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Princesse de sang - Julián Ríos – Pont de l'Alma (Tristram, 2010 – Trad. Albert Bensoussan et Geneviève Duchêne) par G@rp

Publié le 12 février 2010 par Fric Frac Club
Princesse de sang - Julián Ríos – Pont de l'Alma (Tristram, 2010 – Trad. Albert Bensoussan et Geneviève Duchêne) par G@rp Princesse de sang - Julián Ríos – Pont de l'Alma (Tristram, 2010 – Trad. Albert Bensoussan et Geneviève Duchêne) par G@rp Ce n'est un secret pour personne, depuis La Maison des feuilles puis l'esc@rgot g@rpien, dès qu'il est question de coïncidences je ne me tiens plus, on ne me retient plus. Même chose avec tout ce qui ressemble de près ou de loin à une spirale. Il était donc inévitable, en lisant le papier de François, que Pont de l'Alma serait pour moi. Parenthèse flashback : Antonio m'avait conseillé Larva lors de sa sortie hexagonale ; lecture ébouriffante, troublante, étourdissante, ludique, aussi. Mais je ne cacherai pas qu'il n'est pas facile d'entrer dans l'univers de Ríos, du moins dans sa version larvesque. Ce n'est pas le cas avec Pont de l'Alma : même si on y trouve des clins d'œil à Larva et certains de ses personnages, sans rien dire d'un goût prononcé pour les acrostiches, il est d'un abord plus aisé. Ce que François ne manque pas de signaler : « un superbe roman, bien plus lisible que tout ce qui est venu avant sans être moins complexe. » ; même si lisible et complexe peut sembler paradoxal, sauf à penser à deux (minimum) niveaux de lecture. Ce qui est bien le cas dans Pont de l'Alma : lisible, donc accessible au plus grand nombre ; complexe pour ceux qui souhaiteraient en dénouer les nombreux fils. À propos d' « avant », on retrouve ici tout ce qui fait l'œuvre de Julián Ríos : outre l'amour de l'art et de la littérature (dans Pont de l'Alma, il convoque nommément ses « maîtres »), son style fait d'incises, de jeux de mots en rebonds d'une phrase à l'autre, voire dans la même phrase, d'une maîtrise des flashbacks, de cafés parisiens, de Paris, de Londres, d'une multitude de personnages, certains surréalistes, hauts en couleurs, dont les noms peuvent varier en leur propre déclinaison ou par associations d'idées – et une structure, des récits faits de…spirales et de coïncidences.
« Quelques ponts plus haut, sur un quai de la rive gauche près du Pont Neuf, récemment emmailloté de toile (Saint Suaire selon Cristo), elle laissa son dernier signal ou qui sait peut-être une fausse piste, il y a presque douze ans de cela. Un escarpin à motif vichy noir et blanc de taille 42 et un sac à main assorti comme un damier où il ne restait que : une facture de téléphone à son nom de jeune fille, Charlotte Bishop, et à son domicile, rue de la Tour, dans le seizième arrondissement de Paris, plusieurs cartes d'un club de nuit proche des Champs-Élysées appelé Le Cavalier où elle officiait comme hôtesse, et une invitation (non utilisée) à l'inauguration de la FIAC au Grand Palais, le 5 octobre 1985, une semaine après sa disparition. Au dos de l'invitation à la FIAC était écrit de sa main Stand 64 (…) La chronique d'un tabloïd dominical de Londres, qui racontait le probable suicide d'une ex-modèle anglaise dans la Seine, avançait en outre une série d'hypothèses sur le nom de la disparue, qui désigne en anglais le fou du jeu d'échecs, et sur son sac quadrillé, sans oublier la coïncidence qu'elle ait vécu rue de la Tour et travaillé dans un bar de nuit portant aussi le nom d'une pièce de l'échiquier en français. Le chroniqueur n'en vint pas à commenter, faute d'espace peut-être, que le nombre qu'elle avait inscrit au dos de l'invitation de la FIAC correspondait au nombre de cases de l'échiquier. Le plus curieux, c'est que le journaliste portait le nom on ne peut plus commun de King. »
