n’est alors pas facile de trouver du travail, même alimentaire : « même comme assistante de photographes commerciaux, je n’étais pas prise » se souvient-elle. Elle décide alors de partir à Tokyo où vit un de ses amis, se lance dans un travail sur les jeunes japonais, le rapport entre tradition et modernité, une problématique dans laquelle la Chine alors aussi se débat. Elle propose ses clichés à une maison d’édition, un livre est publié.
Commence alors à prendre forme son projet de « transférer » ses photos sur de nouveaux supports et son premier travail sur les ouvriers et les briques. « Bien sûr, dit-elle, la brique grise et les travailleurs migrants symbolisent Pékin dans sa marche forcée vers la modernité. Mais, j’y vois davantage. Entre la brique et le Migong, il y a toute une série de correspondances et de résonnances : tous deux viennent de la campagne, ont quitté leur terre d’origine, pour se retrouver en ville. Comme les briques, les ouvriers sont envoyés là où on a besoin d’eux. Ils vivent à six ou huit dans10 m2, dorment dans des lits superposés, empilés comme des briques dans un mur. »

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 Des dizaines de visages d’ouvriers se retrouvent imprimés sur des briques que Wen Fang installe bien droites sur de la terre, parfaitement alignées, un clin d’oeil aux soldats de Terre cuite de Xi’an. La galerie « Paris-Beijing » du quartier artistique de Pékin l’expose dès 2006. Très vite, alors, son travail s’impose, original et émouvant. C’est une armée de briques et d’hommes, casqués, des gueules marqués par une vie rude, des regards francs et des sourires généreux, de fausses Ray-Ban sur le nez, un clope au bec… ils sont là simplement, devant nous, comme une évidence. Dans le même mouvement, Wen Fang fait imprimer une série de briques avec des photos urbaines : un morceau de mur détruit, une pancarte signalant une nouvelle résidence de luxe.

Depuis, Wen Fang profite de sa renommée et d’un certain confort matériel pour mettre toute son énergie dans la création et expérimenter de nouveaux supports. Elle se réapproprie le traditionnel jeu de Mahjong pour en donner une version en briques mêlant photos d’insectes, de monnaies anciennes, de personnalités emblématiques chinoises (Chou En Lai, Li Feng et Lu Xun) et de statues bouddhistes. Elle recompose un escalier de briques où des photos de pieds chaussés dévoilent la mosaïque sociale de la Chine moderne : l’escarpin chic d’une femme d’affaire, la sandale d’un moine, la basket d’un jeune branché, le traditionnel chausson de coton noir d’une personne âgée, le talon trop haut d’une prostituée ou la prothèse d’un mutilé.

Les expositions s’enchaînent en Chine et à l’étranger. En 2008, le centre d’art contemporain Ullens à Pékin, lui commande une installation pour l’exposition Dior qui, réunissant les œuvres d’artistes chinois confirmés, marque un tournant dans sa carrière comme une consécration. Wen Fang choisit de travailler sur le thème des 60 ans de la célèbre maison de couture. Elle imagine un mur éclaté dont les morceaux semblent comme suspendus dans les airs, d’un côté des briques avec des photos de modèles Dior depuis 60 ans, de l’autre des images de la mode chinoise. D’un côté l’Occident, de l’autre l’Asie, deux faces d’une seule et même chose qui communiquent entre elles par des ouvertures.

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 Wen Fang ne joue pas qu’avec les briques, elle expérimente aussi la photo sur tissu (Get into Charactere), sur cheveux (photo d’Isabelle Huppert pour le centre Ullens), ou sur bois (travail sur des orphelins pour le compte de l'association humanitaire "Les Enfants de Madaifu")…

Elle travaille actuellement à sa prochaine exposition solo, prévue en novembre prochain à la Paris Beijing. De belles surprises en perspective.

Source : /CONNEXION-Sophie Lavergne /

Le site officiel en diaporama de / Wen Fang /

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