En ce sens, le premier chapitre est particulièrement caractéristique : tout y est déjà, disons, écrit. Ou évoqué. Esquissé, ouvert – ou entr'ouvert – désigné subrepticement, au passage. Ou encore bâti. Un chapitre en première pierre. Un chapitre dans lequel s'amorcent les rebonds, incises, coïncidences, que l'on retrouvera aussi bien ultérieurement qu'à l'intérieur même de celui-ci : une construction tout en spirales contenues – maîtrisées pour mieux être dénouées, ici ou ailleurs ou avant ou plus tard. Rien n'est laissé au hasard, tout est lié. Tout coïncide. Tout va coïncider. Dans ces « 33 vues de D. » il y a l'avant accident et l'amorce de l'après. Un après qui débutera au chapitre suivant, « Champs-Élysées » (le bien nommé), par une étrange et folle soirée en bateau mouche, peut-être le passage le plus ardu pour le novice en Ríos, promenant le lecteur sur les eaux troubles des doubles et de la réalité, mais un passage à ne pas manquer, dont le dénouement, si l'on peut le qualifier ainsi, révèle… plusieurs coïncidences. Princesse de sang - Julián Ríos – Pont de l'Alma (Tristram, 2010 – Trad. Albert Bensoussan et Geneviève Duchêne) par G@rp
Si nous sommes passés d'un balcon avec vue sur lieu de l'accident au niveau de la Seine, c'est ensuite sur un banc, au pied de la Flamme Dorée, que nous retrouvons Emil Alia, traducteur dans son rôle de passeur de récits. La galerie de personnages venant, disons, témoigner est des plus dingue : un bouddhiste danois nommé Bonzo, qui évoque la transmigration de l'âme de son maître, Petit-Louis, dans celle de la Princesse, et le fameux Tipi dans un chapitre IV (tiens donc ?) – « Opération Dent » - proprement réjouissant. Tout Chum se doit de s'arrêter un instant sur ce chapitre, ne serait-ce qu'afin d'expliquer qu'il ne voit pas Pynchon partout : c'est bien de lui qu'il est question ici sous la plume de Ríos. Trop de coïncidences l'attestent. Démonstration :
« (…) il sortit de son sac de voyage un livre blanc (son titre : Thomas the Obscure) et en s'y appuyant, sur ses genoux, il entreprit d'écrire sur un carnet au papier jaune quadrillé. Il traçait ses bâtons de lettres majuscules avec un stylo feutre noir, marqué d'un V Ball argenté (…) »
Ici, j'en vois qui font la moue. Enfonçons le clou :
« En fait de musicologue, Tipi était fort probablement ingénieur, finis-je par déduire, car son intérêt pour la danse était par-dessus tout cinétique. »
Et plus loin :
« Eh oui, observa Tipi, Diana avait été une étudiante un peu en retard, un peu lente, ‘'slow learner'', l'appela-t-il. »
Est-il besoin d'ajouter que ce même Tipi révèle un complot autour duquel le mot dent a son importance, et qu'il n'a de cesse d'émettre des hypothèses quant à la signification de ce « DENT » qui ne peut être pour lui qu'un acronyme ? Je pense qu'on aura compris (et encore, je n'ai pas tout mis). Jusqu'au moment où l'on tombe sur la photo du fameux mémorial et l'inscription incomplète évoquée par Tipi. Coïncidence ? Fait avéré, en revanche, Ríos joue, s'amuse et jongle avec les évènements, ses personnages, le lecteur, les mots...
« À moins que je ne confonde et que le poney de la chute ne soit nommé Romilly, rajouta Bonzo, avant de revenir à la charge et à son chevalier sans reproche qui finirait par vaincre sa peur. »
...sans toutefois se départir d'une certaine tendresse à l'égard de Diana – pour preuve la fin de chaque témoignage transcrit par Emil : un message à l'intention de la Princesse. De même, les nombreuses occurrences de « lune » et « bleu » dans Pont de l'Alma ne sont peut-être pas innocentes. Mélange de biographies réelles racontées par des personnages venus rendre hommage au mythe Diana, des personnages oscillant entre folie et raison, à l'égal de toutes les hypothèses ayant circulé quant aux circonstances de la mort de Diana, biographies tressant une étrange couronne de coïncidences et de célébrités au décès de la Princesse, Pont de l'Alma n'est pas un roman de plus sur Lady D. mais une construction surprenante, instructive, loufoque et drôle, délirante, onirique, tendre et respectueuse, inventive, qu'on ne peut lâcher qu'à regrets. Une dernière chose : plus de 60 pages marquées au fil de la lecture, sur les 306 du roman dégusté en un jour et demi. Un signe qui ne trompe pas. Ça sent effectivement le meilleur livre de l'année

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